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Actualités - OPINION

Beyrouth, mère des lois : entre Detlev Mehlis et Nonnos de Pannopolis

«La discorde qui défait les États ne cessera de compromettre la paix que lorsque Béryte, garante de l’ordre, sera juge de la terre et des mers, lorsqu’elle fortifiera les villes du rempart de ses lois ; lorsque, enfin, elle assumera la direction exclusive de toutes les cités du monde. » C’est ce qu’écrivait, au Ve siècle de notre ère, le poète byzantin Nonnos de Pannopolis qui avait une affection particulière pour la capitale libanaise dont il appréciait le site mais surtout son École de droit. Quinze siècles plus tard, un magistrat venu de la septentrionale Germanie, Detlev Mehlis, a peut-être permis au rêve du poète de pouvoir se concrétiser. L’histoire retiendra que, en ce qui concerne l’ordre international, il y a l’avant et l’après Mehlis. Le hasard a fait que ce soit à l’occasion d’un crime commis au cœur de Beyrouth, au nom de cette « discorde » qui compromet la paix des États et dont les victimes reposent aujourd’hui au centre même de ce qui était appelé, à l’époque de Nonnos de Pannopolis, « Colonia Augusta Julia Felix Berytus ». Loin de la cohue et de la jacasserie politico-médiatiques, telle est la modeste leçon que nous donne l’existence même de ce rapport Mehlis : c’est la fermeté de la loi et non la brutalité de la force qui est la garante de l’ordre politique. La nouveauté dans le travail du juge allemand réside dans sa dimension universelle même si son objet est un crime d’État commis par un réseau de personnages liés par des intérêts à caractère mafieux pour un bon nombre d’entre eux. Au cœur de la ville déchirée, meurtrie et ressuscitée, le rapport Mehlis porte, en filigrane, un rappel que nous livre la sagesse immémoriale de l’histoire. L’ordre politique est un ordre urbain, celui de la « polis », de la cité régie par la règle du droit et gouvernée selon la loi. C’est pourquoi, avant de relever d’une identité particulière clanique, ou d’être perçu comme un simple consommateur en bonne santé, tout membre de la « politeia » est avant tout un citoyen, « un homme libre, capable de gouverner et d’être gouverné » comme l’écrivait Aristote. Le rapport Mehlis nous ouvre les yeux longtemps embués par la langue de bois, par les passions identitaires, par l’aveuglément de notre incapacité à penser l’espace public et la recherche du bien commun. Saurons-nous tirer la leçon ? Sommes-nous en mesure de réaliser que s’il existe une justice immanente, ce n’est pas tant par la volonté du sultan, du prince, de César ou du Conseil de sécurité, mais par celle des hommes libres membres d’une communauté à l’esprit citoyen ? Ce juge de Germanie est peut-être, pour notre pays, l’instrument heureux de l’histoire, mais cela ne suffit pas. Pour que le rêve de Nonnos puisse se concrétiser et pour que la cité de Beyrouth donne l’exemple, il nous appartient de mettre fin à nos discordes internes en érigeant un rempart contre ces passions qui nous empêchent de rechercher ensemble le bien commun. Il nous appartient de nous réveiller de nos cauchemars identitaires de confessions, de rites et de clans, afin de construire, non une société civile (catégorie réductrice du marxiste italien Gramsci très à la mode dans l’univers « apolitique » de l’ordre ultracapitaliste), mais afin de devenir enfin des citoyens de la « Ville-Mère-des-Lois », de ce Beyrouth qui pourrait être un modèle pour les hommes de demain. Antoine COURBAN Beyrouth

«La discorde qui défait les États ne cessera de compromettre la paix que lorsque Béryte, garante de l’ordre, sera juge de la terre et des mers, lorsqu’elle fortifiera les villes du rempart de ses lois ; lorsque, enfin, elle assumera la direction exclusive de toutes les cités du monde. » C’est ce qu’écrivait, au Ve siècle de notre ère, le poète byzantin Nonnos de Pannopolis qui...