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Actualités - OPINION

COMMENTAIRE Le nouveau gouvernement bientôt paralysé ?

Par Guido TABELLINI* Depuis plus d’une décennie, l’Italie connaît un système politique bipolaire. Les électeurs doivent choisir entre une coalition de gauche et une coalition de droite. Les déçus du gouvernement en place peuvent choisir l’opposition. L’existence d’une véritable alternative permet de discipliner les politiciens : ce n’est pas par hasard que le gouvernement de Berlusconi est parvenu au bout de son mandat. C’est là une grosse différence avec la vie politique italienne depuis la fin de la guerre jusqu’au début des années 1990. Durant cette période, les gouvernements italiens tenaient un an en moyenne. Les mêmes parties centristes se retrouvant toujours au pouvoir, les électeurs ne parvenaient pas à se décider entre le gouvernement en place et l’opposition. Les crises gouvernementales étaient simplement l’occasion d’un changement de titulaire des principaux portefeuilles ou de la faction du parti du Premier ministre. Maintenant, le risque est grand de voir les politiciens italiens revenir à leurs vieilles habitudes. Cela peut paraître étrange, étant donné l’antagonisme qui s’est manifesté entre Romano Prodi et Silvio Berlusconi au cours de la campagne électorale. Mais cet antagonisme traduisait tout autant la personnalisation de la politique due à Berlusconi qu’une caractéristique institutionnelle qu’il a lui-même abolie. L’un des derniers actes de son gouvernement a été de remplacer le système électoral majoritaire introduit en 1993 par un système proportionnel. Ce nouveau système pousse les politiciens à adopter une autre stratégie et pourrait donc conduire à un retour au régime des partis. Dans le nouveau système, les sièges sont attribués en proportion des suffrages obtenus par chacun des partis, mais une disposition spéciale les encourage à former des coalitions avant les élections, celle qui arrive en tête se voyant attribuer en prime des sièges qui lui garantissent une majorité confortable à la Chambre des députés (la Chambre basse). Malheureusement, cette nouvelle loi, adoptée à la hâte dans les dernières minutes de la précédente législature, est formulée maladroitement, de sorte qu’elle ne garantit pas la même majorité au Sénat. Ainsi, Prodi a une nette avance en nombre de sièges à la Chambre des députés, alors qu’il ne l’emporte que de très peu au Sénat. Le bicaméralisme étant presque parfait en Italie, le nouveau gouvernement ne pourra travailler que très difficilement, même dans une situation idéale. Mais la situation en Italie est loin d’être idéale. Le nouveau gouvernement va être confronté à d’énormes défis. Le déficit budgétaire échappe à nouveau à tout contrôle et dépasse largement la limite de 3 % du PIB fixée par le traité de Maastricht. Le système de retraite public est à genoux à cause de la population vieillissante, et le système de santé n’est plus viable. Le secteur manufacturier – étranglé par le manque de productivité, la concurrence de la Chine et des autres pays à faible coût de main-d’œuvre – n’est plus compétitif. Beaucoup de services restent inefficaces parce qu’ils relèvent d’une administration publique archaïque ou parce qu’ils disposent d’une position de monopole due à la réglementation. Il est impossible au nouveau gouvernement de se réfugier dans la passivité, mais il lui sera très difficile d’obtenir un soutien pour quoi que ce soit d’importance. L’Unione, la coalition de gauche de Prodi, est un méli-mélo de partis qui appartiennent à tout l’échiquier politique, des communistes les plus résolus (les communistes se trouvent en meilleure position que lors des élections précédentes) aux anciens libéraux. Avec le nouveau système électoral, tous ces partis vont se chamailler pour attirer à eux le même électorat et mettront à leur propre crédit toute avancée. Étant donné l’étroite majorité de l’Unione au Sénat, on peut s’attendre à une paralysie gouvernementale. Et comme si cela ne suffisait pas, Prodi va faire face à un autre problème. Peu avant de quitter le pouvoir, le gouvernement de Berlusconi a adopté une réforme constitutionnelle qui, entre autres choses, complète le nouveau système électoral. La nouvelle Constitution devrait renforcer les pouvoirs du Premier ministre et l’autoriser à décider d’élections anticipées en cas de crise gouvernementale. Cette disposition pourrait être une arme importante entre les mains de Prodi. Mais s’y étant opposés pour d’autres motifs, les partis de gauche qui le soutiennent ont déjà annoncé qu’ils bloqueront la réforme de la Constitution. Autrement dit, Prodi sera presque certainement privé de son meilleur atout pour discipliner sa coalition. À quoi doit-on s’attendre si une vaste coalition hétérogène qui dispose d’une minuscule majorité parlementaire gouverne, alors que la situation économique est de plus en plus mauvaise ? La réponse est presque évidente : le gouvernement va céder la place ou faire alliance avec des éléments de l’opposition. L’issue dépend donc en partie de ce qui va se passer dans le camp de Berlusconi. Quoi qu’il arrive, le système politique bipolaire auquel les Italiens se sont habitués ne va sans doute pas en ressortir indemne. Il sera plus facile pour les politiciens opportunistes de franchir la barrière droite-gauche et on assistera peut-être à l’émergence d’un nouveau parti centriste. Dans ce cas, l’Italie reviendra rapidement à sa vieille tradition des changements incessants de gouvernement et des coalitions instables. On peut aussi imaginer que Prodi parvienne à conserver un système politique bipolaire et à accroître ainsi la longévité de son gouvernement, que ce soit en revenant à un système électoral majoritaire ou en proposant d’amender la Constitution de manière à garantir la stabilité gouvernementale et celle des coalitions politiques. Mais amener ses partenaires à y souscrire pourrait se révéler aussi difficile que résoudre les problèmes économiques de l’Italie. *Guido Tabellini est professeur d’économie à l’Université de Bocconi à Milan. © Project Syndicate, 2006, traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Par Guido TABELLINI*

Depuis plus d’une décennie, l’Italie connaît un système politique bipolaire. Les électeurs doivent choisir entre une coalition de gauche et une coalition de droite. Les déçus du gouvernement en place peuvent choisir l’opposition. L’existence d’une véritable alternative permet de discipliner les politiciens : ce n’est pas par hasard que le...