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La « folie » de la guerre omniprésente dans les ruines de Grozny

Oublié du monde, au cœur des ruines de Grozny, un jeune Tchétchène sourit à sa mère à travers les barreaux d’une porte. Sa famille a dû l’enfermer. Mais la vraie prison d’Irichkane est la folie dont il souffre depuis le début de la guerre. Ce jeune homme a 18 ans, aime dessiner et bricole des appareils électroniques, lorsque les troupes russes assiègent pour la première fois Grozny à l’hiver 1994-1995. Comme des centaines de milliers d’autres civils, il se terre alors avec sa famille dans des caves puis trouve refuge à la campagne. Mais perd la raison dans cette errance. « Il a commencé à trembler », raconte sa mère Raïssa. « Au bout de trois jours, il s’est mis à ricaner. Puis cela a empiré », ajoute-t-elle. Dix ans plus tard, Irichkane est presque incapable de communiquer et souffre de violentes crises qui, faute de structures médicales spécialisées en Tchétchénie, ont obligé ses parents à l’isoler dans une pièce fermée par une porte grillagée. Son lit est posé sur un amas de vieux réfrigérateurs. Ses parents, Raïssa et Moussa, et son frère Chamil de 23 ans partagent une autre pièce, tout aussi petite, avec quelques sacs en plastique pour tout bagage. Le regard triste, un sourire ironique aux lèvres, Irichkane semble tout ignorer du conflit qui a tué des dizaines de milliers de Tchétchènes et, selon les psychologues, provoqué des traumatismes chez la majorité des survivants. Selon l’organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF), 77 % des réfugiés tchétchènes souffrent de troubles psychologiques. 70 % d’entre eux ont vécu des attaques armées, 89 % ont perdu un proche et près d’un sur quatre a été témoin de morts violentes. « Le stress post-traumatique est devenu normal chez les habitants de cette république déchirée par la guerre », relève MSF. Khapta Akhmedova, psychologue à Grozny, confirme les nombreuses séquelles laissées par la guerre. Certains « vivent au jour le jour », d’autres « ont perdu toute émotion », note-t-elle. « D’autres encore deviennent agressifs. Ils pensent que si des gens peuvent détruire leur maison et tuer leurs proches, leurs amis, ils ont le droit de faire la même chose », poursuit-elle. Le tissu social tchétchène, fondé sur les traditions musulmanes, constitue certes un réseau d’aide, mais dans les cas les plus extrêmes de maladies mentales et pour les non-Tchétchènes, comme les quelques Russes restés dans la région, l’espoir d’obtenir un diagnostic et des soins appropriés est infime. L’asile de Grozny compte 79 patients, pour la plupart très perturbés. Parmi eux, une femme au crâne constamment rasé depuis qu’elle a été violée pendant la guerre et Lilia Aksanova, 82 ans, qui a tout perdu sauf la vie dans les bombardements de Grozny. La vieille femme s’enferme à clé dans sa chambre et refuse de se mêler aux autres. « Vous comprenez, ils sont tous fous », murmure-t-elle, un rien conspiratrice. Médecins et traitements font cruellement défaut. Zaïnap Tavguireïeva, l’infatigable infirmière en charge de l’institution, résume en quelques mots ses priorités : « Nourrir les malades, assurer leur hygiène et ensuite seulement essayer de leur apporter des soins. » Même les adultes les plus solides portent toujours les traces de traumatismes liés à la mort de proches et à l’angoisse permanente de se retrouver au milieu d’une opération militaire contre les rebelles. « Pendant des années, je n’ai dormi que d’un œil. Je croyais entendre des chars et je me réveillais en sursaut. Cela avait cessé l’an dernier, mais maintenant cela recommence », raconte Aslan, dont les parents ont été tués par des soldats russes il y a cinq ans. Irichkane n’a jamais été examiné comme il se doit. Sa famille, qui vit sur la maigre pension du père, n’a pas les moyens de le faire admettre dans une institution adaptée. « Je l’ai emmené chez des guérisseurs, des mollahs, à l’hôpital », dit Moussa. « Je suis fatigué, je n’ai plus de foi qu’en Allah. » Quand il fait beau, Irichkane sort et reste assis au milieu des ruines. « Une fois, il a vu un hélicoptère voler au-dessus de sa tête. Il a pris une brique et l’a jetée vers le ciel », raconte son frère. Sebastian SMITH/AFP
Oublié du monde, au cœur des ruines de Grozny, un jeune Tchétchène sourit à sa mère à travers les barreaux d’une porte. Sa famille a dû l’enfermer. Mais la vraie prison d’Irichkane est la folie dont il souffre depuis le début de la guerre.
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