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Actualités - OPINION

Nous ne sommes toujours pas sortis du gouffre

Une guerre dévastatrice, des massacres immondes et un épurement racial n’ont pas suffi à nous apprendre à accepter les autres, à s’unir et à bâtir ensemble un Liban meilleur sans que la religion ne soit un obstacle ou une étincelle pour chaque polémique. Je m’étais éloigné de ma terre natale deux mois après avoir obtenu mon baccalauréat. Avec le temps, je me suis rendu compte que ma place n’était pas là où je me retrouve aujourd’hui, que mon corps est sur place, mais que mon âme réside toujours dans mon berceau. Dès mes premiers pas dans mon nouveau pays d’adoption, je me suis bâti une vision, un rêve: être capable un jour de servir mon pays et le rendre meilleur. Cette vocation, je la vivais dans ma vie personnelle aussi bien que professionnelle. M’impliquant dans des activités de Libanais dans des comités ou dans des clubs. Écrivant des articles, dénonçant le régime dictatorial qui nous était imposé pendant trente ans. C’était mon cheval de bataille, cette plume qui est infiniment plus puissante que l’épée et que j’ai arborée avec fierté, me positionnant en fer de lance contre la corruption et la dégénérescence de l’âme libanaise. Il faut dire que j’étais aussi très content d’être dans ce pays, loin des déchirements interraciaux et de la différenciation sectaire. Mais une fois entouré de mes compatriotes, la déception atteignait son paroxysme. J’étais désolé, abattu de voir ces mêmes Libanais, qu’ils soient natifs du Québec ou comme moi juste de passage, montrer de la manière la plus accablante leur haine et leur refus des autres sectes et religions. Quelques-uns d’entre eux vivaient toujours à l’ère des croisades; d’autres se voyaient encore sujets de Saladin et les plus modernes se rappelaient à chaque occasion les misères de guerre et accusaient l’autre partie d’être la cause de cet apartheid à la libanaise. La majorité, sinon la totalité d’entre eux n’avaient jamais vécu la guerre ; ou bien ils étaient très jeunes à l’époque et n’y comprenaient rien, invoquons le fait plus important qu’ils n’ont tous qu’une vague image de leurs leaders qui leurs sont encore inconnus et qu’ils suivent à l’aveuglette. Les groupes d’amis se constituaient sur une base sectaire, les débats politiques et religieux faisaient rages entre les adeptes d’une religion tout en dénonçant chez les autres ce qu’ils qualifiaient d’hérésie ou de traîtrise, mais sans jamais oser faire face aux personnes visées pour leur faire part de ces accusations aussi graves que burlesques. Toujours entouré de Libanais qui juraient par leurs grands dieux qu’ils étaient prêts à tout pour rebâtir le pays sur des bases nouvelles, pour le faire revivre des temps encore plus glorieux que ceux où il était mieux identifié sous l’appellation de Suisse du Moyen-Orient. La bonne foi était là, mais pas les actes. Et c’est là que ça m’a frappé, c’est à cet instant-ci que j’ai vu l’horreur en face: nous n’étions toujours pas sortis de ce gouffre, de cette fosse que nous avions creusée des années durant, signant du même coup notre propre arrêt de mort en nous autoproclamant geôliers perpétuels. La situation s’aggravait d’une seconde à l’autre. Ceux qui étaient déterminés à bâtir un pays basé sur un consensus national étaient toujours aussi disposés à porter les armes pour défendre leur propre communauté contre les autres, de quelque nom qu’on les affuble. Tel était ce Québec, microcosme désespérant de la société libanaise, dans lequel je vis, où les agissements des uns et des autres feraient perdre tout espoir à certains, mais donneraient à d’autres des raisons supplémentaires de se battre. Sortir du gouffre, édifier le Liban de demain sur des bases nouvelles, c’est là notre vocation et notre seule et unique arme contre la répression et la souffrance au quotidien qui sont en train d’étouffer un peuple et toute une nation. Jade DAWALIBY École polytechnique de Montréal
Une guerre dévastatrice, des massacres immondes et un épurement racial n’ont pas suffi à nous apprendre à accepter les autres, à s’unir et à bâtir ensemble un Liban meilleur sans que la religion ne soit un obstacle ou une étincelle pour chaque polémique.
Je m’étais éloigné de ma terre natale deux mois après avoir obtenu mon baccalauréat. Avec le temps, je me suis...