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Actualités - CHRONOLOGIE

COLLOQUE - « Le conte et les conteurs, quelles pratiques aujourd’hui ? » Un mensonge qui dit la vérité

Françoise Gründ ne mâche pas ses mots. Devant un parterre de conteurs et d’amoureux du mot, elle-même femme de lettres et conteuse, elle a affirmé haut et fort qu’un «conteur est un fieffé menteur». C’était hier, au théâtre Monnot, lors de l’ouverture d’un colloque organisé par la Madrassa du conte. Les spécialistes venus d’horizons différents – Jihad Darwiche (Liban), Françoise Gründ (France), Georgia Makhlouf (Liban), Rahmouna Mehadji (Algérie), Jean-François Perrin (France), Saïd Ramdane (Algérie) et Garinbe Zohrabian (Liban) – se sont interrogés sur «Le conte, les conteurs et les pratiques aujourd’hui». Les travaux se poursuivront aujourd’hui et comprendront notamment des ateliers de travail sur les pratiques éducatives, culturelles, artistiques et du collectage. C’est donc autour du mensonge, de l’affabulation et de la parole mythique que Françoise Gründ a axé son intervention. L’ethnoscénologue, ex-directrice du Festival des arts traditionnels et du Festival de l’imaginaire, a tiré la sonnette d’alarme. Dame de Paris, elle parcourt le monde depuis 35 ans après avoir épousé Chérif Khaznadar. But des voyages: la recherche sur les cultures des autres. Elle est également peintre, conteuse, journaliste et femme de lettres. «Écouter les conteurs représente dans tous les pays du monde une activité à risques, a-t-elle assuré. Personnage indéfinissable mais aux objectifs bien précis pourtant, le conteur manie une arme dangereuse: le mensonge. Comment, dans les sociétés policées ou hiérarchisées, parvient-il non seulement à survivre, mais aussi à devenir parfois un des personnages importants de l’État?» À cette interrogation, Jalal Khoury, modérateur de la première séance de travail du colloque, réplique du tac au tac: «Un menteur qui ment bien est un menteur qui dit la vérité. » Le conte est-il donc un gros sac de mensonges qui contiendrait une perle de vérité? Deuxième à prendre la parole, Jean-François Perrin, professeur de littérature française du XVIIIe siècle à l’université Stendhal-Grenoble 3, a développé pour sa part «l’invention du conte oriental au XVIIIe siècle». Directeur de la revue Féeries, grand spécialiste de Jean-Jacques Rousseau et auteur du Chant de l’origine, Perrin a noté que c’est avec la traduction, par Antoine Galland, du plus ancien manuscrit des Mille et Une Nuits qu’a commencé l’histoire moderne de ce recueil universellement renommé. Galland était un savant orientaliste dont l’intention était de profiter de la vogue du conte de fées à la fin du XVIIe siècle pour diffuser auprès des élites françaises cultivées une image correcte et attrayante de l’Orient. «Le succès inattendu de cette traduction a provoqué une réorientation radicale du conte merveilleux dont on peut suivre les étapes, depuis l’imitation sérieuse (Pétis de La Croix, Bignon) jusqu’à la parole satirique et licencieuse (Hamilton, Crébillon)». Perrin a conclu en notant que: «L’impact du conte oriental sur la littérature française du XVII siècle s’observe également dans les formes narratives nouvelles, inventées par les meilleurs écrivains des lumières pour diffuser leurs idées.» Mais qu’en est-il alors du conte et des conteurs aujourd’hui? Saïd Ramdane, conteur d’origine algérienne, et Jihad Darwiche, conteur libanais, ont tenté de répondre à ce volet du colloque. En France, depuis une trentaine d’années, on parle de «renouveau du conte», de l’émergence de nouvelles pratiques de conteurs. À deux voix et en «conte-distancié», Darwiche et Ramdane ont abordé – tout en revisitant succinctement l’historique du renouveau – la question des pratiques et les enjeux de la profession de conteur. Ils ont passé au crible l’écoute et le contage, liant la parole et la posture, tantôt «joute oratoire», tantôt propos sur l’imaginaire des contes et de leurs propres pratiques de conteurs. Des histoires et des hommes «Pourquoi faut-il raconter des histoires?» s’est interrogée Georgia Makhlouf. Chargée d’enseignement universitaire à l’IEP et au CELSA, à Paris, et à l’USJ, présidente de l’association Les Ateliers d’écriture, elle a ajouté illico que cette question semble appeler avant tout des réponses dans le champ de la pédagogie. «En effet, les témoignages abondent de pédagogues qui soulignent l’importance du conte dans sa pratique auprès des enfants et nous nous intéresserons en particulier à Serge Boimare qui s’appuie sur des médiations culturelles pour amener les enfants à dépasser leur peur d’apprendre ou à Élisabeth Bing qui a adopté, avec des adolescents dont elle a eu la charge, une stratégie de détournement par les textes littéraires, en particulier les mythes, pour les amener plus sûrement à ce qui lui semblait essentiel, eux-mêmes, et en eux-mêmes leur part maudite ou sacrée». Elle est allée chercher chez Nicole Belmont des explications à cette importance du conte merveilleux qui «traite, au plus profond, du psychique et qui fonctionne comme dénégation de la mort. Mais n’est-ce pas là ce que Shéhérazade nous disait, que le récit est le plus sûr moyen d’éloigner la mort?» Makhlouf s’est penchée, pour finir, sur certaines caractéristiques de ces récits comme textes, «textes où le “je” du narrateur est absent et où néanmoins celui-ci exerce son immense talent de séduction. Peut-être faut-il voir dans cette absence du “je” une des clés du caractère bienfaisant du conte, qu’il soit adressé aux enfants ou aux adultes». Le conte est-il bienfaisant? Est-il innocent? Garine Zohrabian, psychologue clinicienne et psychothérapeute, affirme que le conte de fées est un outil psychothérapeutique par excellence. «Il permet l’expression et l’élaboration de certains processus psychiques inconscients, comme l’identification ou le transfert, indique-elle. Tel que raconté et/ou joué par les patients en psychothérapie d’inspiration analytique, il constitue un contenu manifeste dont l’interprétation devient un outil thérapeutique majeur.» Le conte, bénéfique ou truffé de dangers? Toujours est-il que la vérité et le mensonge habitent dans la même maison ... et empruntent la même porte. Méfiez-vous des histoires... Méfiez-vous du conteur! La Madrassa du conte «Ce colloque fait partie d’un projet global du théâtre Monnot intitulé La Madrassa du conte. Il se fait avec le soutien de l’Union européenne», précise Paul Mattar, directeur du théâtre Monnot et de l’IESAV. C’est le Festival du conte et du monodrame qui est à l’origine du projet de la Madrassa. «Ces séances, auxquelles étaient invités des conteurs d’horizons divers, ont provoqué une soif chez l’assistance qui voulait en savoir plus. À la demande du public, le théâtre Monnot a organisé des ateliers de formation.» Puis, de fil en aiguille, l’idée d’une Madrassa (non pas école dans le sens littéral du terme, mais plutôt dans le sens arabe où les échanges se situent à tous les niveaux, entre le maître et ses disciples). Ses objectifs sont la redécouverte des arts traditionnels oraux au Liban et en Méditerranée. La Madrassa se chargera de leur représentation, de leur classification, de les analyser et de leur donner des moyens de survie à travers les représentations artistiques. Sont également prévus des enseignements techniques et l’organisation des rencontres. Les activités de la Madrassa du conte sont: – Le Festival international du conte qui réunit cinq professionnels de différentes nationalités et plusieurs jeunes amateurs, avec la collaboration de la Mission culturelle française et le Centre culturel français de Damas. – Les ateliers qui sont adressés aux adultes et aux jeunes, en arabe et en français, tout au long de l’année, sur l’art de conter et de collecter. – La collecte, qui vise, comme son nom l’indique, à rassembler les traditions orales qui circulent et se transmettent dans les milieux libanais, syriens et palestiniens. La création d’un centre de documentation est également prévue. – Le colloque: une rencontre avec les chercheurs sur un thème en collaboration avec les universités libanaises arabes et européennes. – Les publications: des résultats de la collecte, des spectacles du festival, des actes du colloque sous forme de livres, films documentaires et CD audio. M.G.H.

Françoise Gründ ne mâche pas ses mots. Devant un parterre de conteurs et d’amoureux du mot, elle-même femme de lettres et conteuse, elle a affirmé haut et fort qu’un «conteur est un fieffé menteur». C’était hier, au théâtre Monnot, lors de l’ouverture d’un colloque organisé par la Madrassa du conte. Les spécialistes venus d’horizons différents – Jihad Darwiche...