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Actualités - OPINION

LE POINT Histoire de chasse

Il y a un précédent, célèbre dans l’histoire des États-Unis : le colonel Aaron Burr, alors vice-président, provoque en duel et tue d’une balle au foie le général Alexander Hamilton coupable d’avoir formulé à son adresse des remarques insultantes. Le drame s’était produit à Weehawken, dans le New Jersey, le 11 juillet 1804, mais n’avait été rapporté qu’une semaine plus tard dans un bref entrefilet du Gettysburg Centinel. Cela vous rappelle-t-il un autre incident, plus récent celui-là ? Dimanche dernier lors d’une partie de chasse dans un ranch de 25 000 hectares (on est au Texas…), Dick Cheney a blessé d’une cartouche Harry Whittington, un avocat de 78 ans, républicain inconditionnel, qui avait eu le malheur de s’interposer entre son fusil et la caille visée – mais ratée. Les journalistes accrédités à la Maison-Blanche, et donc l’opinion publique américaine, n’ont eu droit à la nouvelle que vingt-quatre heures après un quotidien local, le Corpus Christi Caller-Times, ce qui alimente depuis une ire qui n’est pas près de se calmer. D’autant plus que l’« agresseur » est un excellent fusil, ainsi que n’a pas manqué de le souligner Alan Simpson, ancien sénateur du Wyoming, ami de longue date de l’intéressé et son compagnon dans d’innombrables battues. Il n’y a pas là, relèvera-t-on, de quoi fouetter un chat. C’est vrai. Mais il se trouve que le responsable est rien moins que le numéro 2 du pays, qu’il traîne depuis des décennies une série de casseroles dont l’avant-dernière en date s’appelle l’Irak, que la présente Administration entretient avec les médias des rapports plutôt tendus, que l’on est en année électorale et que, pour les Américains, tout cela trahit une déplorable propension à effectuer (bien ? mal ?) le travail dans le secret le plus total. Avec le risque de se tromper ou, plus grave, d’induire en erreur ses concitoyens, comme ce fut le cas… Vous avez dit en Irak ? Bien visé, contrairement à ce maladroit « Tricky Dicky ». L’humoriste David Letterman ne pouvait pas, lui, se tromper de cible : dans son « late show », il croit avoir découvert l’arme de destruction massive. C’est le ViPi, vous dis-je ! Plus sérieusement, la presse dénonce le fait que l’équipe en place a toujours été dans l’incapacité d’affronter les faits, préférant les noyer sous un flots de rumeurs ou, plus carrément, les occulter. Après tout, avoir un phasianidé dans sa ligne de mire et envoyer à l’hôpital plutôt un ami, ce n’est certes pas courant, mais cela peut arriver. Par contre, le traitement réservé à l’affaire fait planer le doute sur la capacité des hommes aujourd’hui en place à Washington à s’arroger le droit de donner des leçons de transparence et à s’ériger en maîtres des destinées de notre pauvre monde. Dans une piètre tentative de détourner l’attention publique, la Maison-Blanche a essayé de faire dire par son porte-parole qu’après tout, il existe des priorités autrement plus pressantes, comme les derniers développements en Irak, la lutte contre le terrorisme et surtout la situation économique, alors que les cours du pétrole ont quadruplé en quelques mois, que la Chine et l’Inde font de plus en plus figure de nouveaux géants sur la scène mondiale. Las ! Tout s’est compliqué ces dernières heures avec l’attaque cardiaque subie par le blessé, la fibrillation qui s’en est ensuivie et la révélation par les médecins traitants que non moins de 200 plombs se sont logés dans son corps, faisant craindre des développements encore plus graves. En définitive, on n’aurait peut-être pas tort de penser que c’est une mauvaise querelle que les journaux cherchent au président des États-Unis et à son bras droit. Mais on pourrait aussi y voir le signe d’un profond malaise, la preuve que, décidément, quelque chose ne tourne pas rond au pays de l’Oncle Sam. Même si, dans l’immédiat, tout cela est en train d’attiser la verve des amuseurs publics plutôt que l’inimitié des éditorialistes, encore moins la hargne de l’opposition démocrate, laquelle se contente, pour l’instant, de mettre en doute la capacité de jugement du vice-président et son souci d’informer ses concitoyens de ce qui les concerne. Consulté, un historien de renom rappelait hier que, victime de son zèle à défendre son honneur bafoué, le pauvre Aaron Burr avait dû présenter sa démission, une réédition de ce geste – quoique pour des raisons totalement différentes – n’intervenant que 170 ans plus tard, quand Spiro Agnew, le lieutenant de Richard Nixon, s’était résigné à quitter son poste, après avoir reçu un dessous de table de 10 000 dollars du lobby des producteurs de lait. Ce qui ne risque tout de même pas de se produire demain, au prétexte qu’un chasseur sachant chasser avait chassé un chasseur. Christian MERVILLE
Il y a un précédent, célèbre dans l’histoire des États-Unis : le colonel Aaron Burr, alors vice-président, provoque en duel et tue d’une balle au foie le général Alexander Hamilton coupable d’avoir formulé à son adresse des remarques insultantes. Le drame s’était produit à Weehawken, dans le New Jersey, le 11 juillet 1804, mais n’avait été rapporté qu’une...