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Actualités - REPORTAGE

Reportage Les interprètes des marines, en quête d’une revanche sur le passé

Fanfaron attachant, vieux sage, ancien culturiste ou théologien, les interprètes irakiens travaillant avec l’armée américaine à Habaniyah ont en commun le sentiment d’accomplir une mission ou de prendre une revanche sur leur passé. Tous le reconnaissent aisément, la rémunération très confortable pour l’Irak qu’ils touchent, 1 050 euros par mois, constitue leur principale motivation pour revêtir l’uniforme des marines et les accompagner en patrouille. Mais le poids de leur histoire personnelle permet aussi d’expliquer leur choix de servir aux côtés des troupes américaines : chiites ou chrétiens, ils représentent une partie de la population pour qui la chute de Saddam Hussein a été ressentie comme une vraie bénédiction. À 22 ans, « Jaguar », qui comme tous les interprètes irakiens a choisi un pseudonyme pour garantir sa sécurité, vit le rêve de sa vie en patrouillant dans la province rebelle d’al-Anbar, dans l’ouest du pays. « Je suis fier de porter l’uniforme des marines, les “chiens du démon” comme les ont surnommés les Allemands. Je sais tout d’eux, j’ai appris dans les films et sur Internet leur histoire. Un jour, je partirai aux États-Unis et je deviendrai l’un d’eux », assure le jeune homme, blessé légèrement dans l’explosion d’une bombe artisanale il y a deux mois. Jaguar, qui se félicite d’être un « homme riche, alors qu’avant, je marchais faute d’argent pour prendre le bus », dissimule un passé tragique. « Je remercie Dieu et George W. Bush d’avoir renversé Saddam Hussein, qui a fait exécuter mon père et mon oncle et emprisonner ma mère », dit-il en maudissant l’ancien président irakien. À 66 ans, portant cheveux blancs et lunettes, le bavard « Jaf » semble aux antipodes de son collègue. Mais ce distingué professeur, diplômé en littérature anglaise et kurde, a également souffert de la répression de l’ancien régime. « J’ai été renvoyé car je refusais d’adhérer au parti Baas et plus tard, j’ai été emprisonné en raison de mes activités politiques en faveur de la culture kurde », explique-t-il posément, en désignant son oreille gauche devenue sourde à force de mauvais traitements. « En 2004, comme ma retraite ne suffisait pas à faire vivre ma famille, je suis devenu interprète. J’aime travailler aux côtés de ceux qui ont libéré l’Irak », poursuit-il. Il n’est cependant pas question de vengeance dans le discours de ces hommes, qui n’hésitent pas à évoquer la fibre patriotique. « Nous sommes un pont entre les civils, les soldats irakiens et l’armée américaine », remarque Farid, 36 ans, qui gagnait l’équivalent de 4 euros par mois comme enseignant avant l’invasion. « Travailler avec les militaires, c’est aussi un moyen de servir mon pays. » Militaires irakiens et marines américains n’ont pas la meilleure des réputations en pays sunnite, comme à Habaniyah, située entre les villes symboles de l’insurrection de Falloujah et Ramadi. « C’est vrai que certains civils ici nous haïssent. Ils ne comprennent pas notre travail, alors je prends le temps de leur expliquer », affirme « Ronny », âgé de 27 ans, qui a quitté l’armée après deux ans et demi pour un salaire deux fois supérieur en tant qu’interprète. « En plus ici, on a l’électricité et l’eau courante », souligne cet ancien culturiste. Ce confort a un prix : tous les interprètes peuvent citer les noms d’amis tués lors de patrouilles ou à la suite d’un enlèvement, mais ils refusent de céder à la peur. « Je me sens plus en sécurité ici, dans le camp, que chez moi à Bagdad. Le danger est partout, mais Dieu me protège », assure Peter, 32 ans, un chrétien qui, pour ne pas effrayer ses parents, leur a dit qu’il travaillait dans une entreprise au Kurdistan. Cet ancien étudiant en théologie, qui allait quatre fois par semaine à la messe, espère bénéficier d’une bourse pour étudier au Liban ou aux États-Unis, car, selon lui, « la situation ne va pas s’améliorer ici avant des décennies ». Thibauld MALTERRE (AFP)
Fanfaron attachant, vieux sage, ancien culturiste ou théologien, les interprètes irakiens travaillant avec l’armée américaine à Habaniyah ont en commun le sentiment d’accomplir une mission ou de prendre une revanche sur leur passé.
Tous le reconnaissent aisément, la rémunération très confortable pour l’Irak qu’ils touchent, 1 050 euros par mois, constitue leur...