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Actualités - CHRONOLOGIE

Débat – Hommage au journaliste disparu à l’initiative de l’Académie de Lyon, en partenariat avec les Universités Jean Moulin et Lumière, et l’École normale supérieure de la ville

Conférence de Michel Hajji Georgiou à Lyon sur l’apport de Samir Kassir à la nouvelle « nahda » arabe Le rôle de Samir Kassir en tant que médiateur politico-culturel entre les pays arabes et le monde occidental, ainsi que son apport essentiel à la nouvelle « nahda » arabe ont été les grandes lignes directrices de la journée de débats et de conférences qui a été organisée à Lyon, mercredi, en hommage au journaliste disparu, assassiné le 2 juin 2005 dans un attentat terroriste à Achrafieh. S’inscrivant dans le cadre du cycle interuniversitaire lyonnais « Laïcité et faits religieux », cette journée a été initiée par l’Institut universitaire de formation de maîtres (IUFM) de l’Académie de Lyon, en partenariat avec l’Institut européen en sciences des religions, l’Université Jean-Moulin - Lyon 3, l’Université Lumière - Lyon 2 et l’École normale supérieure de Lyon. Après un film documentaire sur Samir Kassir, notre collègue Michel Hajji Georgiou et M. Ziad Maged (membre de la Gauche démocratique) ont exposé et analysé l’œuvre intellectuelle de Samir Kassir, mettant l’accent sur sa dimension de penseur, d’homme d’action et de journaliste, « qui était un passionné, au sens hégélien du terme, et qui est parvenu à trouver l’équilibre parfait entre idéalisme et sens du concret », comme l’a souligné M. Hajji Georgiou dans son intervention. Cet hommage a été suivi d’une table ronde sur l’un des ouvrages du journaliste disparu, Considérations sur le malheur arabe. La réflexion engagée par Samir Kassir au sujet de la situation présente des populations arabes et du chemin à suivre afin de stimuler la « nahda » (renaissance) a été au centre de l’analyse présentée par Michel Hajji Georgiou qui a notamment souligné que « l’œuvre de Samir Kassir est celle d’un médiateur (culturel et politique) qui cherche à expliquer aux Arabes, mais aussi au monde entier (notamment à l’Occident), qu’ils peuvent se réapproprier leur histoire et sortir du malheur, en renouant avec l’expérience de la nahda, de la révolution culturelle arabe ». Se rappelant les deux années au cours desquelles il avait eu Samir Kassir comme professeur à l’USJ, M. Hajji Georgiou a relevé qu’au moment où le Liban « suffoquait sous la chape de plomb syrienne, (il) parlait à ses étudiants de la renaissance arabe, en rêvant de printemps arabe, de liberté et de modernité ». « Transmettre à ses étudiants le souffle “nahdawi” était un bonheur suprême pour lui », se souvient M. Hajji Georgiou, qui souligne que le journaliste disparu menait son combat – ayant pour leitmotiv « le pluralisme, la diversité culturelle, la démocratie, les droits de l’homme et la liberté » – en optant pour « la force de la culture et de la conscientisation des masses arabes », plutôt que pour une « greffe occidentale artificielle, comme le dénote son opposition ferme à l’invasion américaine en Irak ». Une nouvelle lecture de la « nahda » Comme l’avait fait Charif Majdalani dans un article publié dans le numéro spécial de L’Orient-Express, l’an dernier, Michel Hajji Georgiou a exposé la nouvelle lecture de la « nahda » apportée, de façon avant-gardiste, par Samir Kassir. Une lecture qui remet en question la vision « traditionnelle et statique » que l’on se fait généralement de l’évolution historique de la culture arabe et qui divise cette évolution en quatre époques différentes : la « jahiliyya » (période antéislamique) ; l’âge d’or (qui s’étend de l’apparition de l’islam jusqu’à la fin de l’époque des Abbassides) ; la décadence (« aasr el-inhitate », qui coïncide historiquement avec les époques mamelouke puis ottomane) ; et enfin la renaissance ou « nahda ». « Samir Kassir rejette cette “périodisation essentialiste” parce qu’elle suppose que les périodes de métissage culturel (mamelouke, ottomane et la “ nahda ”) dans ce cycle sont des périodes de décadence », souligne M. Hajji Georgiou, qui ajoute sur ce plan : « On peut imaginer, dès lors, la justification que cette lecture (statique et traditionnelle) apporte aux mouvements fondamentalistes dans l’islam, justification qui leur permet d’invoquer un nécessaire retour aux sources, au mythe de la pureté originelle qui remonte pour eux au VIIe siècle, à l’âge des premiers califes. Et c’est précisément cette fixation sur un âge d’or idéalisé, fantasmé, qui est à la base du malheur arabe. Or, la nouvelle lecture que propose Samir Kassir n’est pas divisée en quatre phases, mais elle est plutôt linéaire. Elle s’étend de la “jahiliyya” à l’invasion israélienne de 1982, qui marque, selon lui, l’écrasement de l’aventure de la “nahda” par l’annihilation de la capitale de la diversité et du métissage culturel par excellence dans le monde arabe, que constitue encore à l’époque Beyrouth. » « Cette lecture, tout à fait nouvelle, est loin d’être innocente, poursuit M. Hajji Georgiou. Elle réhabilite les apports mamelouks et ottomans à l’identité arabe, et oppose donc métissage culturel, devenu aussitôt vecteur de modernité, puisque annonciateur de la “nahda”, au passéisme rigide de l’uniformité culturelle arabo-musulmane, qui sert de fond de commerce aux régimes despotiques, issus des courants nationalistes arabes, et aux mouvements intégristes. Samir Kassir se fait donc le défenseur d’une acculturation arabe et, au passage, se permet d’innocenter la “nahda”, longtemps considérée comme un échec dans l’inconscient collectif arabe. Au contraire, soutient-il, la période de la “nahda”, à travers les apports extérieurs dont elle est témoin et qui sont assimilés à la culture arabe – sous l’impulsion de la vision ouverte et réformatrice de l’Empire ottoman, et non de l’Occident –, aurait pu être l’occasion en or pour les Arabes d’entrer dans le cours de l’histoire, de façonner l’histoire, la leur. D’ailleurs, elle ne meurt pas au XIXe siècle, mais continue d’inspirer artistes et penseurs sous le signe de la modernité jusqu’à la fin du XXe siècle. » La dimension « nahdawie » de l’intifada de l’indépendance Abordant ensuite le rôle-clé joué par Samir Kassir dans l’intifada de l’indépendance, M. Hajji Georgiou relève que le journaliste disparu en a immédiatement saisi « la dimension “nahdawie” et son importance au niveau du monde arabe tout entier » du fait que cette révolution du Cèdre a constitué le « premier soulèvement populaire pacifique, civique et démocratique dans le monde arabe contre la tyrannie », de même qu’elle a représenté un mouvement de changement qui a porté en lui « les germes de la création d’un état civil ». Un mois après le rassemblement historique du 14 mars 2005, rappelle M. Hajji Georgiou, Samir Kassir signe un important éditorial (« Intifada dans l’intifada ») appelant la classe politique libanaise à « un autre genre d’insurrection, contre elle-même cette fois, pour ouvrir la voie à l’établissement d’une citoyenneté et d’un état civil au Liban ». Soulignant que « la mort de Samir Kassir dans la foulée du printemps de Beyrouth marque la disparition de la première figure symbolique d’une nouvelle “nahda” en devenir progressif », M. Hajji Georgiou a achevé son exposé, non sans émotion, par une envolée lyrique teintée de passion : « Le rêve de Samir Kassir est voué à se réaliser, n’en déplaise à ses assassins. Des oliviers de Galilée aux roses trémières et au jasmin de Damas, l’histoire arabe en marche a inéluctablement des senteurs de printemps. L’air de la liberté est inoxydable. La culture restera plus forte que toutes les barbaries. La pensée libérée triomphe toujours de la mort. Et, surtout, de ses bourreaux. » Dont acte … M. T.
Conférence de Michel Hajji Georgiou à Lyon sur l’apport
de Samir Kassir à la nouvelle « nahda » arabe

Le rôle de Samir Kassir en tant que médiateur politico-culturel entre les pays arabes et le monde occidental, ainsi que son apport essentiel à la nouvelle « nahda » arabe ont été les grandes lignes directrices de la journée de débats et de conférences qui a été...