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Téhéran mène une politique discriminatoire au Khuzestan pour des raisons économiques et stratégiques Ahwaz, ou les malheurs des Arabes persécutés en Iran

Bien que la population de la République islamique soit en majorité d’origine perse, la société iranienne est en réalité l’une des plus multiethniques dans le monde puisque cohabitent en son sein des Perses, des Kurdes, des Azéris, des Baloutches, des Turkmènes et des Arabes. Ces derniers, à majorité chiite, vivent dans la province du Khuzestan et figurent parmi les peuples les plus persécutés au monde, et cela depuis l’invasion de leur territoire – autrefois connu sous le nom d’Ahwaz – en 1925 par les troupes du chah Reza Khan. Situé au sud-ouest de l’Iran, dans une région frontalière de l’Irak et du Koweït, al-Ahwaz, le Khuzestan ou l’Arabistan – terme persan pour désigner le caractère arabe de la région – est aujourd’hui l’une des provinces iraniennes les plus pauvres, et ce, bien que son sol regorge de richesses naturelles, essentiellement pétrolières. En effet, depuis son annexion par l’Iran, la région est injustement exploitée par le gouvernement et les Arabes d’Ahwaz, qui forment près de 8 % de la population iranienne et vivent dans la plus grande misère. La situation s’est aggravée entre cette communauté minoritaire et le gouvernement après la révolte d’avril 2005 déclenchée par la découverte d’une lettre classée « top secret » de l’ancien vice-président sayyed Mohammad Ali Abtahi, dans laquelle il dresse un plan à moyen terme pour la « restructuration ethnique » du Khuzestan. Le gouvernement iranien prévoyait de réduire à un tiers la population arabe dans la province pétrolière en élargissant son plan de confiscation des terres, obligeant ainsi les Arabes à quitter leurs foyers pour rejoindre de nouvelles provinces à caractère plus persique. Bien que le gouvernement iranien ait démenti l’existence de cette lettre, qui avait filtré dans la presse internationale, les habitants d’Ahwaz y ont vu une preuve concrète de la persécution dont ils sont victimes depuis des décennies et sont donc descendus par milliers dans les rues de la province pour manifester contre leurs conditions de vie misérables. Selon Amnesty International et Human Rights Watch, plus de soixante hommes, femmes et enfants ont été tués lors de cette marche pacifique quand les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants. Plusieurs centaines d’Arabes iraniens ont également été emprisonnés et des dizaines de personnes ont été exécutées. La répression de cette « révolte » n’a fait qu’alimenter le sentiment d’injustice chez la communauté arabe d’Iran. Ces derniers mois, la ville d’Ahwaz, dans la province du Khuzestan, a connu une série d’attentats à la bombe qui ont fait une dizaine de morts. Le gouvernement a immédiatement condamné ces attaques, accusant les « séparatistes » arabes, soutenus par les Britanniques, d’être derrière ces actes de violence meurtriers. Mais cette thèse a été contestée par plusieurs analystes, dont le réformiste Moustapha Moin, qui, dans une entrevue au quotidien britannique The Guardian, a affirmé que ces attaques ont été perpétrées dans le but d’alimenter le sentiment nationaliste chez les Iraniens contre les mouvements arabes au Khuzestan et contre les « ingérences » étrangères, notamment britanniques, dans la région. Racisme et « persianisation » Les Arabes d’Ahwaz sont victimes de discrimination raciale et ethnique depuis plus de 80 ans en Iran. Cette communauté minoritaire, qui est surtout composée de paysans et d’agriculteurs, vit dans la plus grande pauvreté, et souffre d’un taux élevé d’analphabétisme et de chômage. Alors que près de 18 % des Iraniens sont illettrés, plus de 60 % des Arabes iraniens ne savent ni lire ni écrire. Dans les zones rurales, le taux d’analphabétisme chez les femmes arabes atteint même les 100 %. Par ailleurs, la langue arabe a été bannie dans les écoles, et les noms des villes, villages et rues de la province ont été « persianisés » dans le but d’effacer toute trace du caractère arabe de la région. Aujourd’hui, la plupart des grandes villes du Khuzestan ont un double nom, l’un en arabe et l’autre en perse. La ville de Howeizieh est ainsi devenue « Dacht Bani-Turouf », Fallahiyé est désormais connue sous le nom de « Chadegan » et Mohammarah est devenue « Khorramchahr ». Pour le rapporteur spécial de ONU-Habitat, Miloun Kothari, la situation au Khuzestan est alarmante. « Il existe dans la ville d’Ahwaz des milliers de personnes vivant au milieu des ordures, sans accès à l’eau potable, sans électricité et sans chauffage… C’est incompréhensible ! Pourquoi certains groupes en Iran bénéficient de services de base plus que d’autres ? » M. Kothari affirme également avoir vu des projets de construction de colonies et de plantations de canne à sucre au Khuzestan. « Entre 200 000 et 250 000 d’Arabes devront quitter leurs villages à cause de ces projets », assure-t-il. Plus encore, le gouvernement iranien encourage les Perses à s’installer sur des terres confisquées aux paysans arabes du Khuzestan en menant une vaste campagne publicitaire dans les villes. Le gouvernement leur promet des appartements meublés luxueux à très bon marché dans la province, alors que les Arabes iraniens, eux, y vivent dans des quasi-bidonvilles. Motivations politico-économiques Il existe trois explications principales à la politique discriminatoire iranienne envers les Arabes d’Ahwaz. Comme la province du Khuzestan renferme plus de 90 % des réserves pétrolières iraniennes et 10 % de la production totale de l’OPEC, cette terre, qui appartient historiquement aux paysans arabes, représente un enjeu économique majeur pour le pays. Sous la menace de sanctions internationales en raison de son programme nucléaire, l’Iran brandit la seule arme qu’il possède : le pétrole. Il est donc indispensable pour le gouvernement iranien d’avoir le plein contrôle sur ce territoire si riche en or noir. Mais le Khuzestan est aussi une région politique et militaire de grande importance. En effet, après la chute du régime baassiste de Saddam Hussein et l’invasion américaine de l’Irak en 2003, Ahwaz est une zone stratégique incontournable pour la République islamique. Cette région, particulièrement proche de la ville irakienne de Bassora, aujourd’hui sous le contrôle des troupes britanniques, a également joué un rôle important lors de la guerre irako-iranienne dans les années 80. Daniel Brett, président de la British Ahwazi Friendship Society, une organisation qui travaille à sensibiliser la communauté internationale sur les discriminations au Khuzestan, accuse le gouvernement iranien de vouloir expulser les Arabes de la province afin de créer une zone militaire sur plus de 5 000 km2 aux abords de Chatt el-Arab dans le but d’élargir son influence sur les autorités de Bassora, en Irak. M. Brett assure que cette zone « militaire » pourrait être utilisée pour entraîner, soutenir et organiser des milices fidèles à Téhéran. Le gouvernement iranien a pendant très longtemps considéré les Arabes d’Ahwaz comme des êtres inférieurs, dû à leur manque d’éducation, et comme des « traîtres », étant donné que nombre d’entre eux s’étaient alliés à Saddam Hussein dans les années 80. Plusieurs avaient fui l’Iran vers l’Irak où ils y vivent toujours en tant que réfugiés. Aujourd’hui, ils sont toujours passibles de la peine de mort s’ils retournent dans leur pays. Rania MASSOUD
Bien que la population de la République islamique soit en majorité d’origine perse, la société iranienne est en réalité l’une des plus multiethniques dans le monde puisque cohabitent en son sein des Perses, des Kurdes, des Azéris, des Baloutches, des Turkmènes et des Arabes. Ces derniers, à majorité chiite, vivent dans la province du Khuzestan et figurent parmi les...