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Actualités - OPINION

LE POINT Touche pas à mon job

En ce siècle qui n’en finit pas de commencer, Gavroche ne craint qu’une seule chose : non pas, comme ses ancêtres les Gaulois, que le ciel lui tombe sur la tête, mais qu’il perde son emploi. Eh oui, de nos jours, mondialisation est synonyme de précarité. Du moins est-ce ainsi que la comprennent les jeunes Français qui, depuis cinq semaines, descendent dans la rue pour éviter de devenir, disent-ils, une « génération Kleenex » – comprendre des salariés qui peuvent à tout moment se retrouver au chômage, sans explication valable sinon qu’ils ont moins de deux ans d’ancienneté et qu’ils se situent dans la tranche d’âge des 18-26 ans. C’est, en gros, cela et rien d’autre, ce Contrat première embauche (CPE), objet de l’ire de toutes les composantes de la classe dite active. Au nom de la lutte contre un texte de loi bâclé et dont l’application avait été mal emmanchée, les néoprolétaires – anciens, nouveaux et à venir – ont déjà manifesté à cinq reprises, la dernière fois mardi, comme en une avant-première à la veille de la rencontre, mercredi, entre les dirigeants des douze syndicats et les parlementaires UMP. Des chiffres, il en pleut ces derniers jours, pour la plupart édifiants, inquiétants surtout. Ainsi, un sondage vient de révéler que deux tiers des jeunes adultes n’ont qu’une ambition : entrer dans la fonction publique, c’est-à-dire être assurés d’un emploi à vie. Les sociologues en déduisent qu’il s’agit moins de faire la révolution, ce qui reviendrait à renverser l’ordre établi, que de se sentir protégé. Pour leur part, les ministères concernés veulent voir dans les dernières statistiques un signe annonciateur d’un (improbable) retour à la normale. Ils font valoir que le métro et les autobus fonctionnent, que seulement 18 pour cent des cheminots sont en grève, contre 28 pour cent il y a une semaine, que 15 pour cent des vols intérieurs ont été annulés (50 pour cent à la fin du mois de mars), qu’au ministère de l’Éducation, 23 pour cent, et non plus 36 pour cent, ont choisi de faire l’école buissonnière. Pour faire contre-poids à ces données que l’on veut encourageantes, on pourrait rappeler que la cote de popularité de Chirac s’est brutalement effondrée (20 pour cent, triste record d’impopularité) alors que celle de l’hôte de Matignon stagne à 29 pour cent. Et comment expliquer que la grogne ait atteint, à 9 700 kilomètres de la métropole, cette destination éminemment touristique qu’est l’île de la Réunion sinon par la peur de lendemains qui pourraient, si l’on n’y prend garde, déchanter ?… Étrange situation en vérité que celle où l’on voit aujourd’hui lycéens, étudiants et ouvriers desceller les pavés pour empêcher le changement alors que jadis, c’était pour réclamer que « cela bouge ». Étrange aussi cette grande première qui consiste, pour le gouvernement, à passer la main au parti de la majorité, c’est-à-dire à une formation menée par ce Nicolas Sarkozy que tout le monde donne pour vainqueur, à moyenne échéance, du duel qui l’oppose depuis des mois à son grand rival, faisant écrire au quotidien Le Parisien : « À quoi sert Villepin ? » Une question à laquelle le député PS de Loire-Atlantique et maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, avait déjà répondu par une autre interrogation : « Qui gouverne la France aujourd’hui ? » Étrange situation effectivement parce que, avec un acharnement digne d’une meilleure cause, le Premier ministre se retrouve empêtré dans la nasse qu’il s’est tendu à lui-même, provoquant du coup une remise en cause de la légitimé de son équipe. On nous annonce, en faisant semblant d’y croire, pour aujourd’hui une conférence de presse au cours de laquelle ce champion de l’autoflagellation va tenter de reprendre la main et par la même occasion de préserver les maigres occasions qui lui restent de sauver un avenir politique qui jamais n’aura paru aussi incertain. Tout porte à croire que les deux hommes vont se livrer l’un contre l’autre à un duel où tous les coups seront permis, avec pour toile de fond un Élysée qui pourrait fort bien, en définitive, échapper à l’un comme à l’autre. Fin avril 2004, un brûlot de 157 pages, format de poche, faisait son apparition à la devanture des librairies. Son titre représentait en lui-même – clin d’œil à Françoise Sagan – un constat affligeant de l’état de la France : « Bonjour paresse » et portait le sous-titre suivant : « De l’art à la nécessité d’en faire le moins possible en entreprise. » L’auteure, Corinne Maier, se disait convaincue que les Français rêvent de sécurité parce qu’ils ont peur de l’avenir, qu’ils sont opposés à la flexibilité. Et de citer, à titre d’exemple, Jacques Chirac lui-même, président du Conseil il y a plus de trente ans. Cette économiste, employée (à temps partiel) à Électricité de France, avait failli être licenciée pour son impertinence. Ce qu’il convient de faire, notait-elle alors ? Une chose : attendre sa solde à la fin du mois. Ou sinon, se mettre en grève. Christian MERVILLE
En ce siècle qui n’en finit pas de commencer, Gavroche ne craint qu’une seule chose : non pas, comme ses ancêtres les Gaulois, que le ciel lui tombe sur la tête, mais qu’il perde son emploi. Eh oui, de nos jours, mondialisation est synonyme de précarité. Du moins est-ce ainsi que la comprennent les jeunes Français qui, depuis cinq semaines, descendent dans la rue pour...