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Actualités - OPINION

Le rêve éveillé

On se surprend parfois à rêver. D’un dialogue national, un vrai, sans tutelle(s) étrangère(s). Tous les poids lourds de la politique seraient représentés. Tous, sans exception. Pas un que les pressions (vous savez, celles dont on dit qu’elles vicient le consentement des adultes), l’exil ou la prison ne retiendraient, ne conditionneraient, n’étoufferaient, n’empêcheraient. Tous. Face à face. Bas les masques. D’homme à homme. Seul à seul. Mais tous ensemble. Forcés de se parler. Et de se mettre d’accord. 2005 était l’année de tous les (im)possibles. 2006 semble bien partie pour étonner encore plus. Le rêve devient réalité: Hassan Nasrallah, Samir Geagea, Walid Joumblatt, Michel Aoun, Saad Hariri, Nabih Berry et tant d’autres. Dans une même pièce, un même bocal. L’Assemblée nationale (la Chambre des députés, comme on dit encore chez nous), s’il vous plaît. Rien de moins. Comme dans les vraies démocraties. Les pays «civilisés». Qui l’eût cru ? Ces politiciens qui s’insultent tant, se haïssent tant, se fustigent tant. Peut-être parce qu’ils ne se connaissent pas réellement. Oui, peut-être est-ce la peur de l’inconnu qui les éloigne, les paralyse, les borne. Qui les incite à se recroqueviller sur eux-mêmes. À se consacrer à l’excitation de leurs propres partisans. Lesquels leur sont pourtant acquis d’avance. Au lieu d’aller vers l’autre, ce qui est beaucoup plus difficile. On n’aime que ce qu’on connaît. Mais si on n’essaye pas de mieux connaître, alors on n’aimera jamais. Et ce serait bien dommage de ne pas aimer. Surtout si c’est pour cause d’ignorance, de mauvaise compréhension. Peut-être est-ce cela, le Liban, une série de quiproquos. Des crispations identitaires, certes légitimes, mais somme toute contingentes, inutiles, futiles, assassines, létales, fatales. Alors, au lieu de se résigner à dépérir, à se laisser mourir, on se surprend à rêver, oui. Rêver que nos politiciens prennent conscience de la responsabilité (la leur) que cette occasion réellement unique dans l’histoire du Liban – on est loin du simulacre de Taëf – leur fait porter. Lourd fardeau. Mais ces messieurs, ces adultes consentants, se sont eux-mêmes voulus représentants du peuple; personne ne les y a forcés. Quand on sollicite un mandat pour parler au nom des gens et qu’on a l’honneur de le recevoir, il convient d’en être digne. Pas d’excuses, cette fois-ci. Les gens sont à bout: de patience, de nerfs, d’espoir. Ils se disent que si nos bons politiciens parviennent à se serrer la pince si chaudement et s’ils réussissent à se congratuler les uns les autres si énergiquement, ce n’est peut-être pas qu’ils soient doués pour le mensonge, ce fameux «nifâq» qui pollue tant notre comportement en société, mais qu’après tout leurs différences ne sont pas si insurmontables que cela. C’est ce que les gens veulent croire – ce que veut le peuple, comme dirait l’autre. Or il faut qu’ils en tiennent compte des gens. Pour que ces mêmes gens ne les prennent pas, pour la énième (et ultime) fois, pour des menteurs, des acteurs, des politicards bas de gamme qui prendraient le peuple en otage et le sacrifieraient au profit de leurs intérêts personnels. Que nos politiciens se découvrent grands hommes. Que, pour une fois, ils nous donnent une raison d’être fiers d’eux. Cela demande un peu d’audace, de courage. Pour que la valeur triomphe sur la couardise, comme dans la revigorante sculpture d’Alfred George Stevens. Naturellement. Sans conteste. L’occasion est unique, on ne le répétera jamais assez. Les Libanais sont prêts à se rencontrer. On les en a empêchés pendant trop longtemps. Nos politiciens sont condamnés à réussir. Ce qu’il nous faut, c’est une concorde pas une hypothétique convergence de vues, une paix pas une trêve fragile, une vision d’avenir pas des manœuvres dilatoires. Un véritable serment du jeu de paume. Allégorique. Esthétique. Poétique. Sincère. Pour l’histoire, pour l’honneur. Un nouveau souffle. Une révolution. Sans exclus, sans parias, sans laissés-pour-compte. Qui, soyons fous, puisse poser les fondements d’une vraie nation. Pour que ceux qui doutent, ceux qui raillent, ceux qui désespèrent, puissent enfin croire. Au Liban, tout simplement. On se surprend à rêver, oui. Naïfs, romantiques, idéalistes. Jusqu’au bout. La révolution procède à la base d’un immense acte d’amour, disait le Che. Alors rêvons, en toute candeur, de bonne foi; c’est notre dernière chance. Nous n’avons plus rien (ou tout, ce qui revient au même) à y perdre. La surprise sera d’autant plus agréable si notre rêve finit par épouser la «luxuriance d’un rêve éveillé» (D.G. Rossetti). Élias R. CHEDID Cambridge, Massachusetts
On se surprend parfois à rêver. D’un dialogue national, un vrai, sans tutelle(s) étrangère(s). Tous les poids lourds de la politique seraient représentés. Tous, sans exception. Pas un que les pressions (vous savez, celles dont on dit qu’elles vicient le consentement des adultes), l’exil ou la prison ne retiendraient, ne conditionneraient, n’étoufferaient,...