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Actualités - OPINION

Génération Cana

C’est le septième jour du mois le plus chaud de l’année et qui de mémoire de Libanais n’a sans doute jamais été aussi chaud, brûlant, infernal. Planté sur mon balcon, j’observe bêtement cette file interminable de voitures qui attendent depuis plusieurs heures que la station d’essence voisine soit approvisionnée, espérant ainsi pouvoir obtenir quelque dix litres d’essence ; de quoi permettre à certains d’aller encore quelques jours au travail. D’autres s’offrent ainsi le luxe d’avoir la possibilité de s’enfuir si la folie meurtrière d’Israël s’étendait encore plus. Ma région est à majorité chrétienne, située à quelques centaines de mètres de la banlieue sud de Beyrouth, qui est pilonnée sans cesse par les avions de la mort. Mais ici tout le monde a compris que cette guerre, Israël ne la mène pas contre les chiites et en particulier contre le Hezbollah, mais bel et bien contre tout le Liban. Quelques centaines de mètres plus haut, des cœurs remplis de haine semblent avoir lu ces pensées et, voulant les confirmer, crachent leur feu de toute sa puissance. Toujours sur mon balcon, qui tremble devant la violence de l’impact et l’intensité des explosions, ce n’est plus une file, mais une fourmilière grouillante que j’observe maintenant. Les voitures démarrent en trombe, les femmes crient, les enfants pleurent, les ambulances accourent. Quelques dizaines de mètres plus loin, une épaisse colonne de fumée s’élève. Je me dirige vers la zone touchée, mais on ne peut trop s’approcher pour des raisons de sécurité. Ce matin, en écrivant ces lignes je vois sur al-Jazira les images. Je les associe aux sons qui sont restés dans ma tête depuis la veille, reconstituant ainsi une nouvelle scène d’horreur identique en tout point au massacre de Cana. Encore des enfants tués quand leur immeuble a été complètement rasé. « Toucher c’est effacer » semble être la nouvelle devise de la bande criminelle israélienne. Au bas de l’écran, défilent quelques informations de dernière heure. Peretz (la sosie de Staline) : « Nous allons demander à l’armée d’élargir son champ d’action. » Un responsable israélien : « Nous allons s’il le faut raser l’infrastructure libanaise et plonger le Liban dans le noir pour des années à venir. » Des tracts israéliens : « Tout véhicule en mouvement au Liban-Sud est suspect et sera frappé. Aucune exclusion concernant les ambulances, les convois humanitaires ou la presse. » Un officier israélien ose même prétendre que l’élimination du Hezbollah est nécessaire pour l’établissement d’une paix durable… La paix, première victime des Israéliens. La paix assassinée par le premier missile israélien tiré sur le Liban. La paix définitivement enterrée à Cana, une pierre posée sur son tombeau à chaque seconde qui passe pour l’empêcher de ressusciter un jour. Pourtant, le Liban était le seul pays dans la région qui, par sa diversité confessionnelle et culturelle, pouvait un jour envisager une paix durable avec les juifs. Le seul pays réellement ouvert aux autres, le seul pays de la région où la tolérance habite le cœur des hommes et non seulement les législations fragiles. Ce peuple juif paranoïaque, mené par des dirigeants fous, n’a décidément toujours pas compris après toutes ces années. Jamais la force et la violence ne lui garantiront la sécurité et la paix. Ce peuple ne se rend pas compte, après un mois de guerre vaine que mène sa glorieuse armée, que le Hezbollah est bien plus qu’un groupe armé parachuté par l’Iran au beau milieu d’un pays qui le rejette. Le Hezbollah est profondément enraciné dans ce pays et surtout dans le cœur de ses membres et sympathisants. C’est l’expression d’une communauté (qui va au-delà de la communauté chiite) que les Israéliens ont écrasée, massacrée, torturée pendant des années. C’est la réaction des victimes de l’invasion de 1982 et des atrocités précédentes et suivantes commises par l’armée israélienne. Chaque combattant du Hezbollah puise son étonnante détermination dans son passé, dans les ruines d’une maison détruite, dans les larmes d’une mère qui pleure un père ou un frère tué, dans les cris d’une petite sœur terrorisée… Cette détermination vaut sans doute autant que l’armement américain dernier cri fourni à Tel-Aviv, qui a souvent vaincu plusieurs armées arabes réunies en moins d’une semaine mais qui avance maintenant au rythme de quelques mètres par jour en territoire libanais, se voyant infliger en même temps des pertes que cette armée orgueilleuse n’est depuis longtemps plus habituée à subir. Dès lors, comment l’État hébreu ose-t-il espérer une paix un jour avec le Liban ? Comment imagine-t-il que les victimes de la génération Cana chercheront à faire la paix avec leur bourreau ? Qui au Liban acceptera cette paix ? Les frères et sœurs des victimes de Cana ou peut-être les survivants de ce massacre ? Israël alimente tous les jours un feu qui brûle dans le cœur d’une majorité écrasante de Libanais. Un feu de haine et de révolte devant cette extermination systématique d’un peuple, devant ce silence honteux du monde entier qui se contente de condamner et de s’indigner, encourageant secrètement l’État hébreu à poursuivre ses crimes contre le peuple libanais. Ce feu animera longtemps la génération Cana, tous ceux qui ont vécu ou tout simplement vu l’enfer. Et ses flammes ne manqueront pas de toucher Israël. Hady HADDAD
C’est le septième jour du mois le plus chaud de l’année et qui de mémoire de Libanais n’a sans doute jamais été aussi chaud, brûlant, infernal. Planté sur mon balcon, j’observe bêtement cette file interminable de voitures qui attendent depuis plusieurs heures que la station d’essence voisine soit approvisionnée, espérant ainsi pouvoir obtenir quelque dix litres d’essence ;...