Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Reportage Récupérer dix fusils volés : plus qu’une question d’honneur pour l’armée brésilienne

Plus de 1 600 soldats font le siège depuis une semaine d’une dizaine de favelas à Rio de Janeiro, afin de récupérer dix fusils et un pistolet volés à l’armée, un déploiement de forces apparemment sans rapport avec cet objectif dérisoire. Jusqu’à présent, l’armée était intervenue ponctuellement à Rio de Janeiro sur ordre de la présidence de la République pour combattre le trafic de drogue et le banditisme devant l’incompétence des pouvoirs publics ou pour assurer la sécurité lors d’un événement international ou touristique comme le carnaval. « La différence aujourd’hui, c’est que nous agissons sur ordre de la justice militaire dans le seul but de récupérer des armes volées dans une caserne », a déclaré à l’AFP le colonel Fernando Lemos, porte-parole du commandement militaire de l’Est qui dirige les opérations. « Récupérer ces armes est une question d’honneur et de crédibilité. Dès que nous les aurons récupérées, nous partirons. » Si l’uniforme est assez mal vu depuis la dictature militaire (1964-85), ces interventions ponctuelles de l’armée sont plutôt appréciées par la population des quartiers aisés en raison de l’incapacité des pouvoirs publics à assurer la sécurité, une incompétence aggravée par une police et une justice corrompues. Les trafiquants de drogue fortement armés imposent leur loi dans les 800 favelas de la ville où vivent plus d’un million de personnes, en apportant leur protection aux habitants et certains services. La contrepartie exigée est le silence des habitants sur leurs activités. Accrochées à flanc de colline, les favelas sont d’un accès difficile, mais les trafiquants connaissent le moindre recoin du labyrinthe de ruelles. La police n’y pénètre que pour empêcher des affrontements entre bandes rivales ou pour racketter les trafiquants. Jeudi, au septième jour de l’opération, alors que l’armée était toujours bredouille, la presse s’interrogeait sur l’efficacité de l’action, « qui semble plutôt démoraliser l’armée ». D’autant que des jeunes des favelas narguent les soldats en agitant de loin les prospectus distribués par l’armée pour inciter les habitants à dénoncer les auteurs du vol ou en faisant des gestes obscènes dans leur dos. Pour Michel Misse, spécialiste en violence urbaine de l’Université fédérale de Rio, cette intervention a une fonction « symbolique avant tout pour dire : on ne touche pas à l’armée. Elle n’est pas corrompue comme la justice et la police ». Selon lui, « cette intervention mettrait l’armée dans une situation délicate si elle ne retrouvait pas les armes, mais elle doit avoir un plan B pour procéder à une mobilisation de cette ampleur ». Cette vision est partagée par un spécialiste de la défense, l’éditeur du site defesanet, l’ingénieur Nelson During. « Les trafiquants ne veulent pas le combat, car ils savent qu’ils vont perdre, et ils cherchent à ridiculiser les soldats. L’armée a placé des tanks en bas des favelas, c’est la préparation. Peut-être l’armée est-elle en train de s’entraîner pour une grande opération à venir », a-t-il dit à l’AFP. Selon lui, l’armée cherche « beaucoup plus que des armes ». Elle cherche à s’affirmer face aux groupes criminels et à envoyer un message en cette année d’élections générales : « On est là, on existe. » « Pour les pouvoirs publics, il est plus facile de fermer les yeux sur ces groupes, car les affronter affecterait l’économie, ferait baisser le tourisme », a-t-il dit. « À Rio ce n’est plus une simple question de sécurité publique, c’est une question de sécurité de l’État. La misère sert de bouclier aux trafiquants qui recrutent les jeunes. Il faut ôter aux trafiquants le pouvoir de manipuler la population des favelas », a-t-il conclu. Mais pour Michel Misse, la répression seule n’est pas suffisante, il faut des politiques sociales pour diminuer l’attrait du trafic de drogue auprès des jeunes. « La police a déjà capturé tous les principaux chefs du trafic. Aucun chef du trafic n’est en place depuis plus de trois ans et ils sont de plus en plus jeunes. Il y a une main-d’œuvre illimitée », constate-t-il. Claire de Oliveira/AFP

Plus de 1 600 soldats font le siège depuis une semaine d’une dizaine de favelas à Rio de Janeiro, afin de récupérer dix fusils et un pistolet volés à l’armée, un déploiement de forces apparemment sans rapport avec cet objectif dérisoire.
Jusqu’à présent, l’armée était intervenue ponctuellement à Rio de Janeiro sur ordre de la présidence de la République pour...