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Actualités - OPINION

L’hommage des lecteurs à Gebran Tuéni

À Gaby l’incorruptible Toi, mon, ami, avec qui j’ai partagé de merveilleux moments, des souvenirs inoubliables, avec les copains du lycée, les poches bourrées de billes, l’adolescent au sourire espiègle pendant nos intenses batailles navales en plein cours de maths. Nous avons tous deux grandi avec cet idéalisme à fleur de peau, ces mots qui font sourire sournoisement certains : solidarité, ténacité et surtout patriotisme. Si je dois citer un politicien incorruptible, ce serait bien toi, qui n’a jamais cessé de te battre pour les fils de ton pays, pour tes amis, pour les tiens. Bref, toujours présent pour les autres. Ton engagement politique, ton sens du devoir, ta combativité et ton ouverture d’esprit servaient à faire rejaillir ta conviction profonde de ce que devait être notre cher Liban. Comme disait Brel dans une chanson célèbre : « Même quand je serai six pieds sous terre, je continuerai à parler », tant il est vrai que se taire serait se faire complice. Cher ami, tu es et tu resteras pour moi, ainsi que pour tous les Libanais, un repère inébranlable de courage, de révolte et de patriotisme. Je déplore la disparition tragique de mon ami le journaliste, le résistant, l’humaniste, et je partage la douleur de sa famille, du Nahar et de tous les hommes libres. Camille Dory CHAMOUN Sans pardons Non, non, Seigneur Père de l’Éternel « L’ordre du monde » Les rythmes séculaires L’hémorragie des ans Le terrible fracas des corps éparpillés Longs défilés noirs Cortèges abrutis Visages plats, et, à nouveau le corps porté À bout de bras. Non, non, il ne faut pas les enterrer, les laisser partir Mais les embaumer, les habiller d’azur, de célestes D’astres, d’éclats Les enlever, les placer haut sur nos toits Le feu sacré protège les âmes saintes Et le vent porte leur voix Nous devons les entendre Ils sont morts pour ça Et après… S’agenouiller, caresser le sol Cette terre leur appartient Elle frémit, étourdie par le choc vertigineux La chaussée regorge Crie sa souffrance Les bannières s’affolent Se bousculent Qui les entend… Frénésie de propos Profils de pierre Paumes ensanglantées D’un coup, d’un seul coup Le message tombe Comme une lame, précis Et la nuit est là Qui s’ouvre sur l’infini Et après… Une prière Seigneur Ouvre les bras, accueille-les. Mona GÉBARA Mais non, il n’est pas mort Il est mort le poète, ou plutôt, ils ont tué notre poète. Le poète de la nouvelle indépendance, le poète de la plume libre, le poète de la révolution du Cèdre, le poète du Nahar, le poète de tous les Libanais. Gebran Tuéni n’est pas du tout un poète comme les autres, parce que lui, ses paroles, ses pensées et ses idées sont poésies. Mais non, Gebran Tuéni n’est pas mort, et ses poésies resteront à jamais gravées dans nos cœurs. La flamme de la liberté que lui-même a allumée durant son parcours brûlera pour toujours. Gebran, tu n’es pas mort, tu es vivant en chacun de nous. Georges GHARIOS Après l’obscurité, le jour Pour que l’obscurité de la division, de la terreur et de l’effroi se dissipe, pour enfin observer la résurrection éclatante d’un jour nouveau, jour d’unité, jour de liberté, jour de nationalisme, jour du droit et de la vérité, jour du Liban… Je m’adresse à ce père broyé, à un homme que je respecte et admire, à celui qui fut le témoin du mariage de mes parents, à celui qui aurait dû être mon parrain si la foudre de la guerre n’avait pas détourné les êtres chers, séparés les amis et les familles. Une guerre que nous avons tous accepté d’oublier le jour où nous nous sommes rassemblés, place des Martyrs – place de la Liberté, afin de prêter serment. De promettre de tenir le coup face aux agressions, d’appartenir à une nation nommée Liban, d’accepter l’autre, de refuser de fléchir, d’être libanais avant tout. Martyr… Qu’il est difficile de prononcer ce mot ! Martyr de la presse, martyr de la liberté, martyr de la vérité, martyr de la cause, martyr de l’intifada… Gebran Tuéni a été assassiné, et je ne vais pas accuser ni crier vengeance. Tout ce que je demande, c’est l’unité. Au nom de la section estudiantine du Bloc national libanais, je présente mes sincères condoléances et réitère notre ferme dévouement à la cause d’une nation qui aspire à s’épanouir. J’adresse un dernier mot à celui qui fut agressé par la vie, qui lui a volé trop tôt l’épouse et les enfants. Résistez, M. Ghassan Tuéni, tous les Libanais sont vos enfants aujourd’hui, et vous remercient pour tout ce que vous êtes, pour tout ce que vous avez donné et continuez à donner. Myriam Élias SAYAH Profondément inquiet Je prends ma plume car je tiens à exprimer ma nausée face au crime perpétré contre Gebran Tuéni. J’ai eu l’occasion de le croiser lors d’une manifestation au Trocadéro, à Paris, et je garderai éternellement en mémoire sa fougue, sa détermination et sa confiance en l’avenir. Ces lâches, qui osent s’attaquer à des journalistes et à des défenseurs de la démocratie, et puis qui osent apparaître dans les médias afin d’exprimer leur indignation et prétendre que « ce sont les Libanais qui règlent leurs comptes », me dégoûtent. Ils ne méritent même pas que je les cite dans ces quelques lignes, car ce que je veux, c’est montrer à quel point nous avons faim de liberté, de personnes responsables, probes, qui, à l’instar de Gebran Tuéni, feraient passer l’intérêt du Liban avant le leur. Je suis inquiet, profondément inquiet, car nous perdons toutes les personnes de qualité, charismatiques, qui savent fédérer la population libanaise et interpeller (intelligemment) le gouvernement encore grégaire et hésitant à acquérir de la maturité et de l’indépendance, tout simplement. À chaque intervention télévisée de Gebran Tuéni, j’étais subjugué par la justesse de son analyse, la simplicité et la pertinence de ses propos. Il lisait comme dans un livre ouvert dans l’esprit de chaque Libanais qui aspirait à la liberté, à l’amélioration de sa condition de personne libre de toute entrave et de tout résidu d’asservissement. Et c’est justement ça qui faisait que Gebran Tuéni était tant aimé, apprécié, admiré par le peuple libanais, et en même temps redouté et haï par ceux qui lui ont ôté la vie. À des milliers de kilomètres du Liban, je suis submergé par le chagrin et la colère. Je m’incline devant ton martyre, Gebran Tuéni, et je prie le ciel pour que ton sacrifice ne soit pas vain. Repose en paix auprès de ta mère, de ta sœur (partie trop tôt) et de ton frère, et que Dieu donne la force à ton épouse, tes enfants, ton père et à tous ceux qui restent. José COUSSA Paris La liberté d’assassiner J’ai lu le titre en manchette de L’Orient-Le Jour au lendemain de l’assassinat de Gebran et qui disait : « Le champion des libertés assassiné ». Ce titre m’en a inspiré un autre, où je propose d’accorder « assassiné » avec « idées » et non avec le champion. Pour dire « Le champion des libertés assassinées ». En effet, au-delà de la personnalité si marquante de la victime, ce sont toutes les libertés dont nous sommes fiers depuis l’occupation ottomane qui sont assassinées. La liberté de parler, la liberté de lire (et d’élire), la liberté de voir, la liberté de penser (et de panser nos blessures morales et physiques), la liberté de nous exprimer, la liberté des médias, la liberté tout court d’être libanais. Ce sont ces libertés et tant d’autres que l’on a assassinées, en tuant Gebran et tant d’autres avant lui. Les assassins sont dans nos murs. Et eux, ils ont une liberté que nous n’avons pas… La liberté d’assassiner. Jean-Claude BOULOS Ne pas baisser les bras En ce début de semaine, les ennemis du Liban ont exécuté leurs menaces, en assassinant odieusement Gebran Tuéni. Gebran Tuéni, farouche opposant aux multiples occupations étrangères qui n’ont fait que du mal au Liban sur les plans politique, social, économique et même humain. Il est bon de rappeler que les ennemis du Liban et leurs alliés ont poussé nos leaders nationaux à l’exil forcé ou aux prisons. L’opinion libanaise attendait les articles de Gebran Tuéni pour se remonter le moral et continuer avec lui à défendre l’identité libanaise. Gebran Tuéni, pilier de « l’intifada de l’indépendance » et du mouvement du 14 mars, quand un million et demi de Libanais ont envahi le centre-ville de Beyrouth, proclamant à haute voix leur attachement à l’indépendance du Liban. Grâce à ce mouvement, les forces syriennes ont été obligées d’évacuer le Liban le 26 avril dernier ; leurs alliés ont été ébranlés. Malheureusement, l’obédience de certains de nos chefs de file politiques a permis aux ennemis du Liban et de l’opposition de se venger par les assassinats successifs de personnalités libanaises de poids. Le Liban et l’opposition ont perdu aujourd’hui un pilier. Aucune indépendance ne se prend sans sacrifices. Un point s’impose : malgré toutes les difficultés, il ne faut pas baisser les bras sans que le rêve de nos martyrs ne se soit réalisé : le Liban libre et indépendant. Que le gouvernement libanais demande enfin des enquêtes officielles et internationales sur ces assassinats qui se succèdent depuis 1975, sur le sol libanais, et sur ces fosses communes macabres découvertes dernièrement. Gaby Jean CHAMI Notre ami Gebran Le lâche assassinat de Gebran Tuéni est un nouveau et bien triste exemple du processus qui s’est enclenché avec le meurtre du président Rafic Hariri. Ces actes sont d’autant plus barbares qu’ils frappent systématiquement des hommes et des femmes qui avaient toujours refusé la violence et n’avaient pas de sang sur les mains. Gebran avait ses opinions passionnées, qu’il exposait avec courage. La plus ferme de ses convictions était qu’il fallait construire un nouveau Liban débarrassé de toutes les séquelles de la guerre, de toutes les ingérences cyniques qui lui ont fait tant de mal. Avec Gebran, c’est un peu du Liban libéral, tolérant, non confessionnel qui disparaît. C’est un peu plus de grisaille qui assombrit le ciel de ce pays, notre pays, qu’il aimait tant. Nous étions liés, depuis l’adolescence, par une amitié fidèle. Ensemble, nous rêvions d’un Liban fraternel et reconstruit. C’est encore un peu de ce rêve qui vient de s’envoler. Aujourd’hui, nous pleurons le patriote libanais et l’ami que nous venons de perdre. Khaled et Mazen EL-TIBI « Laissez vivre mon peuple !» Lancé en son temps par Ghassan Tuéni à la conscience du monde, ce cri s’est perdu dans les brumes d’une désaffection généralisée. Retenu par une pudeur propre à tous les grands, il avait omis d’ajouter : « Laissez vivre le dernier qui me reste ! » Désespéré de tout sauf de la parole qui guide, désavoue et assène, il se sentait confiant d’avoir remis le flambeau à une « voix qui porte ». Mais engluée dans les méandres des intérêts géostratégiques, la plus honorable des Assemblées a assisté, impuissante, au génocide d’un de ses membres fondateurs. Assoupie à l’ombre du Palais de Verre, la communauté internationale s’est détournée, indifférente à un « pays message ». Et c’est ainsi que, pressé par un impératif de survie, le Liban a évolué en dehors du monde ; et le monde, enivré par son tourbillon, oubliait de se rappeler à lui. Assiégée par un déchaînement qu’elle n’avait pas su prévoir, cette terre de conciliation vécut l’autarcie qu’engendrent la haine et la violence. Meurtrie dans sa chair, cette terre de dialogue s’est vue imposer une doctrine de parole barrée. Irradiant de lumière, cette terre de beauté n’en finit pas de se débattre dans les affres de l’enfer. Un long silence coupable, un abandon meurtrier ont longtemps encouragé les hyènes affamées à dépecer une proie qu’ils ont crue résignée. Une apathie blâmable, un engourdissement condamnable ont longtemps convaincu les fossoyeurs de leur impunité. Réveillée de sa torpeur par un crime odieux, cette communauté des nations a brusquement découvert, ébahie, les souffrances innommables d’un peuple glorieux. D’autant qu’à ceux qui ont cru l’asservir, il a brandi l’étendard de la liberté. À ceux qui ont voulu le brimer, il a opposé fièrement un devoir de mémoire. Mais ce peuple qui a entendu la voix de Gebran Tuéni, ce peuple qui s’est laissé haranguer par une voix qui a porté, ce peuple qui pleure, désemparé, la disparition de cette voix, proscrit désormais toute immunité ; ce peuple qui a choisi la mort dans la dignité réclame dorénavant justice pour tous les crimes impunis. Seule la création rapide d’un tribunal international pour juger et sanctionner tous les crimes perpétrés redorera le blason d’une assemblée internationale garante des valeurs impérissables, confortera le peuple du 14 mars dans sa quête de tutoyer l’incommensurable, mettra un peu de baume sur le cœur meurtri d’une famille ravagée, donnera un sens à une longue chaîne de martyrs sacrifiés. Et parachèvera l’avènement d’une aube nouvelle sur cette terre sacrée, longtemps irriguée par le sang de ses fils. Marianne ISSA EL-KHOURY Un homme, une idée L’assassinat de Rafic Hariri, en tuant l’espoir, avait porté les Libanais à la révolte. Le meurtre de Samir Kassir a endeuillé le pays et choqué les penseurs. La mutilation de May Chidiac a bouleversé les foyers et ému la population. Mais ce criminel attentat qui a coûté la vie à Gebran Tuéni a broyé nos cœurs et glacé notre sang. Il a tué l’homme mais n’a pas tué l’idée. Par son martyre, la voix de Gebran s’est amplifiée, elle a pris un volume sans précédent, et grâce à tous ceux qui l’ont connu, aimé et compris son message, elle fera boule de neige et, telle une avalanche, suivra le chemin qu’il lui avait tracé. Nous te disons au revoir, Gebran, il n’y a pas d’adieu pour ceux qui croient. Dolly TALHAMÉ Une nouvelle étoile au firmament La main de l’ennemi a encore frappé. Le Liban a perdu un grand homme, un journaliste courageux ; il a perdu la voix de la liberté, il a perdu Gebran, notre rêve, notre espoir. Mais la main qui l’a atteint n’a pas réussi à éteindre la lumière à l’intérieur de chaque Libanais, cette lumière qui brille, grâce aux mots et aux opinions de Gebran Tuéni, qui éclairent notre chemin pour parvenir à la vérité et pour créer un Liban libre. Afin que d’autres Gebran ne tombent. Millia BOU NASSER EDINE Ne survivront donc que les fous ? Où va-t-on ? Quelqu’un le sait-il ? Veulent-ils tout simplement éliminer toutes les personnes sensées et, surtout, pacifistes ? Ne restera-t-il que les malades, les fous, les criminels, les fanatiques ? Ceux qui ont du sang sur les mains ? Le 14 mars ! Laissez-moi rire… et pleurer tout mon saoul, ils l’ont tué et enterré aussi. Qui sont-ils ? Ceux pour qui des mots comme intelligence, plume libre, démocratie, liberté, anticonfessionnalisme, indépendance, souveraineté, tolérance ne veulent rien dire, et même, au contraire, représentent exactement le contraire de tout ce à quoi ils aspirent. Ils veulent de la guerre, du sang, du feu, du fanatisme, du terrorisme. Et pourquoi ? Pour la gloire, l’argent, le pouvoir ? Ou, tout simplement, pour laisser libre cours à leur folie, leur schizophrénie, leur névrose… Se trouvera-t-il quelqu’un pour réagir et agir avant que le dernier être sensé ne soit tué ou ne quitte le Liban ? Avant que notre Liban ne devienne un immense asile psychiatrique. Claude AMMOUN Vive la liberté ! Je cherche dans tous les dictionnaires du monde pour pouvoir trouver des mots pouvant refléter mes sentiments de tristesse mêlée de rage suite à l’assassinat de Gebran. Je suis vraiment triste de pouvoir parler de lui au passé, mais je sais que Gebran est ancré dans l’avenir. Cet avenir dont il rêvait, cet avenir de notre cher Liban. Gebran représentait l’espoir d’une survie et, même mort, il est la survie, car ses mots sont et resteront des volcans, prêts à exploser dans le cœur de chaque tyran, de chaque despote. Je m’incline devant sa mémoire et je joins mes mots aux mots du grand Malraux, lors de l’entrée de Jean Moulin au Panthéon : « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé… Entre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle – nos frères dans l’ordre de la nuit. » Tout le Liban est aujourd’hui un Panthéon et même s’il ne reste qu’un seul survivant dans le pays immortel du Cèdre, le Liban vaincra, car il représente la liberté, et la liberté est née pour durer. Vive le Liban et vive la liberté ! Vicken B. BYRAMIAN Genève – Suisse Dans le cœur de chacun Gebran, qui ne connaît ton courage et ton patriotisme ? Tes ennemis mieux que tout le monde… Faute de plume, ils préfèrent les bombes ; chacun ses méthodes. Gebran, rien ne sera perdu, tes mots encore moins que ton dévouement. Te voilà dans le cœur de chacun. Des millions de fois renouvelé… Carla NADER En silence, sans pleurer Qui a dit que ça allait être facile de regagner notre liberté ? Qui a dit qu’un seul 14 mars suffirait à retrouver notre indépendance ? Bien sûr, on se retrouve le gorge coincée, la parole amputée, l’espoir blessé. Gebran Tuéni n’est plus, on nous l’a enlevé… Mais peut-être que ça ferait une petite différence, et même pas si petite que ça, si tout le monde, au lieu de se recroqueviller à la maison, si tout le monde descendait dans la rue pour crier son dégoût et son ras-le-bol, juste histoire de se redonner l’espoir, l’espoir que le Liban est uni, que le 14 mars n’était pas un rêve mais une réalité, de se redonner la force de continuer le combat, et, comme l’aurait peut-être souhaité Gebran Tuéni, le crier en silence et sans pleurer… Michèle BRAIDY La nouvelle Inquisition L’Inquisition l’avait compris. Dans les autodafés qu’elle pratiquait, ce ne sont pas de simples paroles ou écrits qu’elle cherchait à effacer, mais l’éradication d’une culture, d’un peuple et d’un pays. C’est ainsi que tous les textes pouvant inciter à une expression individualisée étaient détruits, et avec eux histoire et réflexions d’humanité. Cinq siècles plus tard, les pratiques sont les mêmes, elles ont changé d’époque et d’auteurs, mais se rattachent à l’unique langage qu’elles connaissent, celui de la peur et de la coercition. Ces pratiques de l’annihilation du langage et de la pensée ont été aujourd’hui adoptées par les régimes totalitaires du Moyen-Orient. Transformée en fer de lance d’un pouvoir qui se sait éphémère, la liberté d’expression est bâillonnée. C’est ainsi, en partant des rives du Nil jusqu’au fleuve Barada, que journalistes et penseurs sont proscrits, emprisonnés ou assassinés. Et c’est dans cette même implacable logique, selon laquelle la parole qui n’est pas écrite ne peut exister, que s’inscrivent les attentats dont ont été victimes Samir Kassir et Gebran Tuéni. Leur mort ne sera pas vaine. Leur plume peut être brisée et leurs corps domptés. Mais nos pensées et notre mémoire garderont à jamais le souvenir vivace de leurs convictions et de leur volonté de démocratie. Vous avez beau confisquer leurs livres et brûler leurs écrits, tant qu’un Libanais pourra lire, écrire et se souvenir, nous ne vous serons jamais inféodés. Les régimes disparaissent au gré des rivalités, mais la parole, elle, perdure ; ils ont la vie courte, elle a l’éternité. Mona ALAM De grâce, dites-moi Est-il interdit de se révolter contre une situation Est-il permis de refuser un état de fait Est-il interdit d’être différent Est-il permis de sortir du moule Est-il interdit d’être contre tout le monde Est-il permis de vouloir être seul Est-il interdit de reconnaître son impuissance Est-il permis d’espérer faire quelque chose Est-il interdit de penser à l’avenir Est-il permis d’accepter le présent Est-il interdit de commettre des erreurs Est-il permis d’admettre ces erreurs Est-il interdit de fermer son téléphone Est-il permis d’écouter sa conscience Est-il interdit d’avoir peur Est-il permis de pleurer un pays Est-il interdit de prier dans le pays de Dieu Est-il permis de prier dans l’église et la mosquée Est-il interdit d’ignorer le 14 mars Est-il permis de s’absenter le 8 mars Est-il interdit de vouloir la vérité Est-il permis de dire la vérité Est-il interdit d’avoir des amis étrangers Est-il permis de refuser qu’ils décident Est-il interdit de vouloir être libanais Est-il permis d’y vivre ensemble ? Gebran, réponds-moi. Yacoub SARRAF Colère, révolte et dédain Ce peuple qui perd ses enfants, les enterre jusqu’au prochain enterrement, Ce peuple qui salue la caméra en attendant la dépouille mortelle, Ce peuple qui arrange sa coiffure en présentant les condoléances, Ce peuple qui perd son toit et le reconstruit sans hurler, Ce peuple qui crève de faim et ramasse les miettes sans une larme, Ce peuple qui compte les zéros des seigneurs après la virgule et ne bronche pas, Ce peuple qui applaudit la fin du spectacle alors qu’il ne l’aime pas, Ce peuple qui paye et ne reçoit pas, Ce peuple qui sue et croule sous les dettes, Ce peuple qui respire au rythme des chansons érotiques, Ce peuple qui ne vit que pour le culte du physique, Ce peuple qui ne s’alimente l’esprit que de mondanités, À ce peuple, je dis : Réveillez-vous ! Ouvrez les yeux ! Sortez de votre léthargie ! Mais il reste un espoir : la jeunesse du pays qui souffre et qui résiste. Nelly DECONDE De Gebran au peuple libanais Les pauvres qui ne payent pas certaines contributions sont-ils des esclaves ? Sont-ils sans intérêt dans la chose publique ? Tous ont contribué à l’élection des membres de l’Assemblée : ils vous ont donné des droits à exercer pour eux; vous en ont-ils donné contre eux ? Sont-ils citoyens, oui ou non ? Plus un homme est malheureux et faible, plus il a besoin du droit de pétition. Quand ces prétendus guides parviennent à maîtriser les délibérations, il ne reste plus qu’un fantôme de représentation nationale. La révolution, dit le patriote libanais, c’est une religion, et le Hezb et Amal y font secte, prêtre qui a ses dévots. Il prêche, il censure, il tonne contre les grands et les riches ; il vit de peu et ne connaît pas de besoins physiques ; il s’est fait une réputation d’austérité qui vise à la sainteté ; il parle de Dieu et de la Providence, il se dit l’ami des pauvres, il se fait suivre par les femmes et les faibles d’esprit, il reçoit gravement leurs adorations et leurs hommages. La minorité, s’écrie-t-il, a partout un droit éternel, celui de proclamer la vérité ou ce qu’elle regarde comme tel. La vertu fut toujours en minorité sur la terre. Punir les traîtres, renouveler les dirigeants de la Sûreté générale, épurer ce comité, le subordonner au comité de Salut public, épurer le comité de Salut public lui-même, constituer l’unité du gouvernement sous l’autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l’autorité nationale, pour élever sur leurs ruines l’empire de la justice et de la liberté. Ce que vous venez d’entendre est mon testament de mort. Je l’ai vu aujourd’hui : la ligue des méchants est tellement forte que je ne puis espérer lui échapper. Je vous laisse ma mémoire : vous la défendrez… Que le régime syrien assassin le veuille ou non, le Liban est souverain, libre et indépendant, et le restera avec la grâce de Dieu. Nous sommes tous prêts à subir le martyre pour défendre notre liberté. Que ce régime lâche ne rêve plus de son retour dans notre cher pays du Cèdre. Père Charles SAAD Toulon - France Parti trop tôt De la France, je vois tout ce qui se passe chez moi, chez ce que je nommais le « chez moi », mon Liban. Je croyais que les blessures étaient déjà fermées. Mais non, ils insistent à remuer le couteau dans la plaie. C’est comme si Samir Kassir ne leur suffit pas… Mon pays me manque. J’ai tellement hâte d’y retourner, j’ai hâte qu’il redevienne mon pays. Samir Kassir, Gebran Tuéni, vous êtes partis trop tôt. Reposez-vous, vous avez tant fait pour nous. Vous n’êtes pas faits pour rester dans ce monde. Mais vous serez toujours en nous. Hélas, pas avec nous, dans notre tourbillon, notre cercle vicieux. Cynthia KORKMAZ Notre lueur d’espoir Qui aurait dit que cela devait arriver ? Nous savions tous que vous étiez menacé mais l’idée de vous atteindre vraiment nous paraissait inconcevable. Vous étiez un homme qu’on admirait M. Tuéni ; vous aviez cette franchise, ce franc-parler, cette éloquence, cette fougue, et ce regard direct qui nous laissaient croire et espérer en un Liban meilleur. Nous suivions votre ascension avec fierté, ignorant les méchancetés. Vous étiez notre lueur d’espoir. Aujourd’hui vous êtes parti, sûrement vers un monde meilleur, à la veille de Noël, rejoindre Samir Kassir, votre frère de combat. Alors je vous en supplie, M. Tuéni, envoyez-nous un petit ange directement venu du ciel, pour que nous puissions respecter votre célèbre serment et pour nous aider à continuer sur le chemin que vous avez tracé. Vous allez nous manquer beaucoup ! Merci pour tout. Viviane ABOUROUS
À Gaby l’incorruptible

Toi, mon, ami, avec qui j’ai partagé de merveilleux moments, des souvenirs inoubliables, avec les copains du lycée, les poches bourrées de billes, l’adolescent au sourire espiègle pendant nos intenses batailles navales en plein cours de maths.
Nous avons tous deux grandi avec cet idéalisme à fleur de peau, ces mots qui font sourire sournoisement certains :...