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Actualités - OPINION

La parole aux médecins Christian Barnard et la première greffe du cœur

Par le Pr Antoine GHOSSAIN Il est, dans l’histoire de la médecine, des jours et souvent des nuits mémorables. C’était dans la nuit du 24 au 25 décembre 1952 que fut réalisée, à Paris, la première greffe du rein d’une mère à son fils. Et c’est dans la nuit du 2 au 3 décembre 1967 que fut réalisée à Cape Town, en Afrique du Sud, la première greffe du cœur. Cette grande performance, vieille aujourd’hui de trente-huit ans, mérite qu’on se la remémore. Le 2 décembre 1967, Denise Darvall, une jeune Sud-Africaine blanche, est heurtée par une voiture dans une rue de Cape Town près de l’hôpital Groode Schuur où elle est déclarée, à son admission, morte cérébralement. Sa famille donne la permission de transplanter son cœur dans le thorax de Louis Washansky, un épicier d’origine polonaise, âgé de 55 ans, dont l’organe cœur était gravement défaillant. Le résultat fut spectaculaire, malgré le fait que le patient n’était pas, selon les normes actuelles, le candidat idéal pour la transplantation, parce qu’il était diabétique, fumeur et porteur d’insuffisance vasculaire périphérique. Ses œdèmes disparurent en quelques jours et tout se déroulait normalement jusqu’au douzième jour, lorsque sa condition commença à se détériorer. Ses poumons étaient infiltrés et l’équipe chirurgicale n’arrivait pas à savoir s’il s’agissait d’une pneumonie qu’il fallait combattre seulement avec des antibiotiques ou si c’est un rejet qu’il fallait attaquer par des immunosuppresseurs. Ils optèrent pour cette deuxième hypothèse qui se révéla erronée et aboutit, vers le dix-septième jour, à la mort du patient de pneumonie. Cette histoire illustre l’insuffisance des moyens médicaux à l’époque. La deuxième transplantation eut lieu avec succès un mois plus tard, le 2 janvier 1968, et actuellement la greffe du cœur est devenue une opération bien codifiée avec des succès durables autour de 80 %. Bien de petites « histoires » ont accompagné cette grande performance et son héros, le Dr Christian Barnard. Ce dernier avait eu l’occasion de faire sa première transplantation quelques jours avant, mais le donneur était noir et greffer son cœur à un Blanc aurait suscité des critiques de la Société internationale braquée, à l’époque, sur la politique d’apartheid de l’Afrique du Sud. Les lois sur la mort cérébrale n’étaient pas codifiées à cette époque, et l’Afrique du Sud pouvait être accusée d’être plus « permissive » que l’Europe et les États-Unis. Aussi Barnard décida d’inviter à la salle d’opération le médecin légiste concerné par le décès de la patiente accidentée. Il fit arrêter devant lui les respirateurs qui entretenaient artificiellement le travail du cœur et le décès survint devant les yeux du médecin légiste, qui donc signa l’acte de décès et l’équipe procéda immédiatement au prélèvement. Ce prélèvement fut confié par Barnard à une équipe dirigée discrètement par un Noir, dont le nom fut occulté parce qu’il n’avait pas le droit d’opérer sur un Blanc, même mort. Ce Noir n’était même pas médecin. C’était un garçon de laboratoire qui était devenu, à force de voir et d’aider, un « self taught surgeon » doué d’une virtuosité technique remarquable. Trente ans après sa participation à cette première greffe et après la levée de l’apartheid en 1991, Barnard divulgua son nom et l’Université de Cape Town lui délivra un Honorary Master Science Degree in Medecine. Il s’appelait Hamilton Naki. Le New York Times lui consacra un article à l’occasion de sa mort le 29 mai 2005, à l’âge de 78 ans (New York Times, 11 juin 2005). Le Dr Christian Barnard raconte dans son autobiographie les moments pathétiques de son aventure. Le côté dramatique de l’opération et le look charismatique de Christian Barnard ont vite fait d’impressionner le monde. En revenant chez lui le matin du 3 décembre 1967, après avoir fini d’opérer sa greffe, il entendait les flashes répétés sur toutes les radios. Deux jours plus tard, Cape Town était devenue la capitale du monde. Barnard était mitraillé par les photographes, assailli par les demandeurs d’autographes, reçu plus tard par des chefs d’État et deux papes, Paul VI et Jean-Paul II. Grâce à lui et pour un moment, le « pouvoir médical » prit une place prépondérante à côté des autres pouvoirs politique, militaire, financier et autres bien plus prédominants. Le Dr Barnard fut invité au Liban en 1974 par le Lebanon Chapter de l’American College of Surgeons, lors de son congrès au Phoenicia. Il raconta, en prélude à sa conférence, une plaisanterie qui fut très applaudie par l’auditoire. Comme il était invité pendant des mois et des années à parler de sa prouesse, un jour, après plusieurs heures de route pour donner une conférence dans une ville loin de Cape Town, il confia à son chauffeur combien il était fatigué et il se demandait s’il pouvait être capable de donner sa conférence. Le chauffeur lui dit : « Si c’est la même conférence que vous avez déjà donnée plus de deux cents fois, je peux la donner à votre place ». Ils s’arrêtèrent à une station d’essence, échangèrent leurs habits et le chauffeur donna brillamment la conférence pendant que Barnard dormait au fond de la salle. Après la conférence vinrent les questions, toujours les mêmes, auxquelles le chauffeur, bien rôdé, répondit avec une aisance jusqu’au moment où une question insolite et difficile a été posée. Le chauffeur, sans paniquer, répondit à l’intervenant : « Votre question est stupide et banale, et ce n’est pas moi qui y répondrais, mais mon chauffeur qui est au fond de la salle. » Barnard s’arrêta d’opérer quelques années après sa grande première, à cause de déformations des doigts dues à une arthrite rhumatoïde. Il mourut du cœur en 2002, au cours d’un voyage à Chypre, à l’âge de 80 ans.
Par le Pr Antoine GHOSSAIN

Il est, dans l’histoire de la médecine, des jours et souvent des nuits mémorables. C’était dans la nuit du 24 au 25 décembre 1952 que fut réalisée, à Paris, la première greffe du rein d’une mère à son fils. Et c’est dans la nuit du 2 au 3 décembre 1967 que fut réalisée à Cape Town, en Afrique du Sud, la première greffe du cœur. Cette grande...