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Souheil Natour: «Seule la solidarité peut donner force de légitimité aux revendications des réfugiés»

Juriste de formation, Souheil Natour est membre du comité central du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP). Fervent défenseur des droits de l’homme, il est actuellement responsable du Centre de développement humain. D’où sa maîtrise du dossier des droits politiques et sociaux des Palestiniens pour lequel il n’a cessé de militer depuis de longues années. Pourtant, le responsable n’en est pas moins conscient des enjeux politiques et stratégiques qui commandent ce dossier. À l’instar de ses pairs, il persiste et signe : on ne peut évoquer la question des droits sociaux qu’en relation avec l’ensemble du dossier palestinien qui est un dossier politique et sécuritaire par excellence. C’est la raison pour laquelle les factions palestiniennes ont tenu à ce que les négociations englobent trois volets majeurs, à savoir les droits sociaux, économiques et politiques des réfugiés, la réorganisation des armes à l’intérieur des camps et le règlement des armes à l’extérieur des camps. Bien que chacun des trois thèmes constituent un chapitre à part, notamment du point de vue de leur traitement, on ne saurait toutefois séparer les trois axes, selon le principe de la «globalité de la question palestinienne», explique le juriste. Car, dit-il, l’unité du dossier est justifiée par un seul et même objectif visé par le dialogue qui est «l’avenir des relations entre le pays hôte et les réfugiés». « Ce sont toutefois les modèles de traitement et les solutions à apporter qui diffèrent », précise M. Natour. Pour ce responsable palestinien, l’appel au dialogue est une initiative on ne peut plus « sage » de la part du gouvernement libanais, qui a enfin réalisé qu’il était temps de faire face à la situation et d’ouvrir un dossier qu’on a longtemps cherché à occulter. Le dialogue entamé depuis quelques semaines avec le gouvernement libanais est indiscutablement « un pas qualitatif dans les relations libano-palestiniennes », le premier du genre dans l’histoire du pays. «C’est, dit-il, le couronnement d’une maturation politique et psychologique à laquelle sont parvenus les Libanais aussi bien que les Palestiniens.» Mais qu’est-ce qui explique ce retournement de situation ? Fallait-il attendre la 1559 pour se pencher enfin sur ce problème endémique? Pour M. Natour, plusieurs facteurs – locaux et internationaux – ont contribué à remettre sur le tapis la question des réfugiés sachant que les incidents qui ont eu lieu au Liban-Nord entre l’armée libanaise et le groupuscule d’Ahmed Jibril et les mesures de sécurité consécutives prises autour du camp palestinien de la région ont largement contribué à déclencher le processus. Bien que stigmatisé par l’ensemble des réfugiés, cet incident a eu le mérite, mais non exclusivement, de relancer le débat dans toute son acuité en suscitant, de part et d’autre, une prise de conscience de l’urgence d’une solution réfléchie et négociée, à une crise qui ne peut plus être résolue par l’équilibre des forces encore moins par les mesures de vexation. «Toutes les tentatives prises par les gouvernements libanais qui se sont succédé en vue de marginaliser les réfugiés, se sont épuisées», constate M. Natour. «Recourant à une politique de privation et d’exclusion pratiquée au fil des ans à l’ encontre des camps palestiniens, les autorités libanaises se sont rendues à l’évidence que les effets de cette tactique se sont limités à la réduction, de moitié, du nombre des réfugiés, dont une partie a pris le chemin de l’exil», explique le responsable. Par conséquent, dit-il, «ceux qui sont restés sont ceux qui n’ont pas les moyens financiers et juridiques de partir». D’où l’importance, pour ces laissés-pour-compte d’acquérir leurs droits économiques et sociaux devenus quasi vitaux à la lumière de la situation actuelle. Tiraillés par des années de conflits internes, les différents groupes et formations palestiniens au sein des camps ont enfin compris que seule la solidarité pouvait renforcer leurs positions et donner force de légitimité à leurs revendications. Ils semblent également avoir réalisé que toute implication directe ou indirecte dans les affaires internes libanaises ne peut qu’entraver leurs aspirations à une vie plus qualitative dans les pays d’accueil, qui leur permettra de mieux se concentrer sur leur objectif ultime, à savoir le retour à leur pays d’origine. «Les dernières positions affichées par les Palestiniens, toutes positions confondues, ont dénoté une maturité certaine qui consiste à ne pas s’impliquer dans les affaires libanaises et surtout dans les discordes internes. C’est en ce sens que nous nous sommes abstenus de prendre position dans le conflit qui oppose par exemple certaines formations libanaises au Hezbollah», explique M. Natour. Pourtant, les réfugiés palestiniens se sont élevés, à plusieurs reprises, contre l’application de la 1559, qui prévoit le désarmement des camps, un sort qui rejoint celui du Hezbollah également sommé par la résolution onusienne de démilitariser. À ce propos, Souheil Natour insiste sur l’importance des «nuances», précisant que l’affirmation selon laquelle la 1559 a divisé les Libanais en deux camps (les Palestiniens ayant rejoint le camp des pourfendeurs de la résolution) «n’est pas tout à fait précise ». «En ce qui nous concerne, nous avons une vision différente par rapport à la 1559. Dans leur ensemble, les Palestiniens sont d’accord pour dire que le rôle des armes a été gelé depuis 1991», allusion faite aux accords de Taëf. La réorganisation des armes Après la première intifada, les Palestiniens ont convenu que leur conflit est désormais localisé à l’intérieur d’Israël. Par conséquent, ajoute le juriste, « la résistance à partir de l’extérieur n’a plus de justification ». Autre argument de taille qui est venu conforter cette position, « le fait que les armes des Palestiniens avaient été utilisées à titre d’autodéfense dans des conflits avec le voisinage », entendre avec certaines parties libanaises, et, par la suite, avec les Syriens lors de la guerre des camps. « Dès la cessation de la guerre civile et de la guerre des camps, les armes n’avaient plus de fonction sur le plan libanais local. » À partir de là, les efforts se sont concentrés sur la reprise des relations et du dialogue avec les parties libanaises qui doit désormais être adapté aux nouvelles donnes. Dans la pratique, poursuit le juriste, « certaines parties libanaises ont continué de stigmatiser, publiquement, le port d’armes par les réfugiés, critiquant le fait que les Palestiniens n’ont pas été dépouillés de leurs armes », une tactique, dit-il, qui était suivie par une tierce partie (allusion faite aux Syriens) « afin que ces armes soient employées dans les conflits interpalestiniens ». « Les autorités libanaises, elles, se sont donc contentées de retirer les armes lourdes et moyennes laissant les armes légères aux mains des factions », fait remarquer Souheil Natour. À cette époque, explique le responsable, l’argument était que l’armée ne pouvait pas défendre les cadres palestiniens, d’où l’idée de les laisser préserver leurs armes pour se défendre. Quant au second message, il était adressé aux Israéliens pour leur signifier que la question des réfugiés n’est pas encore réglée et que ces derniers continuent de représenter une menace potentielle. « Une absurdité, dit-il, puisque pratiquement, on était interdit d’aller au Liban-Sud », pour combattre auprès du Hezbollah et, par la suite, après le retrait de l’armée israélienne, pour lancer des attaques contre l’État hébreu. Selon le juriste, cette politique était d’autant plus injustifiée que le peuple palestinien avait besoin de sécurité comme le peuple libanais. Par conséquent, le plan de sécurité aurait pu couvrir tout le territoire et « non s’arrêter à la porte des camps », dit-il. En d’autres termes, « la question de la réorganisation des armes aurait dû être évoquée dès le début et non seulement aujourd’hui ». C’est la raison pour laquelle les réfugiés palestiniens misent actuellement sur le dialogue avec l’État libanais. Parmi les premiers acquis des négociations préliminaires, l’accord auquel sont parvenues les deux parties concernant le principe de la réorganisation des armes à l’intérieur des camps, et de l’extension du contrôle des services de sécurité libanais aux camps, une demande formulée par les factions elles-mêmes. « Le gouvernement libanais a fait un pas en adressant une requête à l’armée libanaise pour protéger les camps palestiniens contre toute agression israélienne.» Un autre accord sur la sécurité, « à l’intérieur des camps » cette fois-ci, semble également pointer à l’horizon. Selon M. Natour, Libanais et Palestiniens sont tombés d’accord sur le principe de « la réorganisation des armes à l’intérieur des camps ». « Reste à définir le mécanisme de ce processus et la modalité de son application sur une base quotidienne. » La solution envisagée pourrait être une « réorganisation de la police locale des camps – connue sous le nom de al-Kifah al-Moussallah – en coordination et sous la supervision des autorités libanaises », propose le juriste. N’y a-t-il pas cependant un conflit sur la partie palestinienne qui devrait être en charge de la sécurité à l’intérieur des camps ? « Il faut se rendre à l’évidence que l’OLP est désormais le représentant officiel des Palestiniens. Ceux qui ont encore du mal à reconnaître sa responsabilité officielle pour ce qui est de la sécurité des camps, doivent se plier », tranche M. Natour, à l’adresse des factions proches du Hamas et du Jihad islamique et des factions prosyriennes notamment le Commandement d’Ahmad Jibril qui tentent de neutraliser le pouvoir de l’OLP au Liban. Au regard de ces premiers résultats, les Palestiniens sont-ils pour autant optimistes quant aux autres volets proposés sur la table des négociations ? « Les réfugiés n’ont pas d’autres choix, car leurs souffrances ne sont plus justifiées, même s’ils sont parfaitement conscients des complications qui existent sur le plan local aussi bien que régional », dit-il. Le droit au travail, une bouée de sauvetage Des souffrances qui commencent par des conditions invivables au quotidien. Parqués dans des camps surpeuplés, les réfugiés n’ont rien à envier aux habitants des bidonvilles qui infestent les grandes capitales du monde. C’est à ce dossier que comptent s’attaquer, entre autres, Libanais et Palestiniens, parallèlement au dossier des armes. La privation des réfugiés de leurs droits socio-économiques se faisait par le biais de décisions administratives et par la loi libanaise. Soumis à la loi du travail des étrangers qui suppose le principe de réciprocité et l’interdiction de postuler à des professions libérales, le permis de travail réclamé par les réfugiés se trouve compromis notamment par le fait qu’il n’existe pas encore d’État palestinien pour appliquer le principe de la réciprocité. Ainsi, explique Souheil Natour, à aucun moment les autorités libanaises n’ont voulu prendre en considération le cas particulier des réfugiés. Certes, dit-il, la décision administrative prise par le ministre du Travail Trad Hamadé est « un début » et une « mesure symbolique » qui ne saurait donner ses effets qu’une fois la confiance rétablie et l’accord entériné entre les deux parties. Cependant, ajoute le juriste, le refus des ordres professionnels de permettre aux cadres palestiniens de rejoindre leurs rangs continuent d’envenimer le climat. Les factions palestiniennes entendent toutefois faire un forcing sur ce plan pour parvenir à lever l’embargo notamment sur les métiers de médecin, d’avocat et d’ingénieur. Autre point de litige, la question de l’interdiction de l’acquisition de biens-fonds par les réfugiés, sur laquelle ont buté les négociations, le Premier ministre Fouad Siniora ayant uniquement accepté de légaliser les propriétés acquises par les Palestiniens avant 2001, mais pas a posteriori. Malgré les multiples questions qui restent en suspens en attendant le prochain round des pourparlers, Souheil Natour est convaincu que les relations ont désormais pris un tournant positif. «Le principe auquel les Palestiniens sont parvenus est qu’il y a une unité dans la responsabilité ainsi qu’une unité au niveau de la demande des droits», conclut le responsable du FDLP. Je. J.
Juriste de formation, Souheil Natour est membre du comité central du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP). Fervent défenseur des droits de l’homme, il est actuellement responsable du Centre de développement humain. D’où sa maîtrise du dossier des droits politiques et sociaux des Palestiniens pour lequel il n’a cessé de militer depuis de longues années....