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Actualités - ANALYSE

L’autre bout de la lorgnette

En ce début d’un siècle qui balbutie ses premières années, grand-guignolesques et sanglantes tout à la fois, qu’est-ce donc qui nous fait voir les hommes qui font fonction de nous gouverner, non point tels qu’ils voudraient que nous les voyions, mais bien tels qu’ils sont, malgré l’aura dont les parent des courtisans auxquels on aurait tort de reprocher de faire après tout leur métier de laudateurs du prince ? Ils paraissent si faibles dans leur faillibilité, engoncés dans le clinquant de leurs bien pauvres parures, en définitive, humains, trop humains. L’envie, en les voyant parader sous les feux de la rampe qui leur sert de parapet, de crier à la face du peuple, comme l’enfant du conte d’Andersen : « Le roi est nu ! » L’heure étant aux réveils forcément pénibles, la tentation d’établir des parallèles vient tout naturellement. Et tout naturellement, les comparaisons ne sont jamais avantageuses pour nos dirigeants du moment. Ainsi, chacun y va de son petit cours de politologie comparée, à coups de sauts à travers les frontières et le temps. On vous assénera donc fort doctement que George W. Bush n’est pas Franklin Delano Roosevelt, encore moins son père (dame !) ou surtout George Washington. Que le sémillant Tony Blair n’a rien d’un Winston Churchill, qu’entre Jacques Chirac et le général Charles de Gaulle, il existe d’infranchissables fossés. Et sans nécessairement aller chercher aussi loin, on pourrait relever que non, décidément, Hosni Moubarak ne saurait être Gamal Abdel Nasser ou Saad Zaghloul. La litanie pourrait se décliner à l’infini, au gré des humeurs du moment – à l’heure présente, elles tendraient au ton morose foncé … – et de l’étendue des connaissances de chacun en histoire des nations. Qu’il vous suffise par exemple de voir comment le président américain s’est pris les pieds dans le tapis irakien, comme son alter ego français a vécu, à une date relativement récente, une désastreuse dissolution, puis un « non » au référendum sur la Constitution européenne, le choix de Londres pour les lointains Jeux olympiques, des nuits banlieusardes plutôt agitées… Feindre d’oublier quelques autres humiliations, c’est se laisser guider par une charité toute chrétienne, comme il sied en cette semaine de fêtes saintes. Mais revenons à notre interrogation. Oui, pourquoi les chefs d’État d’aujourd’hui ne sont-ils que la pâle ombre de leurs prédécesseurs ? Tout simplement parce que La Gazette de messire Théophraste Renaudot est devenue une impitoyable broyeuse qui écrase les hommes entre les laminoirs de rotatives nourries de leur sang. Parce que, tout aussi impitoyable, la télévision braque sur eux des caméras-vérité qui les fouillent jusqu’au tréfonds de leur être, dans une surexposition qui, forcément, ne saurait être avantageuse. Observez-les dans la quiète pénombre de leur lieu de travail. C’est ainsi que Chaplin, jonglant avec une mappemonde, à moitié étendu, jambes croisées, sur le bureau, ne fait que jouer à diriger l’univers. C’est Bill Clinton, dont on sait tout désormais des fantasmes sexuels, des goûts culinaires et des rapports orageux avec son intraitable épouse. Et que penser de cet autre, incorrigible dyslexique et éternel cancre, de ce piètre judoka qui doit sa ceinture noire et son ascension au firmament des « dan » à sa présence au Kremlin bien plus qu’à ses exploits sur le tatami. Jadis, la France n’avait eu vent que vaguement de la mort de son président, décédé dans les bras de sa maîtresse ; ce n’est que tardivement que l’on avait appris la vérité sur les amours ancillaires d’une First Lady et de son chauffeur noir ; et l’on continue jusqu’à nos jours d’ergoter sur les mérites réels de tel grand chef militaire ou de tel potentat. Alors qu’aujourd’hui, la présence d’une minuscule prothèse à l’oreille présidentielle est détectée illico, tout comme est retrouvée la trace d’une fille cachée, d’une brève escapade ou d’un livret militaire révélateur de bien des secrets. En même temps que les continents – le téléphone portable et les télévisions satellitaires aidant – se sont rejoints, pour ne plus former qu’un immense village où tout se sait, les pseudogéants de l’humanité ont retrouvé leurs dimensions véritables, qui sont les nôtres. Mentir n’est plus un art, n’en déplaise à monseigneur de Talleyrand, qui disait que « la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée ». C’est de révélations croustillantes, toutes fraîches et de préférence servies crues, même s’il faut pour cela tordre quelque peu le cou à la vérité, que notre pitoyable monde est friand. Il est permis de regretter l’époque où les faits et gestes étaient rapportés comme autant d’Iliade. Rêvons de voir comment les prouesses de nos héros modernes seront relatées demain par les historiens. L’ennui, c’est que nous ne serons plus là pour en juger. Christian MERVILLE
En ce début d’un siècle qui balbutie ses premières années, grand-guignolesques et sanglantes tout à la fois, qu’est-ce donc qui nous fait voir les hommes qui font fonction de nous gouverner, non point tels qu’ils voudraient que nous les voyions, mais bien tels qu’ils sont, malgré l’aura dont les parent des courtisans auxquels on aurait tort de reprocher de faire après tout leur...