Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

CONFÉRENCES - Depuis 1985, elle dirige les travaux de fouilles à Tell Kazel, en Syrie Leila Badr dévoile les dessous phéniciens de l’ancienne capitale du royaume d’Amourrou

C’est dans son temple, au musée de l’Université américaine de Beyrouth, que Leila Badr a donné une conférence sur les fouilles qu’elle dirige, depuis 1985, à Tell Kazel, en Syrie. L’ancienne Symira, capitale du royaume d’Amourrou à l’âge du bronze, a livré un sanctuaire dédié au dieu phénicien Baal, un complexe palatial et des trésors archéologiques dont un étonnant brasero, « le plus grand jamais découvert au Proche-Orient ». Situé à 18 km au sud de Tartous et à 10 km au nord de la frontière côtière de Arida, le tell, qui surplombe Nahr al-Abrash, « rivière navigable durant l’Antiquité », contrôlait, via la trouée de Homs, l’unique route commerciale reliant la mer à l’arrière-pays. Le matériel recueilli sur le site démontre l’existence d’échanges commerciaux intenses avec Chypre, Mycènes et le monde égéo-minoen. Jusqu’à la conquête assyrienne en 738 avant J-C, Tell Kazel restera un maillon du réseau commercial phénicien. «Identifier Tell Kazel à Sumur, comme l’attestent les archives de Tell Amarna (XIVe siècle) et les textes assyriens du XIe siècle », et « approfondir notre connaissance sur cette période peu connue » où le bronze récent fait place à l’âge du fer I, et où apparaissent soudainement les peuples de la mer, sont les objectifs de la directrice du musée de l’AUB. Les travaux archéologiques qu’elle a menés sur le terrain ont permis de mettre au jour les différentes strates du site, allant du XIVe avant J-C jusqu’à l’âge du fer – période phénicienne. Le premier niveau, correspondant au XIVe siècle avant J-C, a révélé un temple auquel on accédait par un jambage de porte en basalte. Similaire à celui de Kamid el-Loz, dans la Békaa, il comporte une cella rectangulaire, deux assises de colonnes en pierre et deux tables d’offrandes. Les objets exhumés du sein de cette structure cultuelle englobent 70 lampes à huile « parfaitement conservées », des assiettes, des bols, des jarres, des gobelets miniatures, trois paires de calices et quatre braseros (brûle-encens) dont un mesurant 1,15 mètre de hauteur, « le plus grand jamais trouvé au Levant», indique la conférencière. Trois rangées de gazelles et d’oiseaux peints en rouge et blanc décorent sa partie supérieure et deux terres cuites représentant des lionceaux ornent le dessus des anses. Au deuxième niveau (XIIIe siècle avant J-C), le site connaît des agrandissements et une « urbanisation développée » : des rues, des quartiers résidentiels, un bâtiment de luxe et un temple occupent l’espace. Les rues orthogonales, orientées nord-sud et est-ouest, présentent une particularité technique : « Elles sont formées de plusieurs couches de cendre et de petits galets, permettant un drainage vertical des eaux sans avoir recours à des canalisations horizontales », explique Leila Badr. Précédé d’une cour dallée, le nouveau temple, superposé à l’ancien dont il garde d’ailleurs la forme rectangulaire et la même orientation, est toutefois beaucoup plus vaste (16,5 m x 7,5 m). Il a conservé ses soubassements en gros blocs de pierre « ramleh » et ses murs sur un mètre de hauteur arasé à un même niveau, « ce qui indique qu’ils avaient une superstructure en brique », ajoute la conférencière. Les quartiers résidentiels déclinent des constructions communes au XIIIe siècle et identiques à celle d’Ougarit : des murs épais, des angles et des jambages de porte en pierres taillées. Un escalier imposant, à deux volets, marque l’entrée du bâtiment nord qui s’étend sur 200 m2. Il est composé de dix pièces et d’une cour moitié en terre battue, moitié dallée. Un pressoir à d’olives, des grands cratères servant de pots de fleurs et plusieurs mortiers en basalte, indiquant la présence d’un atelier de travail à ciel ouvert, ont été trouvés dans la cour. Leila Badr signale aussi que la pièce centrale de ce complexe architectural comporte trois marches d’escalier, ce qui laisse supposer la présence d’un étage supérieur. Le bâtiment sud adopte la même architecture que le précédent, avec plusieurs chambres de stockage, de silos et de puisards pour le drainage. Une construction dite « de luxe » a été dégagée dans la partie est du tell. Elle se distingue par « un sol dallé de coquillages comme à Meggido, et des murs en brique enduite de plâtre et incrustée de coquillage. On n’a nulle part trouvé ce genre d’ouvrage qui rappelle, peut-on dire, la technique employée plus tard pour le travail de la mosaïque », souligne la directrice du musée de l’AUB. Pour une raison « inconnue », ces bâtiments ont été abandonnés, sans être détruits, vers la fin du XIIIe siècle. Aussi, à l’aube du XIIe siècle avant J-C, des squatters sont venus les occuper, amenant avec eux un nouveau type de silos et de broyage, des cratères d’inspiration mycéenne peintes en rouge et un nouveau genre de vaisselle (des passoires), impliquant de nouvelles recettes culinaires. L’analyse des sédiments brûlés a démontré le type de végétaux, de fruits ou de céréales consommés à l’époque : lentilles, pois chiches, petit pois, olives, figues, raisins, ainsi que du blé et du foin (pour fabriquer la bière). Leila Badr note également l’absence totale de matériel importé de l’Ouest, et ce en raison de l’embargo imposé à l’époque par les Hittites à l’Assyrie. À cette même époque pourtant, deux nouveaux types de poteries d’inspiration étrangère sont introduits, indiquant le flux d’un nouveau peuple qui s’installe sur le site. « Il s’agit probablement de la première vague pacifiste des peuples de la mer », avant que le site ne soit le théâtre d’un grand incendie provoqué par une nouvelle invasion. À l’âge du fer, début de la période phénicienne, le roi assyrien Tliglath-Pilassar atteint les côtes méditerranéennes et traverse les montagnes libanaises pour rapporter du bois de cèdre qui servira à la construction de son temple à Ashur. Après avoir conquis Amurru, il soumet Sidon, Byblos et Arwad, et le site de Tell Kazel, détruit à l’époque du bronze récent, est alors reconstruit. Le temple, orienté est-ouest, est érigé au sommet du tell et porte une inscription phénicienne indiquant qu’il est dédié à Baal par Rab Amuq, le gouverneur de la plaine du Akkar. La pièce réservée au stockage des offrandes a livré un sol de galets, des jarres et un grand nombre de figurines en terre cuite représentant Zakar Baal, le dieu phénicien. Les fouilles, qui se poursuivront cet été, peuvent encore réserver des surprises. Affaire à suivre. May MAKAREM
C’est dans son temple, au musée de l’Université américaine de Beyrouth, que Leila Badr a donné une conférence sur les fouilles qu’elle dirige, depuis 1985, à Tell Kazel, en Syrie. L’ancienne Symira, capitale du royaume d’Amourrou à l’âge du bronze, a livré un sanctuaire dédié au dieu phénicien Baal, un complexe palatial et des trésors archéologiques dont un...