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Actualités - RENCONTRE

Dans les villages chrétiens de la bande frontalière, l’amertume mêlée de révolte a fait place à l’indifférence Six ans après le retrait israélien, le Liban-Sud attend toujours le développement et le déploiement de l’armée

La bande frontalière agonise. Six ans ont passé après le retrait des troupes israéliennes du Liban-Sud et la zone attend toujours les grands projets de développement, le déploiement de l’armée à la frontière ou encore d’éventuels accords de paix. Les villages chrétiens de la zone, que ce soit dans les cazas de Tyr, Bint Jbeil ou Marjeyoun, vivent au ralenti. Avec le temps, l’amertume mêlée de révolte des chrétiens de la bande frontalière a laissé place à l’indifférence, au désespoir, voire à l’apathie. C’est que, de 1978 à 2000, ils ont rêvé de l’État libanais. Mais la réalité était bien loin, beaucoup trop loin, de ce qu’ils avaient souhaité. Les villages chrétiens du Sud vivotent. Leurs habitants n’évoquent pas spontanément – occultent presque – les « dossiers politiques » qui les touchent directement, comme le déploiement de la troupe tout le long de la ligne bleue, le retour de ceux qui ont fui en Israël, il y a six ans, ou encore l’accès interdit à certains de leurs terrains, classés zone militaire par le Hezbollah. Ils veulent des projets, des entreprises, des commerces et des usines qui génèrent de l’argent et qui puissent remplacer les millions de dollars qui étaient injectés chaque mois dans la zone par le biais des structures installées par l’occupant israélien (Armée du Liban-Sud, « administration civile », main-d’œuvre libanaise employée en Galilée…). En semaine, hors de la saison estivale, vous ne trouverez quasiment pas de restaurant ouvert à midi à Aïn Ebel, village chrétien du caza de Bint Jbeil. Et dans la rue principale de la localité, la moitié, même un peu plus, des rideaux de fer des magasins sont baissés. C’est qu’à l’instar d’autres localités de la zone, Aïn Ebel se vide petit à petit de ses habitants. « À la base, le village comptait un grand nombre d’émigrés établis depuis longtemps dans les pays arabes, en Amérique et en Australie. Avant le départ des troupes israéliennes, Aïn Ebel comptait 1500 habitants qui restaient sur place toute l’année », indique le prêtre de la paroisse, Hanna Sleimane. « Ce n’est plus le cas actuellement, car depuis le retrait des soldats de l’État hébreu, en moyenne chaque année cinq à six familles quittent le village pour s’établir à Beyrouth », poursuit-il. Ça commence avec un fils qui part pour suivre des études ou trouver du travail en ville... La famille le suit au bout de quelques mois. Ces familles ont vécu sous l’occupation, mais c’est bien après la libération du Liban-Sud qu’ils quittent leur village natal. Pour Gergès qui travaille dans le commerce de gros, l’équation est simple : « Ceux qui ont actuellement 21 ans et qui cherchent du travail avaient 15 ans quand les troupes israéliennes avaient évacué le Sud… Avant, il y avait de l’emploi pour tout le monde », dit-il, soulignant à l’instar de beaucoup d’habitants du village que « les originaires de la bande frontalière, de Aïn Ebel, de Debel ou de Rmeich ne travaillaient pas tous dans les structures mises en place par l’État hébreu, mais profitaient de l’argent dépensé dans la zone. Les commerçants, les garagistes, les forgerons, les artisans… bref, personne ne chômait ». « Moi-même, je faisais dans le commerce des produits alimentaires environs 6 000 dollars par mois rien qu’en couvrant deux ou trois villages ; aujourd’hui, c’est à peine si je gagne en moyenne 500 dollars mensuellement », affirme-t-il. Ventes de terrains et zones militaires Noha, qui tient une boutique de prêt-à-porter, raconte qu’elle a « vendu pour les Rameaux seulement trois pièces pour enfants ». « Nous sommes en train de mourir à petit feu », soupire-t-elle. « Les gens partent pour Beyrouth et les maisons se ferment progressivement. Il y a quelques années, le village grouillait de monde », dit-elle. « Les familles qui arrivent à vivre plus ou moins correctement actuellement à Aïn Ebel sont uniquement celles dont l’un des membres travaille auprès de la Finul ou dans le secteur public, les écoles notamment », ajoute-t-elle. Concernant le travail, le prêtre de la paroisse est du même avis. Il met aussi l’accent sur le fait que par rapport à d’autres villages de la zone, Aïn Ebel ne comptait pas beaucoup d’habitants qui avaient rejoint les rangs de l’ALS ou encore « l’administration civile » mise en place par les troupes israéliennes. Il raconte également qu’un certain nombre d’habitants sont en train de vendre leurs terrains à des personnes étrangères au village. Le père Hanna ne parle pas spontanément de dossiers qu’il juge « politiques ». Mais on saura par exemple qu’une trentaine de familles – soit environ 250 personnes – ne sont toujours pas rentrées d’Israël, et que sept ou huit enfants dont les parents sont originaires de Aïn Ebel sont nés au cours de ces six dernières années dans l’État hébreu. Il n’est pas le seul à souligner qu’environ dix pour cent des terrains agricoles de Aïn Ebel sont inaccessibles à leurs propriétaires car le Hezbollah les a classés zone militaire et que les villages musulmans alentour n’achètent pas des produits alimentaires en provenance du village ou d’autres localités chrétiennes de Bint Jbeil. Le père Hanna et d’autres habitants du village indiquent aussi que certains postes dans la fonction publique ne sont toujours pas accessibles aux originaires de la bande frontalière, racontant à l’appui l’histoire d’un jeune homme de Aïn Ebel dont la demande de rejoindre l’armée a été rejetée car ce garçon était né en Israël : sa mère a accouché sous l’occupation dans un hôpital de l’État hébreu. Même s’il souligne avec amertume que le Liban et sa bande frontalière n’ont quasiment pas connu la paix depuis 1943, citant des dates-clés comme la « naqba » de 1948, et la guerre des Six-Jours en 1967, le père Hanna garde espoir. Il met l’accent sur des projets à venir. Par exemple, la construction en cours, grâce à Caritas, d’un pressoir d’olives ou encore la prochaine inauguration d’un hôpital à Aïn Ebel financé par l’évêché maronite de Tyr. Le prêtre maronite de Aïn Ebel croit à la paix qui fera de la bande frontalière une zone prospère du pays. « Nous deviendrons, dit-il, la porte du Liban. » Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, voire jusqu’en janvier 2000, un bon nombre d’habitants de la bande frontalière ont imaginé – on ne sait pour quelles raisons – qu’Israël n’évacuera pas sa zone de sécurité créée au Liban-Sud avant la signature d’un accord de paix. Ils se sont trompés. C’est pour cette raison et pour beaucoup d’autres – qui traînent depuis que les fedayine ont commencé à agir librement à la fin des années soixante dans la bande frontalière, voire depuis la création de l’État d’Israël – qu’ils sont en train de payer le prix. Patricia KHODER
La bande frontalière agonise. Six ans ont passé après le retrait des troupes israéliennes du Liban-Sud et la zone attend toujours les grands projets de développement, le déploiement de l’armée à la frontière ou encore d’éventuels accords de paix. Les villages chrétiens de la zone, que ce soit dans les cazas de Tyr, Bint Jbeil ou Marjeyoun, vivent au ralenti. Avec le...