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Actualités - OPINION

Le véritable but d’Israël : replonger le liban dans la guerre civile

L’offensive israélienne au Liban peut paraître absurde et risquée si nous nous arrêtons aux buts premiers de cette opération militaire : détruire le Hezbollah et sécuriser la frontière avec le Liban. Après trois semaines de conflit, il s’avère que l’armée israélienne rencontre d’énormes difficultés pour atteindre ses objectifs militaires. Pour repousser les combattants armés du Hezbollah à des kilomètres de sa frontière, il lui faudra lancer une offensive terrestre de grande ampleur, coûteuse pour son armée et la population civile libanaise. Il n’est pourtant pas dans les habitudes d’Israël de s’engager dans une aventure militaire sans avoir estimé correctement ses chances de réussite. Aurait-elle mal évalué l’armement dont dispose le Hezbollah et la combativité de ses partisans ? Ou bien le véritable but n’est-il pas plutôt de détruire les bases économiques du Liban et de diviser les Libanais afin que le pays replonge dans la guerre civile comme cela s’est produit à l’issue de la l’opération « Paix en Galilée » en 1982 ? Israël sait que le gouvernement libanais ne peut désarmer le Hezbollah Le Hezbollah représente une menace réelle pour la sécurité d’Israël dans la mesure où il dispose d’armes sophistiquées lui permettant d’en atteindre les principales agglomérations. Les tirs sporadiques de roquettes sur la zone frontalière au nord d’Israël, ces dernières années, faisaient peu de victimes côté israélien. Israël a toujours été à l’abri d’une attaque massive du Hezbollah. Dans le cas contraire, l’État hébreu ne se serait jamais retiré du Liban-Sud en 2000. Il sait parfaitement que le gouvernement libanais est trop faible pour empêcher le Hezbollah ou des groupes palestiniens de tirer sur son territoire, même dans le cas d’un retrait de l’armée syrienne du Liban. Comment l’armée libanaise pourrait-elle désarmer un mouvement aguerri au combat, auréolé par la libération du Sud et disposant d’un solide soutien de l’Iran et de la Syrie ? Comment croire que la Syrie abandonnera un atout majeur dans le règlement global du conflit qui l’oppose à l’État hébreu ? Le Hezbollah lui évite d’entrer en confrontation directe avec Israël tout en maintenant ses revendications légitimes sur le plateau du Golan, occupé depuis 1967 par Israël. Le Liban était une destination privilégiée pour le tourisme du Golfe Depuis cinq ans, la paix et la reconstruction commençaient à porter leurs fruits au Liban. Les touristes arabes revenaient en masse et investissaient dans le pays du Cèdre. Ils étaient nombreux à fréquenter les restaurants du centre-ville, à passer l’été dans la montagne. Même durant l’hiver, ils venaient se risquer sur les pistes de ski de la montagne libanaise. Beyrouth est redevenue une capitale des plaisirs et de la volupté pour les Saoudiens. L’immobilier s’est mis à flamber, en particulier dans le nouveau centre-ville reconstruit par les sociétés de Rafic Hariri, le Premier ministre assassiné en février 2005, mais aussi dans la montagne chrétienne où les ressortissants du Golfe achetaient des appartements et des villas. Cet afflux de capitaux, ajouté aux envois des émigrés libanais, entretenait une certaine prospérité économique au Liban et ses effets commençaient à se faire ressentir au sein de l’ensemble de la population. Certes, Beyrouth était loin d’avoir retrouvé l’importance économique qu’elle avait avant la guerre civile : le port de Beyrouth a définitivement perdu sa fonction de transit vers les pays du Golfe ; le secteur financier est très loin derrière les villes du Golfe : Dubaï, Ryad ou Kuwait City ; quant aux médias arabes, c’est également a partir des capitale du Golfe qu’ils diffusent et non plus de Beyrouth. La confiance des Libanais dans leur pays est cassée La qualité de vie et la confiance dans l’avenir retenaient sur place toute une population entreprenante et occidentalisée sur laquelle il était possible d’asseoir un développement durable. Beaucoup de Libanais qui avaient quitté le pays durant la guerre civile étaient revenus. Même si les retours sur investissement n’étaient pas à la hauteur de leurs espérances, ils avaient la satisfaction de vivre chez eux et pouvaient entretenir quelque espoir pour leurs enfants. À la suite de l’offensive israélienne, la situation a radicalement changé. La confiance des Libanais dans leur pays est cassée. Dans les prochains mois, nous allons assister à une hémorragie des forces vives du pays vers l’étranger, ce qui est beaucoup plus dommageable pour le Liban que les destructions matérielles causées par la guerre. La fragile stabilité politique du Liban repose sur l’existence d’une classe moyenne laïque, tout du moins dans son comportement politique, capable de construire une véritable démocratie, et non sur une masse peu ou mal éduquée, soumise à des notables traditionnels et à des religieux. N’est-ce pas cela que souhaite Israël à la suite de cette opération militaire ? Prouver au monde occidental qu’il est la seule démocratie du Proche-Orient afin qu’il bénéficie de son soutien aveugle et puisse unilatéralement tracer ses frontières ? Les réfugiés : une bombe à retardement Israël ne peut pas tuer le Hezbollah car il est trop bien implanté dans la communauté chiite libanaise. L’État hébreu va se contenter, cet été, de détruire les armes les plus dangereuses pour sa sécurité détenue par le parti de Dieu . Le Hezbollah blessé n’en sera que plus dangereux à désarmer pour une armée libanaise qui est restée l’arme au pied face à l’invasion du territoire national ou une éventuelle force d’interposition. Cependant, le problème majeur auquel va être confronté le Liban est celui des 800 000 réfugiés intérieurs, dont près de 200 000 ont perdu leur logement. Ils sont en grande majorité chiites et proviennent du Liban-Sud, de la plaine de la Bekaa ou de la banlieue sud de Beyrouth, c’est-à-dire des principales zones bombardées régulièrement par l’armée israélienne car considérées comme des fiefs du Hezbollah. Ces familles nombreuses, qui vivaient déjà dans la précarité économique, ont trouvé provisoirement asile dans des territoires « protégés » des bombes israéliennes, c’est-à-dire sur le territoire des autres communautés libanaises : les quartiers chrétiens et sunnites de Beyrouth, la montagne chrétienne ou druze. Les réfugiés sont pour l’instant bien accueillis, mais passée l’émotion des premiers jours, les résidents s’interrogent sur la durée de leur séjour : depuis 1948, des centaines de milliers de Palestiniens se trouvent « provisoirement » au Liban. Beaucoup de Libanais refusent de quitter le pays ou même leur domicile parce qu’ils ont peur de le retrouver occupé par des réfugiés inexpugnables. Quinze ans après la fin de la guerre civile, beaucoup de familles libanaises n’ont toujours pas retrouvé les logements occupés par les populations déplacées. Une augmentation de la délinquance est à craindre également lorsque les réfugiés auront épuisé leurs économies car l’État libanais est incapable de leur venir sérieusement en aide. Derrière le discours officiel d’unité nationale et de solidarité, les craintes d’affrontements intercommunautaires sont très présentes. L’essentiel du travail de l’armée libanaise actuellement consiste à prévenir ce genre d’incidents. Le même scénario qu’en 1982 ? Le Liban se trouve actuellement dans une situation comparable à celle de 1982, lors de l’opération « Paix en Galilée », menée par Israël pour détruire la puissance militaire de l’OLP. Il s’agissait d’arrêter les tirs de roquettes et les infiltrations des combattants palestiniens en Israël à partir du Liban. L’armée israélienne avait envahi le Liban jusqu’à Beyrouth, bombardant pendant deux semaines la partie ouest de la ville, tenue par les milices palestiniennes, pour en faire sortir l’OLP et Yasser Arafat. À la suite de cette opération militaire, la guerre civile au Liban avait redoublé de violence : massacres de Sabra et Chatila par les milices phalangistes, expulsion des chrétiens du Chouf par les milices druzes, combats entre Palestiniens et chiites, affrontements fratricides entre les mouvements chiites Amal et Hezbollah, etc., pour le plus grand profit d’Israël qui avait parfaitement réussi à diviser ses ennemis. Le véritable règne des milices commençait au Liban : spoliations, massacres de civils, contrebande, etc., causant l’appauvrissement et l’émigration de dizaines de milliers de personnes qui croyaient encore à un Liban démocratique et multicommunautaire, et dont la présence sur place maintenait une certaine cohésion nationale. Cette même logique de division porte ses fruits dans les territoires palestiniens occupés où le Hamas et l’OLP s’affrontent depuis un an. Le même scénario risque de se reproduire au Liban si un cessez-le-feu n’intervient pas rapidement avec le concours d’une force multinationale d’interposition. Fabrice BALANCHE Chercheur à l’Institut français du Proche-Orient à Beyrouth
L’offensive israélienne au Liban peut paraître absurde et risquée si nous nous arrêtons aux buts premiers de cette opération militaire : détruire le Hezbollah et sécuriser la frontière avec le Liban. Après trois semaines de conflit, il s’avère que l’armée israélienne rencontre d’énormes difficultés pour atteindre ses objectifs militaires. Pour repousser les...