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Actualités - REPORTAGE

Le bilan d’Azadeh Kian Thiebaut, chercheuse au CNRS de Paris et spécialiste de l’Iran Ahmadinejad, un président dépourvu de toute vision politique à moyen terme

Vingt-quatre juin 2005, présidentielle iranienne. Après huit années de présidence réformiste, l’Iran bascule. Profondément déçus par les résultats de l’ère Khatami marquée par l’impossibilité pour le président de mener les réformes à leurs termes, les Iraniens boycottent le scrutin ou donnent leurs voix à un nouveau venu : Mahmoud Ahmadinejad. Véritable incarnation de l’ultraconservatisme à tendance populiste, l’ancien maire de Téhéran crée la surprise en balayant son rival, Akbar Hachemi Rafsandjani. À l’origine de la réussite de celui qui n’hésite pas à revêtir l’uniforme des balayeurs de rue, une campagne de terrain et un discours électoral profondément social prônant la lutte contre le népotisme. Un discours qui séduit une large frange de la société iranienne fatiguée de la corruption des élites et des fins de mois difficiles. Mais six mois après son élection, le bilan de la présidence Ahmadinejad est particulièrement sombre. Sur la scène intérieure, après avoir contenu, quelques semaines durant, ses pulsions radicales, le président a resserré les vis. « Ahmadinejad est un pur produit des Pasdaran, habité par une vision idéologique », explique Azadeh Kian Thiebaut, chercheuse au CNRS, spécialiste de l’Iran. « Après avoir mis de l’eau dans son vin, il a rapidement lancé l’offensive sur la scène intérieure en s’attaquant aux relatives libertés que les Iraniens avaient obtenues sous Khatami », explique-t-elle. Dans la ligne de mire d’Ahmadinejad, les intellectuels, les journalistes, les jeunes non islamistes et les femmes au voile mal ajusté. « Sur la scène politique iranienne, Ahmadinejad a remercié tous les hauts fonctionnaires pour placer ses hommes. On a ainsi parlé d’un coup d’État des Pasdaran contre l’aristocratie cléricale, explique Mme Kian. Mais, ces personnes étant incompétentes, l’Administration ne fonctionne pratiquement plus. » Le président est en outre revenu sur ses promesses. « Ahmadinejad n’a pas de projet de société et il s’est rapidement rendu compte qu’il ne pouvait pas honorer ses promesses électorales », estime la chercheuse. Pire, Ahmadinejad épuise l’économie. « Khatami avait créé une caisse de réserve à partir des excédents des recettes pétrolières. Cette somme devait être en partie allouée aux entrepreneurs pour donner un coup de pouce à la production industrielle. Depuis qu’il est au pouvoir, Ahmadinejad n’arrête pas de puiser dans cette réserve pour financer des projets populistes à court terme, de sorte qu’il ne reste plus rien dans les caisses. Le président a également attaqué la Bourse, la déclarant illicite. Ce qui a engendré une fuite massive des capitaux iraniens vers les Émirats arabes unis, ajoute-t-elle. Tout ce qu’il a entrepris, politiquement parlant, est catastrophique. Ahmadinejad est dépourvu de toute vision politique à moyen terme. » Le président de la République islamique s’est par ailleurs illustré, ces dernières semaines, par des propos particulièrement venimeux à l’encontre de l’État hébreu, le qualifiant de « tumeur » et estimant qu’il fallait le « rayer de la carte ». Au palmarès de ces déclarations déconcertantes, figurent également l’Holocauste, qualifié de « mythe », et sa proposition de transfert de l’État d’Israël en Allemagne. « Les déclarations d’Ahmadinejad sur Israël ne représentent pas, loin de là, la position de l’Iran sur l’État hébreu. Il faut savoir que la question palestinienne est loin d’être la préoccupation première des Iraniens. Quand Ahmadinejad a appelé à rayer l’État hébreu de la carte, le guide Khamenei a parallèlement déclaré que le gouvernement devait honorer ses promesses électorales au lieu de s’occuper de politique étrangère », explique Mme Kian, qui souligne qu’Ahmadinejad semble de plus en plus échapper au contrôle du guide. « Ces déclarations sont également un moyen pour Ahmadinejad de gagner en popularité au niveau de la rue arabe », ajoute-t-elle. Reste un dossier, central, qui alimente de manière quasi quotidienne les colonnes de la presse internationale : le nucléaire iranien. En annonçant, début août, la reprise de ses activités nucléaires ultrasensibles, comme l’enrichissement d’uranium, Téhéran a lancé un véritable défi à la communauté internationale et ne cesse, depuis, de souffler le chaud et le froid. « Les tergiversations iraniennes existaient déjà sous Khatami. À mon sens, l’Iran cherche à gagner du temps pour faire avancer son programme nucléaire et arriver en position de force à la table des négociations. L’acquisition et la maîtrise de la totalité du processus technologique nucléaire sont essentielles pour le positionnement régional de l’Iran », estime Mme Kian. Aujourd’hui, en raison de son offensive sur le dossier nucléaire, « on peut dire que l’Iran est réellement en position de force dans la région par rapport à ce qu’il était il y a dix ans ». Pour 2006, outre la poursuite des négociations sur le nucléaire, la situation interne pourrait réserver des surprises, estime Mme Kian. « Il me paraît difficile que la situation actuelle sur la scène locale se poursuive ainsi. Un clash n’est pas à exclure. Je ne pense pas à une deuxième révolution, mais plutôt à une révolution de palais, qui opposerait les Pasdaran à l’aristocratie cléricale. » Propos recueillis par Émilie SUEUR

Vingt-quatre juin 2005, présidentielle iranienne. Après huit années de présidence réformiste, l’Iran bascule. Profondément déçus par les résultats de l’ère Khatami marquée par l’impossibilité pour le président de mener les réformes à leurs termes, les Iraniens boycottent le scrutin ou donnent leurs voix à un nouveau venu : Mahmoud Ahmadinejad. Véritable incarnation de...