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Actualités - OPINION

Plus de mariages, à Cana les enfants sont morts…

Pendant que des navires arborant fièrement la Bannière étoilée, semblables à ceux qui ont porté la liberté au cœur de l’Europe, font leur valse de charité avec des couettes et des sacs de riz sur les plages de la banlieue nord de Beyrouth – ces plages noires de carburant comme toutes les autres plages du Liban depuis quelques jours – , des gros transporteurs avec la même Bannière étoilée, dans une valse macabre, acheminent, non loin de là, sur les bases militaires de « la seule démocratie de la région » – ce formidable exemple de socialisme humaniste – , des bombes encore plus intelligentes et encore plus hargneuses. Des armes intelligentes, une tonne d’explosifs et une marge d’erreur qui ne dépasse pas les 100 centimètres. Le résultat est probant, plus de 700 morts et de 2 000 blessés parmi les civils. Tyr méconnaissable, Nabatiyé dévastée, la banlieue sud de Beyrouth rayée de la carte, 50 villages frontaliers transformés en décombres, et Bint Jbeil, avec son ridicule tribunal d’instance, ses pauvres gens, sa misère, elle, fière de résister, se fait punir sans baisser la tête... Aveuglés par une paranoïa inexorable, les enfants de la Shoah, éternels témoins de l’indicible, eux, sont aujourd’hui aux manettes. Comment ont-ils pu accepter ce rôle ? Chez eux, des gens frappés d’amnésie jouent aux bourreaux, inscrivant sur des bombes, aussi cons que l’axe du mal qu’ils croient combattre, des messages de haine écrits par des enfants... Comment en arrive-t-on là ? Chez eux comme chez nous, la mort frappe, le deuil s’installe, mais personne de ceux qui ont leur mot à dire n’a envie de réagir. Luxembourg est très paisible ce matin. En ville, une fête médiévale anime les belles rues, mais que je suis loin de tout ça, devant mon écran de télévision, ce matin je suis meurtri. Comme tous les Libanais de l’étranger, je refuse de pleurer mon pays, j’ai connu la guerre, toutes ces années passées à Aïn el-Remmaneh, elle était civile, elle était internationale, elle était surtout atroce, la guerre… mais on croyait que c’était du passé. La distance est insoutenable. Comment dire ma honte et ma révolte, ma solidarité avec les miens et mon impuissance aussi. Je n’ai que les mots, comme beaucoup, hélas… Vingt et un jours de haine déjà, des soldats, jeunes et naïfs, armés jusqu’aux dents, viennent se faire tuer chez nous. Le savaient-ils que, dans leurs grosses machines de guerre, truffées de technologie, ils ont, aujourd’hui encore, inscrit des pages glorieuses dans l’histoire de leur puissante armée, réussissant à détruire des maisons et des abris sur la tête de leurs habitants : Cana, encore Cana ! En 1996, Cana, ville biblique, s’était illustrée, non pas par son vin et ses mariages mais, tristement, par la haine des hommes. J’essaie de comprendre cette peur qu’éprouvent ces jeunes en armes pour pouvoir perpétrer ce genre de crimes. Cent dix personnes, réfugiées dans une position des Nations unies, ont été bombardées ce jour-là du mois d’avril 1996, jusqu’à l’extermination, sous les tentes bleu ciel avec l’effigie de l’ONU. Les gens du Sud n’ont toujours pas séché leurs larmes de douleur. Aujourd’hui, à 1h du matin, heure de Beyrouth, 63 personnes réfugiées dans un abri de fortune ont été bombardées, les cadavres d’enfants crèvent l’écran. Un crime de guerre, encore un, une nouvelle honte pour l’humanité. Comment est-ce possible en 2006, après le Rwanda, Srebrenica, la plaie ouverte en Palestine, l’Irak… À l’instant, un de leurs anciens Premiers ministres nous explique comment, en 1944, les Britanniques, pensant bombarder le siège de la Gestapo à Copenhague, ont par erreur massacré des civils. Cela est tout à fait normal en temps de guerre, nous lance-t-il. Il ne comprend pas pourquoi les gens s’émeuvent autant. Pendant que j’écris, je pense à ceux qui ont leurs familles dans ces villages, « intelligemment » coupés du monde, où, selon la Croix-Rouge, des corps, gisant sous des décombres depuis plusieurs jours, sont en train d’être mangés par des chiens, des vrais. Et la trêve humanitaire continue à être refusée. Les décideurs ont estimé qu’un cessez-le-feu était inutile. Cyniquement, nous a-t-on signifié, il fallait laisser le temps à l’armée « de défense » de la « seule démocratie de la région » pour finir sa tâche. Elle le fait à merveille, en tout cas. Parmi les 800 000 déplacés, bombardés sur les routes, bombardés dans les ambulances, brûlés pour avoir tardé à quitter leurs maisons, combien vont-ils croire à une justice et combien prendront les armes demain ? Pour ceux qui ne savent pas qu’en 2006, de l’autre côté de la Méditerranée, des enfants meurent par punition pour avoir saigné pendant des jours sans possibilité de secours, pour ceux qui cherchaient à savoir comment on devient terroriste, un mode d’emploi vient d’être publié, par les décideurs cette fois-ci. L’humanité a été encore souillée à Cana. À Cana, il n’y a plus d’eau, il n’y a pas de vin non plus. À Cana, c’est du sang qui coule dans les rues. Jad NADER

Pendant que des navires arborant fièrement la Bannière étoilée, semblables à ceux qui ont porté la liberté au cœur de l’Europe, font leur valse de charité avec des couettes et des sacs de riz sur les plages de la banlieue nord de Beyrouth – ces plages noires de carburant comme toutes les autres plages du Liban depuis quelques jours – , des gros transporteurs avec la...