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Papa, quand je serai grand, je ferai… collabo ?!

La lettre qui suit – un billet d’humeur, nous écrit l’auteur – son signataire s’est inspiré, pour la rédiger, des questions et des remarques de son fils, un adolescent de 16 ans. Simple mouvement de mauvaise humeur ? Il y a plus que cela dans cette missive. Et ils sont nombreux les Libanais qui auraient pu la signer... Non mais tu serais pas un peu maso papa, un peu con aussi à toujours croire aux grands principes ! Tu m’as cassé les oreilles pendant des années sur la nécessité d’être brave à l’école, de faire de bonnes études à l’université, de travailler dur sur soi-même pour devenir une personne hautement éduquée, à la moralité irréprochable. Tu as toujours insisté sur la notion du travail bien fait, du bien honnêtement acquis, du respect de l’autre, de l’attachement aux racines, de la tolérance et du libre arbitre, bref ce que tes propres parents t’avaient appris à toi, les « valeurs » et les « principes ». Mais enfin, t’avais besoin de lunettes ou quoi ? Ouvre les yeux, regarde-toi papa et regarde autour de toi, regarde ton voisin, papa, Dugland-le-collabo : compare un peu son parcours et le tien. Toi papa, t’as bossé comme un dingue pour accumuler des tas de diplômes, t’as passé des nuits blanches à potasser des examens et à présenter des concours ici et ailleurs, et t’as toujours pas un sou, pas d’appartement à toi, pas d’électricité chez toi, pas d’eau dans ton robinet pour te brosser les dents, une bagnole cabossée, pas de place à l’hôpital si t’as la crève, et j’en passe ! Lui, papa, Dugland-le-collabo, s’est contenté de cirer des pompes, de type « Ranger » de préférence, le style Gestapo quoi ! Ses seules références professionnelles sont sa confession et sa carte d’adhésion au parti machin chose dont l’idéologie remonte à l’ère jurassique et l’adresse sise au-delà des frontières avec ex-escale à Anjar. Sa mission déclarée, à Dugland-le-collabo, est de combattre le sionime, l’impérialisme, le capitalisme et tout un tas d’autres « ismes », tout en « capitalisant » sur une autre galerie d’« ismes » comme, par exemple, fanatisme, obscurantisme, suivisme et, surtout, crétinisme, qui restent son meilleur fonds de commerce pour garder la haute main sur ses con… citoyens. Pendant que toi, papa, encombré par tes diplômes et tes convictions, tu trébuchais et te cassais les dents, lui, papa, Dugland-le-collabo, s’est muni d’une brosse à reluire et s’en est servi dans les deux sens du poil, jusqu’à l’usure. Il en a même développé un « brush elbow », papa, une forme de tendinite du coude due à l’excès de brossage. Seulement lui, papa, il est multimillionnaire, il a un tas de résidences primaires et secondaires, un générateur d’électricité dans chacune d’entre elles, un puits privé pour ses jaccuzis, des gros 4x4 qui ne craignent pas les nids de poule, un médecin privé et j’en passe. Ça lui a donné tous les droits, papa, le brossage de pompes, comme celui de dépecer des montagnes pour les revendre en petits cailloux et se construire au passage des châteaux en Espagne et ailleurs pendant que tu rêvais d’avoir quatre murs à toi du côté de Baawerta. Ça lui a permis de squatter les rivages pour y construire ses marinas où ses yachts sont amarrés, d’avoir sa propre compagnie de téléphone qui t’envoie des factures plus salées que du jambon de Parme, sa « blanchisserie » de dollars et autres devises transitant par des officines style al-Madina, pendant que ton banquier s’étrangle pour 10 balles de découvert sur ton compte et te refuse le moindre petit crédit pour relancer ton boulot, sa « massagerie » à lui de chair fraîche caucasienne où tu ne mettrais jamais les pieds car, pauvre naïf, tu aimes encore ta femme ! Il se paie des vacances et des « voyages diplomatiques » dix, vingt fois par an, avec toute sa cour et sa basse-cour, à tes frais, papa, alors que tu rêves depuis des années de nous emmener quelques jours, maman et moi, revoir la Provence et y humer ses effluves de lavande. Enfin, pour couronner cette réussite, ne le voilà-t-il pas éternellement promu à des postes de haute responsabilité, Dugland-le-collabo, pour veiller à « sauver le pays » du chaos et de la gabegie, avec salaires pharaoniques et indemnités à vie prélevées sur les taxes que tu paies, toi, papa, pendant que les inspecteurs du fisc embauchés par ses bons soins viennent encore chercher la virgule qui manque dans ta déclaration d’impôts ? Patience disais-tu papa, un jour justice sera faite, ces salauds devront rendre gorge de tout ce qu’ils ont volé, de tous les coups de pied et de crosse qu’ils ont distribués aux honnêtes gens, ceux-là mêmes qui ont toujours refusé, contre vents et marées, de plier, de tourner casaque, ces résistants au quotidien, actifs ou passifs, jeunes ou âgés, célèbres ou anonymes. Oui, disais-tu, un jour viendra où « Mon général » débarquera en sauveur, comme De Gaulle jadis descendant les Champs-Élysées, à la Libération de la France. Alors, les Dugland-collabos et autres corbeaux, affolés, terrorisés, paniqués, éparpillés, seront enfin terrassés par l’ange de l’Apocalypse. Ils imploreront alors à genoux la miséricorde de leurs victimes, en vain, car ils seront à leur tour emprisonnés, jugés et condamnés, comme jadis les criminels nazis à Nuremberg ou plus récemment les Milosevic et autres Saddam. On leur fera recracher leur venin et jusqu’au dernier centime les milliards volés au « grand peuple du Liban ». La sentence sera terrible, pensais-tu, et jamais, au grand jamais après cela, un quidam quelconque n’osera envisager, ne serait-ce qu’un instant, la collaboration comme moyen d’accéder à la fortune et au pouvoir. Oh ! Je te connais bien, papa, tu ne ferais pas de mal à une fourmi, toi, et ce n’est pas par un quelconque et mesquin esprit de revanche que tu réclames leur jugement, mais c’est pour préserver l’avenir, disais-tu, pour « dératiser », « décloportiser » une bonne fois pour toutes, pour recommencer avec du propre, du neuf, du sain et éviter que dans dix ans, la même tragédie libanaise ne recommence. Quand son avion a atterri, tu as sorti ton drapeau, ton plus grand sourire et tu es allé l’accueillir ; tu as marché des kilomètres sous une chaleur torride, malgré ton bras dans le plâtre. Ah, je t’ai rarement vu si heureux, papa, pour une fois optimiste, et ça m’a fait plaisir. Seulement ton Zorro est revenu papa, et les Dugland-le-collabo sont toujours là. Ils sont partout, dans tous les coins et recoins, grouillant comme la vermine, encore plus riches, encore plus puissants, encore plus arrogants et toujours intouchables. Ils sont là, ils reprennent du poil de la bête, certains avec leur nouvelle veste, réélus triomphalement par les voix bêlantes du « grand peuple du Liban », d’autres ayant gardé l’ancienne de veste, pourquoi faire des frais inutiles, et ceux-là, les pires, les plus minables, les plus nauséabonds, sais-tu où ils sont papa ? Ils tiennent salon chez ton idole, oui celui-là même que tu es allé accueillir en agitant ton drapeau comme un gros benêt ! T’as vu comment ils te regardent maintenant, les collabos ? Comme ils te narguent ? Leur rictus moqueur, leurs ricanements d’hyènes affamées, leur air narquois, ah ils se marrent papa, ils se gaussent, ils se bidonnent,vautrés dans les fauteuils où tu espérais voir assis leurs juges. Nuremberg, disais-tu. Je vais t’en fiche des Nuremberg, conn..., qu’ils te disent, les collabos. Ils t’ont bien eu, papa, avec tes grands principes et ton veston usé jusqu’aux coutures parce que t’as jamais voulu le retourner ! Pauvre c…., ont-ils l’air de te dire, pion pion pion pion, comme ce pauvre Mathieu dans le film Les Choristes, t’as vraiment cru que ton « nouveau » Liban allait enfin voir le jour ? Pion pion pion pion, mais t’as pas encore pigé que ce paradis est fait pour nous, les charognards, les vautours ? On y dépèce nos proies, on les ronge jusqu’à l’os et elles en redemandent, t’as qu’à voir les élections, passées, présentes et à venir ! Pion pion pion pion, ton « nouveau » Liban et son « grand peuple », les quelques naïfs qui y ont cru un peu trop fort, les Gebran et les Samir, sont maintenant six pieds sous terre, et nous, les Dugland-collabos, passés, présents et futurs, on est là, toujours là, plus que jamais là, à tout jamais là, à danser la sarabande des sorcières sur vos dépouilles d’honnêtes gens, « pauvre con, si mignon, on y danse, on y danse, pauvre con, si mignon, on y danse tous en rond »…. Hahahahahha !… Ils sont toujours là, les collabos, papa, toujours là, plus que jamais là, comme si de rien n’était, toujours prêts à retourner veste et culotte dans la direction du vent, à proposer leurs bons offices au plus offrant, sans aucun scrupule ni crainte d’être un jour jugés et punis, ils sont là papa, toujours là, plus que jamais là et toi papa, tu a l’air si las ! Papa, je t’aime, mais l’éducation que tu m’as donnée, les valeurs que tu m’as inculquées, c’est de la m…. en compote. Quand je serai grand, je ferai… collabo, ça c’est un beau métier au Liban, débouchés garantis à vie, hein papa ? Tiens ! Tu t’es acheté une nouvelle valise, papa ? Marc CHARTOUNI Aïn Saadé
La lettre qui suit – un billet d’humeur, nous écrit l’auteur – son signataire s’est inspiré, pour la rédiger, des questions et des remarques de son fils, un adolescent de 16 ans. Simple mouvement de mauvaise humeur ? Il y a plus que cela dans cette missive. Et ils sont nombreux les Libanais qui auraient pu la signer...

Non mais tu serais pas un peu maso papa, un peu...