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Actualités - OPINION

Commentaire La militarisation des Andes

Par Juan Gabriel TOKATLIAN* Alors que le monde entier a les yeux rivés sur l’Irak, le Plan Colombie, conçu par les États-Unis pour lutter contre le narcotrafic et les guérillas de gauche en Colombie, est une stratégie qui pourrait bientôt être mise en œuvre dans tous les pays des Andes, voire dans toute l’Amérique latine. Il n’est question de la Colombie en ce moment qu’au sujet de la possible réélection du président Alvaro Uribe ce mois-ci. Dans ce contexte, la propagation du Plan Colombie, malgré des résultats peu concluants, passe inaperçue. Lorsqu’il a été présenté en 2000, le Plan Colombie avait deux raisons d’être : s’attaquer à la production et à l’exportation de stupéfiants, et renforcer la campagne de lutte contre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). À l’époque, les États-Unis considéraient que ces deux menaces de plus en plus liées risquaient, sans réaction militaire appropriée, d’entraîner la faillite de l’État colombien. De fait, la Colombie, qui avait reçu 1,4 milliard de dollars des États-Unis entre 1989 et 1999 pour lutter contre le narcotrafic, n’avait toujours pas résolu le problème. Pire encore, les FARC ne faisaient que renforcer leur influence économique, territoriale et militaire. Entre 1995 et 1998, l’armée colombienne a connu sa période la plus terrible – victimes, captures et embuscades – en quatre décennies de guérilla. Suite aux attentats du 11-Septembre 2001 et à la réaction du gouvernement Bush, la « guerre contre le terrorisme » a atteint la Colombie. Après trois années sans succès, les tentatives de dialogue entre le gouvernement d’Andrés Pastrana, prédécesseur d’Uribe, et les FARC ont pris fin en février 2002, avec une nette internationalisation du conflit du fait de l’intervention indirecte massive des États-Unis. Entre 2000 et 2005, Washington a versé près de 4 milliards de dollars à la Colombie, dont environ 75 % pour l’armée et la police, et a augmenté sa présence sur le terrain de 800 soldats et 600 agents de sécurité privés. La Colombie occupe désormais la cinquième place au classement mondial des pays recevant une aide des États-Unis. La politique américaine était (et est encore) axée sur une « guerre contre la drogue », qui doit être livrée avant tout par les Colombiens eux-mêmes. Mais c’est aussi aux Colombiens qu’il appartient de mener la « guerre contre le terrorisme » en Amérique latine. Les États-Unis se contentent de soutenir l’État colombien pour éviter de faire des victimes américaines sur un nouveau front et de trop accroître les engagements de leur armée. En tant que stratégie de lutte contre le narcotrafic, le Plan Colombie est un échec manifeste. Malgré l’éradication chimique par le gouvernement colombien de 523 000 hectares de coca entre 2000 et 2004, 114 000 hectares étaient encore cultivés l’année dernière. Et en dépit de l’extradition par le gouvernement Uribe de 304 ressortissants colombiens et de 11 étrangers (la plupart vers les États-Unis) entre 2002 et 2005, le crime organisé lié au narcotrafic continue de prospérer en Colombie. Certes, les grands cartels n’existent plus. Le narcotrafic s’est « démocratisé » avec la multiplication des « cartelitos ». On peut aujourd’hui se procurer des drogues (naturelles et synthétiques) moins chères et plus pures qu’il y a quinze ans, pendant l’âge d’or des barons de Medellin. Les résultats du volet antiterroriste du Plan Colombie sont tout aussi mitigés. Il est vrai que l’armée colombienne a été considérablement renforcée au cours des cinq dernières années, sur le plan des capacités, du déploiement et de la crédibilité auprès du public. Jusqu’en 2002, environ 3 000 enlèvements étaient signalés chaque année ; en 2005, grâce aux efforts du gouvernement, il y en avait moins d’un millier. Entre 2000 et 2004, l’Armée de libération nationale (ELN) a été très affaiblie, et les FARC se sont retirées dans une zone moins importante, réduisant nettement leur potentiel. Pourtant, si l’ELN a été vaincue sur le plan stratégique, ce n’est pas le cas des FARC. Bien au contraire, depuis 2005, elles multiplient les attaques. Par ailleurs, la Colombie n’a pas véritablement retrouvé sa souveraineté territoriale dans les zones contrôlées par des groupes armés de droite, comme les Autodéfenses unies (AUC). L’immunité de poursuites, octroyée implicitement aux paramilitaires en échange de leur démobilisation, n’a pas eu les effets attendus. En cinq ans, le Plan Colombie, qui s’inscrit dans une lutte simultanée contre deux fléaux – la drogue et le terrorisme –, n’a donné que des résultats insuffisants et incertains. Les responsables n’ont pas pour autant remis leur tactique en question. Bien au contraire, les États-Unis et le gouvernement Uribe considèrent l’expérience colombienne comme un « modèle » à reproduire partout dans les Andes pour empêcher la faillite de l’État dans d’autres pays voisins. Les États-Unis ont déjà commencé à exporter ce « modèle ». En Équateur, ils sont implantés militairement par le biais de la rénovation de la base aérienne et navale de Manta. Au Pérou, ils continuent de faire pression sur le gouvernement pour abattre des avions soupçonnés de liens avec le narcotrafic. En Bolivie, ils essayent de convaincre le nouveau gouvernement d’Evo Morales de poursuivre une offensive contre la drogue vouée à l’échec. Pourtant, comme en Colombie, la militarisation de la « guerre contre la drogue » et de la « guerre contre le terrorisme » ne semble pouvoir apporter que des problèmes supplémentaires. * Juan G. Tokatlian dirige le département des sciences politiques et des relations internationales à l’Université San Andrés de Buenos Aires, en Argentine. © Project Syndicate, 2006. Traduit de l’anglais par Emmanuelle Fabre.

Par Juan Gabriel TOKATLIAN*

Alors que le monde entier a les yeux rivés sur l’Irak, le Plan Colombie, conçu par les États-Unis pour lutter contre le narcotrafic et les guérillas de gauche en Colombie, est une stratégie qui pourrait bientôt être mise en œuvre dans tous les pays des Andes, voire dans toute l’Amérique latine. Il n’est question de la Colombie en ce...