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Actualités - CHRONOLOGIE

RENCONTRE - Il vient de signer « L’Allemand retrouve la raison » aux éditions Riad el-Rayess Rachid el-Daïf, briseur de tabous

Il est particulièrement apprécié de la critique littéraire pour son humour et son style fluide et mordant. Des titres accrocheurs, des récits anecdotiques – qui ne manquent ni d’ironie ni d’audace –, une langue immédiatement accessible. Ce sont les principaux ingrédients qui font le succès de Rachid el-Daïf. L’écrivain, connu pour explorer la société libanaise avec une rare férocité sans jamais cependant se départir d’un ton neutre et faussement naïf, s’attaque aujourd’hui, dans un récit qui vient de paraître aux éditions Riad el-Rayess, à un nouveau tabou : l’homosexualité. C’est bizarre, ce type, on a l’impression qu’on ne le connaîtra jamais en dépit de toutes les facettes que son travail permet d’appréhender. Pas un hasard si Rachid el-Daïf par Rachid el-Daïf cela donne : « Je suis un électron libre. » Comment l’attraper, dans ces conditions, le situer quelque part ? Comment le soumettre à analyse alors que son regard lunetté est en perpétuelle dissection de son entourage et des gens ? Il s’agit là, de toute évidence, d’une âme curieuse et observatrice, mais qui, en dépit de sa réserve apparente, aime bien bavarder avec son prochain. L’écrivain possède une autre particularité : il attire les confidences comme un pot de miel attire Winnie l’ourson. Mais qu’en est-il de son dernier opus ? Le titre, déjà, intrigue : Awdat el-Almani Ila Rouchdihi (L’Allemand retrouve la raison). De quoi s’agit-il ? L’écrivain retourne aux sources de son inspiration et raconte. Initié par l’institut Goethe, le programme « Diwan : Orient-Occident » vise à rapprocher un auteur arabe et un autre de nationalité allemande en organisant des séjours dans les pays respectifs des deux auteurs. Après avoir passé un mois et demi en Allemagne, Rachid el-Daïf a accueilli à son tour son homologue de Berlin, Joachim Helfer. Au cours de ces résidences, les deux auteurs ont longtemps discuté, de tout et de rien. Mais, surtout, de tout. Puisque, et ce livre en témoigne, Helfer est vite passé aux aveux. Des aveux qui n’en étaient pas vraiment, des confidences plutôt, car le mode de vie de l’Allemand n’était un secret pour personne. Il cohabitait depuis 20 ans avec un homme, son aîné de 38 ans. « J’ai assisté à un changement que j’ai considéré comme très important dans la vie de l’auteur allemand. Exclusivement homosexuel depuis deux décennies, il a, lors de son séjour à Beyrouth, rencontré une jeune journaliste avec qui il a fait l’amour. » Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La suite, surprenante, est à lire dans le récit de el-Daïf. Passage à l’acte « J’ai trouvé que cette histoire était à écrire. La fonction de la littérature n’est-elle pas de pousser les limites de la liberté, de ce qui se fait, de montrer autre chose, d’exciter l’imagination ? s’interroge l’auteur. C’est ma façon d’écrire l’histoire de l’Allemand et c’est une façon de voir de chez nous. » Avant de passer à l’acte, el-Daïf a sollicité la permission de Helfer. Il lui a également envoyé une copie, une fois le récit achevé. « Il a été un peu surpris, un peu provoqué aussi. Mais il a eu l’esprit très ouvert et m’a permis de publier l’histoire. Et il a immédiatement rédigé un commentaire aussi long que le mien. » L’auteur allemand a proposé les deux textes à une maison d’édition prestigieuse en Allemagne. L’ouvrage doit paraître en librairie à l’automne prochain, sous le titre de Homosexualisation du monde : parole contre parole, Beyrouth contre Berlin. « Le commentaire de Joachim est une réponse. J’ai lu la moitié de ce texte. Parfois il dit des choses qui sont, de mon point de vue, fausses et d’autres fois je considère qu’elles sont vraies. Mais je lui ai donné mon accord de principe. » Que raconte Helfer dans son texte-réponse ? « Il défend l’homosexualité. Mais il va plus loin et m’accuse d’être réactionnaire », s’étonne el-Daïf. Mais l’Allemand n’est pas le seul à avoir réagi aux écrits d’el-Daïf. À la sortie de l’ouvrage, de nombreuses personnes ont accusé l’auteur d’être antihomosexuel et d’autres, au contraire, ont estimé que el-Daïf était sans doute un homosexuel refoulé. « Dans ce livre, je dis deux choses : si c’était une question de vote, je me prononcerai pour le droit et la liberté des homosexuels à vivre leur différence. Mais en même temps, je parle en toute spontanéité de mon éducation vis-à-vis des homosexuels. Je considère le fait de m’exorciser comme un cadeau pour ces gens. Parce que je leur dis que le problème est là ; il ne s’agit pas d’être convaincu intellectuellement ou pas. L’essentiel c’est d’intérioriser, d’assimiler, d’accepter spontanément leur différence et, surtout, d’apprendre les réflexes de vivre avec les homosexuels. » El-Daïf ajoute que cet apprentissage n’est pas facile. « C’est toute une éducation qui est à refaire. » Séducteur nonchalant, Rachid el-Daïf se fiche au fond pas mal de ce que certaines langues peuvent penser de ses lettres de noblesse littéraires. Il préfère construire, même des châteaux de sable, parce que c’est de toute façon plus poétique et plus rapide, donner et écrire, provoquer sans prétendre apporter de pierre révolutionnaire quelconque à un édifice qui n’est fait que de papier. Mais est-ce que L’Allemand retrouve la raison est véridique à 100 % ? « J’ai écrit l’histoire de Joaquim Helfer avec beaucoup de cœur. Son histoire est quelque peu inventée par moi. C’est mon écriture, c’est mon texte, c’est mon monde, c’est ma façon de voir. » L’auteur avoue qu’il a inventé quelques faits. « Mais à partir d’un désir qui existait en moi. D’autres choses ont été détournées. J’ai dissous les traces qui peuvent induire à des personnes précises. » Sous des airs débonnaires, Rachid el-Daïf cache une grande force, une maîtrise de la langue arabe qui est aussi efficace que l’étourdissant dribble de Zizou. Mais arrêtons-là la métaphore sportive car, même en cette période d’effervescence mondiale du foot, l’écrivain n’est guère porté sur la chose. Le mordant de ses phrases souligne une virilité dans la langue, qu’il ne met jamais dans sa poche. Et c’est tant mieux pour nous, lecteurs, et pour ses étudiants, car il est professeur de langue et littérature arabes à l’Université libanaise. D’abord tournée vers la poésie, son œuvre est depuis les années 1980 entièrement consacrée au roman. Œuvres traduites en français : L’Été au tranchant de l’épée (poèmes, Le Sycomore, 1979) et les derniers romans parus chez Actes Sud : Passage au crépuscule (1992), Cher Monsieur Kawabata (1998), Learning English (2002) ; Qu’elle aille au diable, Meryl Streep ! (2004). À paraître en septembre, aux éditions Actes Sud, Fais voir tes jambes, Leïla ! Pour empêcher le remariage de son père, un jeune Libanais ni meilleur ni pire que les autres échafaude des stratagèmes pervers qui se retournent contre lui. Il n’hésite pas à fomenter de petits complots, plus pervers les uns que les autres, et même à proposer à la douce et innocente Leïla (sa petite amie) – du moins il le pensait – de calmer quelque peu l’appétit sexuel de son père… Rachid el-Daïf n’est pas le genre d’homme que le succès abîme. Il ne nourrit pas de rêves extravagants, n’a pas acquis de certitudes. Non, la seule intime conviction que ces dernières années lui ont apportée, c’est qu’aujourd’hui « il se sent écrivain. Profondément ». Maya GHANDOUR HERT
Il est particulièrement apprécié de la critique littéraire pour son humour et son style fluide et mordant. Des titres accrocheurs, des récits anecdotiques – qui ne manquent ni d’ironie ni d’audace –, une langue immédiatement accessible. Ce sont les principaux ingrédients qui font le succès de Rachid el-Daïf. L’écrivain, connu pour explorer la société libanaise...