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Actualités - OPINION

commentaire - Le point de vue d’un professeur d’économie à Yale Des taux d’intérêt bas assurent-ils des prix d’actifs élevés?

Par Robert J. SCHILLER* Les prix des actifs – actions, biens fonciers commerciaux, et même pétrole – ont atteint des sommets historiques partout dans le monde. Certes, l’histoire permet souvent de prédire avec justesse les tendances à venir, pourtant de temps à autre, un élément fondamental change et crée un schéma nouveau. Il importe aujourd’hui de savoir si les prix élevés des actifs sont la conséquence de tels développements fondamentaux, ou si des bulles se sont formées. L’une des raisons souvent mises en avant pour justifier les prix élevés des actifs est que les taux d’intérêt réels (corrigés de l’inflation) sont très bas. Mais les investisseurs feraient bien de se méfier de cet argument. Bien qu’il semble plausible, il n’est pas vraiment concluant et surtout, il ne prouve pas que les prix élevés vont durer. Il est bien évidemment vrai que les taux d’intérêt à long terme ont connu un déclin marqué, non pas brusquement et sur une période récente, mais à une allure assez régulière depuis plus de vingt ans. À en croire le FMI, les taux d’intérêt réels à long terme dans le monde ont culminé à presque 7 % en moyenne en 1984, et sont tombés juste en dessous de 2 % en 2004. Il y a eu des hauts et des bas en chemin, mais la tendance générale était à la baisse et l’ampleur du déclin, presque cinq points de pourcentage, est frappante. Ben Bernanke, directeur du Conseil économique du président George W. Bush et candidat potentiel à la succession d’Alan Greenspan à la tête de la Réserve fédérale en janvier, a qualifié le déclin des taux d’intérêt réels de la dernière décennie de « surabondance de l’épargne mondiale ». Non qu’il y ait trop d’épargne dans le monde aujourd’hui, mais son montant a été assez important pour que les retours sur investissement, mesurés en fonction des taux d’intérêt réels, soient bien plus bas qu’autrefois. Lors d’un discours en mars 2005, Bernanke a exposé que cette « surabondance » contribue à expliquer divers aspects de l’économie américaine, y compris sans doute l’énorme déficit fiscal et commercial. De bas taux d’intérêt réels à long terme signifient qu’un actif à long terme rapportant, disons, 100 dollars par an en termes réels aurait valu 1 429 dollars en 1984, lorsqu’il rapportait 7 %, mais devrait valoir 5 000 dollars aujourd’hui, alors qu’il ne rapporte que 2 %. Une baisse d’une telle ampleur des taux à long terme semblerait impliquer une inflation massive des actifs réels, ce qui justifie les prix élevés que nous observons. Point final, selon certains défenseurs des investissements onéreux. Cependant cette argumentation comporte des lacunes. Il nous faut considérer les raisons pour lesquelles les taux d’intérêt réels étaient tellement plus élevés il y a 20 ou 30 ans, nous demander ce que cela signifie, et il nous faut également jeter un œil à l’histoire plus large des prix des actifs et à leurs relations aux taux d’intérêt réels. Il y a vingt ans, les taux d’intérêt réels à court terme ont connu des sommets historiques car les principales banques centrales du monde voulaient combattre ce qui était alors considéré comme de l’inaction face à la spirale inflationniste. Il a fallu le courage – ou l’inconscience, selon le point de vue – du président de la Réserve fédérale américaine Paul Volcker pour envoyer le monde dans une récession en1981-82 afin de briser les reins de l’inflation. Cette récession était destructrice, mais comportait un bon côté : le monde a pu constater qu’une banque centrale indépendante pouvait prendre des mesures drastiques pour assurer la stabilité des prix. Mais alors que la récession mondiale de 1981-82 a rapidement fait tomber l’inflation, les taux d’intérêt nominaux à long terme n’ont pas chuté immédiatement car les marchés mondiaux n’étaient pas encore convaincus. Par conséquent, les taux réels à long terme sont restés assez élevés au milieu des années 1980. Progressivement, à mesure que les prêteurs devenaient de plus en plus confiants que la basse inflation allait perdurer, les taux d’intérêt réels à long terme ont commencé à descendre. Cette histoire signifie que les vrais taux d’intérêt réels à long terme n’étaient pas aussi élevés dans les années 1980 que le montrent nos mesures, car les perspectives de l’inflation à long terme doivent avoir été bien plus hautes que le taux d’inflation annuel de l’époque. Les détenteurs d’obligations à long terme, par exemple, ont dû penser que l’inflation reviendrait en force quand les effets de la récession mondiale de 1981-82 auraient disparu. Les marchés obligataires indexés sur l’inflation n’étaient pas très développés dans les années 1980. Et nous savons qu’en 1984, le marché de ce genre le mieux développé (au Royaume-Uni) ne cotait des taux d’intérêt réels à long terme qu’autour de 3 %, soit bien en dessous des chiffres du FMI.En acceptant l’idée que les taux d’intérêt étaient vraiment très hauts au milieu des années 1980, la conclusion logique voudrait que la Bourse et le marché immobilier auraient dû être plus bas dans les années 1980, et non que les prix réels devraient être très élevés en 2005.En fait, en regardant de plus près les taux d’intérêt réels aux États-Unis, calculés en soustrayant le taux d’inflation de l’année précédente du rendement des obligations nominales du gouvernement, on trouve que, même s’ils sont bien plus bas qu’il y a vingt ans, historiquement ils ne sont pas si bas que ça. Le taux d’intérêt réel gouvernemental à long terme moyen entre 1891et1979 – période qui s’est achevée juste avant que Volcker ne supervise l’énorme augmentation du prix des emprunts – n’était que de 1,25 %, ce qui est très proche du taux d’intérêt réel à long terme d’aujourd’hui. En bref, nous ne devrions tout simplement pas trop interpréter la baisse des taux d’intérêt réels à long terme des vingt dernières années. L’histoire prouve que les taux réels ont beaucoup fluctué, montrant peu de corrélation avec les prix des actifs. Quels que soient leurs autres bénéfices, les taux bas que nous constatons dans le monde aujourd’hui ne sont pas franchement une assurance contre des chutes futures des prix des actifs. * Robert J. Shiller enseigne l’économie à l’Université de Yale et dirige Macro Securities Research LLC. Il a récemment publié Irrational Exuberance (Exubérance irrationnelle) et The New Financial Order : Risk in the 21st Century (Le Nouvel ordre financier et les risques au XXIe siècle). © Project Syndicate, 2005. Traduit de l’anglais par Bérengère Viennot.
Par Robert J. SCHILLER*

Les prix des actifs – actions, biens fonciers commerciaux, et même pétrole – ont atteint des sommets historiques partout dans le monde. Certes, l’histoire permet souvent de prédire avec justesse les tendances à venir, pourtant de temps à autre, un élément fondamental change et crée un schéma nouveau. Il importe aujourd’hui de savoir si les prix élevés...