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Actualités - OPINION

Commentaire Peut-on réformer en France ?

Par Raphaël HADAS-LEBEL* Cela a commencé, il y a tout juste un an, avec le non des Français au référendum sur la Constitution européenne. Cela a continué, l’automne dernier, avec la vague de violences dans les banlieues. Depuis quelques semaines, enfin, la France se signale à nouveau à l’attention du monde avec les manifestations de rue contre le « contrat de première embauche » (CPE) proposé par le Premier ministre Dominique de Villepin pour répondre à la grave crise du chômage des jeunes. Ces trois événements, pour différents qu’ils soient, ont en commun d’illustrer plusieurs traits profonds de la vie sociale en France. Il y a d’abord l’évidente difficulté ressentie par le pays à s’accommoder des contraintes de la mondialisation. Le non au référendum, en avril 2005, exprimait, au-delà des mécontentements conjoncturels, le rejet, par une partie importante de l’électorat, des disciplines imposées par l’Union européenne, notamment la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux, ainsi que le primat de la concurrence qui en résulte. Les violences dans les banlieues exprimaient plutôt la frustration ressentie face à l’absence de perspectives que l’économie moderne offre à une population jeune, déboussolée et dépourvue de formation. Cette fois-ci, c’est toute une classe d’âge, celle des jeunes, diplômés ou non, qui, en combattant le CPE, rejette une précarité qui rompt avec la sécurité de l’emploi dont bénéficiaient leurs parents dans un contexte économique profondément différent. Pourtant, l’impératif de flexibilité, qui a accompagné depuis quelques décennies les changements des règles du jeu économique, paraît avoir été plus aisément accepté dans la plupart des autres pays européens. En Espagne, pourtant dirigée par un gouvernement socialiste, une proportion importante de la population salariée – de l’ordre d’un tiers – est régie par des contrats à durée déterminée : et le pourcentage est encore plus élevé pour les jeunes. En Italie, la loi Treu, votée dès 1997 sous le gouvernement Prodi, a introduit dans le contrat de travail une flexibilité accentuée en 2003 par la loi dite Biagi. En Allemagne, le contrat de coalition entre le SPD et la CDU incluait jusqu’ici l’extension de la période d’essai, au cours de laquelle les licenciements peuvent intervenir sans motivation, de six mois à deux ans, précisément le délai prévu par le projet français du CPE. Tout se passe comme si les évolutions constatées étaient acceptées comme inévitables. En France, en revanche, une tradition étatique, qui remonte à l’Ancien Régime, ainsi que l’avait bien vu Tocqueville, et que l’on retrouve aujourd’hui à la fois dans l’idéologie gaulliste et dans l’idéologie socialiste, s’accompagne d’une réticence marquée pour les disciplines du libéralisme et d’une attirance pour la sécurité de l’emploi qu’offre la fonction publique. Depuis la Révolution française, l’impératif d’égalité l’emporte souvent dans les esprits sur le souci de liberté. Il en résulte un fort attachement à la protection sociale sous tous ses aspects. Les ratés constatés aujourd’hui dans le modèle social français, avec son chômage de masse – 25 % – chez les jeunes, ses déficits publics, le blocage de l’ascenseur social n’ont pas pour autant découragé le fort prestige dont il bénéficie dans l’opinion. Il aurait été plus cohérent de s’inspirer de la « flexisécurité » des pays scandinaves, qui allient flexibilité et garanties sociales, au prix, il est vrai, d’une lourde fiscalité qui ne serait pas aisément acceptée en France. À quoi s’ajoute une préférence pour les controverses idéologiques qui n’a pas permis l’enracinement en France d’une culture de la négociation et du compromis, encore moins du consensus. C’est ce qui explique que tant de projets de réforme se soient vus contestés dans la rue. Il est significatif que les mouvements récents aient automatiquement évoqué les troubles de mai 1968, qui continent d’exercer une étrange fascination, alors que les deux événements n’avaient rien de commun. La France est-elle pour autant irréformable ? Assurément non. Le pays s’est profondément transformé au cours des dernières décennies. Qu’il s’agisse du changement de statut des grands monopoles comme l’électricité, le gaz, les télécommunications et même la poste, de la suppression de la conscription militaire et du passage à une armée de métier, de la réforme des retraites, la rénovation du marché financier, pour ne prendre que quelques exemples, les mutations auront été plus importantes qu’on le croit. C’est particulièrement vrai des entreprises, qui ont remarquablement adapté leur fonctionnement aux contraintes de la compétition internationale. Beaucoup reste à faire, dans le domaine de l’école, de l’université, de l’emploi, de la protection sociale, du fonctionnement de l’État, qui risque de mettre en cause bien des tabous. Mais l’expérience du CPE montre qu’une réforme ne peut être imposée en France de façon unilatérale. Même si le temps presse, il faudra prendre le temps de la consultation, parfois de la négociation, toujours de la pédagogie. Dans une société marquée par une incontestable inquiétude face à un avenir incertain, et qui a besoin d’être mise en confiance, le temps de l’explication et de la concertation n’est finalement pas du temps perdu. * Raphaël Hadas-Lebel est professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris. Il est notamment l’auteur d’un livre intitulé Les 101 mots-clés de la démocratie française. © Project Syndicate, 2006.
Par Raphaël HADAS-LEBEL*

Cela a commencé, il y a tout juste un an, avec le non des Français au référendum sur la Constitution européenne. Cela a continué, l’automne dernier, avec la vague de violences dans les banlieues. Depuis quelques semaines, enfin, la France se signale à nouveau à l’attention du monde avec les manifestations de rue contre le « contrat de première...