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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Ara Ardzrouni, dramaturge en langue arménienne Pour une humanité libre et sans masque

Sobre et s’exprimant avec quelque réserve, costume sombre, profil à la Curd Jurgens avec tempes argentées, voilà un écrivain en langue arménienne qui vit à Zalka et dont l’œuvre a de l’ampleur et bénéficie déjà d’une grande audience. Né en 1932 à Beyrouth, Ara Ardzrouni se considère plus dramaturge que romancier ou chroniqueur, selon ses propres aveux, tout en ayant frayé avec toutes les disciplines littéraires. En bon Arménien, il est bien entendu, pour le côté pratique et financier de la vie, un commerçant qui connaît parfaitement les rouages du prêt-à-porter féminin ! Négoce sans pour autant ignorer ou négliger la culture… Intellectuellement autodidacte, son histoire avec l’écriture est certes bien ancienne et ne se concrétise pourtant que vers ses trente-deux ans. Aujourd’hui, à son actif, des nouvelles dont Dzidzernag (L’hirondelle) en 1969, des chroniques intitulées Sur les traces du génocide (1972) et quatre pièces de théâtre, Je suis à la fois victime et bourreau. Des pièces pour la plupart représentées avec des metteurs en scène connus: Zohrab Yacoubian, Levon Khankaldian et Armen Mehrapian. Des pièces se rattachant au répertoire absurde contemporain, aux titres éloquents : Zanke (La cloche), Moujeigh (Le moustique), Khozag (Le cocon) et Mialar Yeradoutioun (Musique monocorde déjà traduite en langue arabe). Quant aux romans, il y a ses œuvres publiées déjà par la revue littéraire Ardziv et qui forment un ensemble où réalité, fiction, constat, analyse, dénonciation et témoignage ont des liens à la fois solides et secrets. Romans qui ont eu la faveur du public arménophone et de la presse de la diaspora arménienne : Dzovinar, Esbiner (Les cicatrices) et Hertzof. Et cela sans parler des écrits parus dans les revues littéraires Pakine et Ardziv… Apport de la littérature arménienne Une littérature arménienne florissante, née au pays du Cèdre, mais qui n’est, hélas – lacune impardonnable – traduite ni en arabe ni en d’autres langues étrangères, lui permettant ainsi d’avoir une appartenance et une intégration plus réelles et plus tangibles à la culture plurilinguiste libanaise. L’œuvre d’Ara Ardzrouni s’inscrit dans la lignée de la littérature de combat. Combat pour la dignité, l’identité et l’authenticité des êtres. Combat contre le mal de la tyrannie, des dictatures, des gouvernants ivres de pouvoir. Mais aussi combat pour l’épanouissement de l’être et le refus sclérosant des conventions sociales asphyxiantes. Refus surtout du port de masques. Pour soi et pour les autres. Ara Ardzrouni, loin de toute poésie (il avoue sans ambages qu’il n’a jamais été tenté par l’univers du Parnasse), revendique, haut et ferme, le droit à la liberté et la transparence. C’est en termes simples et clairs qu’il confesse : « J’ai beaucoup écrit et ma carrière a commencé par des critiques théâtrales dans des revues arméniennes de Beyrouth. Le thème de mes écrits, c’est la violence. La dénonciation de la violence de l’homme perpétrée sur ses pairs. D’où d’ailleurs le titre de mes pièces rassemblées en un seul volume, Je suis à la fois victime et bourreau. La littérature d’expression arménienne est répandue bien sûr en Arménie mais aussi dans la diaspora, comme aux États-Unis, le Canada, la France, le Liban et la Syrie. Je considère qu’écrire en arménien rejoint les préoccupations des écrivains du monde entier, sauf que l’audience est limitée à un cercle étroit. Surtout que pour un dramaturge, les mots n’atteignent pas les scènes étrangères en cette ère de mondialisation… Mon théâtre est influencé par le théâtre de l’absurde, j’ai lu Beckett, Adamov, Ionesco. J’ai vu plus de 60 fois à l’Athénée à Paris Les chaises et La leçon et j’apprécie le théâtre de Jean Genêt – mais il y a aussi du symbolisme. J’écris comme je le ressens, cela peut être de l’absurde mais aussi parfaitement symboliste ! Si la musique n’a pas toutes mes faveurs et ne me remue pas en profondeur, par contre la peinture me passionne et les images se coulent dans ma littérature… » À la question de savoir si « un écrivain arménien peut écrire sans évoquer le génocide ? » Ara Ardzrouni affirme : « Ma génération ne peut pas écrire sans faire intervenir le génocide, en général indirectement… J’ai de toute façon encore beaucoup de choses à dire et ce n’est guère un effet du hasard si ma dernière œuvre s’intitule Le roman inachevé… » Beyrouth a toujours porté haut le flambeau de la langue arménienne. À titre de rappel historique, Ara Ardzrouni, lauréat du prestigieux prix littéraire V et V Jerejian pour l’année 2004-2005, précise : « Avant le génocide, Tiflis et Istanbul étaient les centres de rayonnement culturels. Après l’ère communiste, les regards se sont tournés vers Paris. En 1945, c’est Beyrouth qui s’est transformé, pour la diaspora, en centre de la culture arménienne. Ensuite, un petit moment est accordé pour Los Angeles et Montréal. Ces dix dernières années, Beyrouth a émergé à nouveau, sans oublier l’importance d’ Alep… La preuve, du 5 au 9 avril courant, cent trente écrivains arméniens du monde entier se sont réunis au catholicossat d’Antélias. » Et quel conseil donnerait Ara Ardzrouni, en tant que doyen de la littérature arménienne à Beyrouth, à tout jeune qui rêve de changer le monde avec sa plume ? « Que l’on écrive en gardant l’objectivité. Il faut être au-dessus des problèmes politiques et des discussions partiales. Ne jamais se soumettre à un système. Libre, surtout être libre… » Edgar DAVIDIAN
Sobre et s’exprimant avec quelque réserve, costume sombre, profil à la Curd Jurgens avec tempes argentées, voilà un écrivain en langue arménienne qui vit à Zalka et dont l’œuvre a de l’ampleur et bénéficie déjà d’une grande audience. Né en 1932 à Beyrouth, Ara Ardzrouni se considère plus dramaturge que romancier ou chroniqueur, selon ses propres aveux, tout en...