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À propos du dernier ouvrage de Renaud Girard* Vaincre l’amertume au Liban par la réussite

De temps à autre, il est des petits ouvrages qui sont des tours de force par leur capacité d’explication et de synthèse dans un Moyen-Orient comme celui que notre ami Renaud Girard traite, Orient encore plus compliqué que lorsque le général de Gaulle le décrivait dans sa phrase célèbre des années trente du siècle passé. Pour nous, embarqués dans une bataille démocratique pour la présidence, cette synthèse a un appel plus qu’explicatif: elle interpelle l’action. Mais d’abord la force analytique de l’ouvrage: quelque trois cents pages aérées, extrêmement agréables à lire, de Bagdad à Kaboul, à Jérusalem, à Gaza, et une expérience formidable de vétéran qui voit le moment fort, la réussite ou l’occasion manquée, peu importe : dans l’ouvrage, par exemple le 28 février 2005 au Liban, lorsque le gouvernement de l’époque échoue dans son appel à interdire les manifestations, réussite ; la rencontre de Genève en décembre 2003 entre Beilin et Abed Rabbo, échec ; le retrait de Gaza comme reconnaissance de défaite par Ariel Sharon en octobre 2005, réussite relative, et ainsi perçue car elle n’arrêtera pas la dynamique de violence, qui préfigure les retraits israéliens à venir.... Mais aussi la phrase lapidaire, grave et courageuse: «L’apartheid – étymologiquement développement séparé – y est visible à l’œil nu», à propos des colonies dans les territoires palestiniens occupés; ou encore deux appositions magistrales, sur «les généreuses ambitions de George W. Bush» et sa politique dure et messianique, explicitée dans des entrevues avec Henry Kissinger et Richard Perle, dans leur contraste avec la vision française de sceptique éclairé qu’est Hubert Védrine. Au sommet, sont présentées des entrevues avec des personnalités qui pensent fort et clair. Mais nous entendons aussi chez Girard la voix et le langage des militants de la rue: dans les banlieues de Gaza, le militant désespéré qui n’a plus rien à perdre, car tant de membres de sa famille et tant de compagnons ont été tués; ou le médecin au Pakistan qui, malgré la propension humaniste inhérente à son métier, ne peut s’empêcher d’admirer Oussama Ben Laden dont il cache la photo lorsque le journaliste occidental lui rend visite. Il est un fil amer dans cette analyse. Cette amertume est à notre sens liée à ce long apprentissage du désespoir, presque scientifique, de ceux qui ont si longtemps pratiqué la région, prenant tous les jours des risques pour la mieux comprendre, parce qu’ils s’y sont attachés: des Renaud Girard, Robert Fisk, lui aussi auteur d’ouvrage récent (celui-là épique par sa dimension, mais que nous pensons être également traversé d’amertume), des David Hirst et autres grands reporters du Moyen-Orient, ou encore Édouard Saab, qui revient à l’esprit dans cette catégorie supérieure du courage professionnel... Cette amertume est fondée. Comme le disait Meron Benvenisti dans un article symbolique dans la Revue d’études palestiniennes vers la fin des années 80, rien n’est plus facile au Moyen-Orient que la prédiction ; il suffit de prévoir que les choses vont empirer. Or cette amertume, nous ne pouvons la partager. Pas seulement parce que pour tout citoyen dans la région, il ne resterait que l’exil; pas seulement parce que nous nous voulons porteurs d’espoir à notre peuple dans notre bataille présidentielle ; mais aussi parce que nous pensons qu’un élément essentiel manque à la vision qui domine ces ouvrages : la résistance non violente des honnêtes gens. Cette résistance n’est pas une vue de l’esprit et elle n’est pas le fait d’une personne, encore moins du mythe de l’exilé sur son cheval blanc. Elle est le fait de peuples solides, de personnes remarquables, au sein même de nos sociétés, qui ne se sont pas tues malgré le danger et qui n’ont d’arme que leur présence et leurs mots. Dans cette bataille pour vaincre l’amertume par la réussite, nous voyons dans l’ouvrage de Girard un fil ténu, mais réel, pour qui sait discerner la nuance. Le livre traduit un attachement profond à cette région. Il explique, dans des idées claires et courageuses, les clivages qu’il ne nous est pas possible de surmonter à l’aide d’une baguette magique et les moments qu’il faut saisir pour renverser le courant. Nous avions vécu un tel moment, que nous devons raconter tant cet ouvrage est clair dans la description de la lente montée vers une guerre mal préparée, mal faite, mal poursuivie en Irak. Nous ne pensons pas, comme Girard le suggère, que Hans Blix aurait pu l’éviter «s’il avait dit, ce jour-là, devant les caméras du monde entier: “la guerre est, à mon avis, aujourd’hui, totalement injustifiée”.» Tony Blair n’aurait pas changé d’avis, car il avait l’aval de son Solicitor General, qui, dans une longue analyse, lui avait expliqué que Saddam Hussein violait un tas de résolutions. Et que, de toute manière, les Américains avaient clairement énoncé, par la bouche même d’un secrétaire de la Défense alors sûr de lui et dominateur, qu’ils iraient seuls à Bagdad le cas échéant. N’empêche, il y avait une troisième voie, celle que nous avions, avec quelque cinquante collègues respectés dans le monde arabe, préconisée et développée dans un document intitulé Initiative pour un Irak démocratique: départ de Saddam et facilitation de la transition vers la démocratie par un déploiement international d’observateurs des droits de l’homme. Bien sûr, le dictateur irakien n’aurait pas obtempéré, mais nous savons maintenant que même la Ligue arabe était proche de cette thèse, préconisée par le président des Émirats, cheikh Zayed. En tout cas, nous savons, suite à une longue séance de travail avec lui, le 5 mars 2003, que Paul Wolfowitz nous avait soutenus. En vérité, les dirigeants allemand et français n’ont pas voulu en entendre parler. Ce qui nous ramène à la victoire contre l’amertume par un volontarisme éclairé, fort des honnêtes gens dans la région : l’opportunité d’une nouvelle présidence au Liban est réelle, une présidence qui ressemble à notre 14 Mars comme jamais dans l’histoire. Pour Girard l’analyste, les contraintes sont immenses, et il a raison. Mais il est de ces moments qu’il sait reconnaître, et que les gens reconnaissent, qui ont déjà beaucoup souffert, et qui n’ont pas le choix de l’exil. Ces moments sont dangereux et difficiles, comme dans cette nuit de courage, du 27 au 28 février, qui a scellé la victoire, encore inachevée, de la révolution du cèdre. La force immense de notre non-violence, moment gandin, que le sacrifice de Rafic Hariri a offert en possibilité, il faut qu’elle soit au pouvoir. Au Liban comme ailleurs dans la région. Chibli MALLAT Candidat à la présidence de la République libanaise * «Pourquoi ils se battent – Voyages à travers les guerres du Moyen-Orient» Flammarion, 272 pages.

De temps à autre, il est des petits ouvrages qui sont des tours de force par leur capacité d’explication et de synthèse dans un Moyen-Orient comme celui que notre ami Renaud Girard traite, Orient encore plus compliqué que lorsque le général de Gaulle le décrivait dans sa phrase célèbre des années trente du siècle passé. Pour nous, embarqués dans une bataille...