CINÉMA - « La marche de l’empereur » suscite la polémique outre-Atlantique, notamment sur l’avortement et la monogamie Les manchots relancent la bataille entre religieux et laïcs américains

Après Darwin, l’avortement et le serment d’allégeance à l’école, les manchots sont le dernier sujet de contentieux entre religieux et laïcs aux États-Unis. À l’origine de la bataille, le film documentaire français La marche de l’empereur, succès surprise de l’été dans les salles américaines, qui décrit l’héroïque lutte des manchots empereurs pour leur survie en Antarctique. Mais le long-métrage réalisé par Luc Jacquet, qui était sorti le 26 janvier en France, est plus qu’un ouvrage animalier triomphal : il semble en passe de devenir le documentaire le plus polémique depuis Fahrenheit 9/11, le brûlot anti-George W. Bush de Michael Moore. En quelques semaines, les manchots, qui consacrent une grande part de leur énergie à assurer la survie de leurs petits face à l’adversité du climat du pôle Sud, se sont transformés pour les chrétiens ultraconservateurs américains en emblème de vertu familiale, en modèle pour les hommes, en argument contre l’avortement et en preuve imparable que Darwin avait tort. La marche est « le film qui a, cet été, le plus passionnément réaffirmé les normes traditionnelles comme la monogamie, le sacrifice, le fait d’avoir des enfants », relevait récemment le critique de film Michael Medved dans le New York Times. Pour les chrétiens les plus religieux, c’est sans doute « le premier film qu’ils ont aimé depuis La Passion du Christ de Mel Gibson, ajoutait-il. C’est “La Passion des Manchots”. » Pour le réseau des 153 House Churches, une organisation chrétienne, le film est tout simplement la preuve de la gloire de Dieu, et le groupe a entrepris d’organiser des sessions invitant les familles à le visionner. Les chrétiens peuvent être inspirés par « le dévouement, la coopération et l’affection » montrés par le couple de manchots, par la loyauté et la persévérance du mâle, qui couve l’œuf, deux mois durant, en attendant le retour de la femelle, dit Mari Helms, critique du documentaire pour le site www.christiananswers.net Pour Jill Stanek, à la tête d’une campagne contre le droit à l’avortement, la vision de ces animaux si soucieux de leurs petits est une leçon pour les femmes qui envisagent une IVG. « Je me souviens de la manifestation à Washington où les proavortements s’étaient retrouvées pour consolider leur droit à tuer des bébés, écrit-elle sur WorldNetDdaily.com Je me dis que peut-être une analogie via un film sur les manchots pourrait aider les gens à comprendre. » Mais les laïcs soulignent de leur côté le caractère très libre de la vie sexuelle des manchots et relèvent que l’homosexualité au sein de leurs différentes espèces est courante. « Ils changent de partenaire à chaque saison, ce qui en fait des oiseaux plutôt lubriques », dit Sheerly Avni sur www.alternet.org Autre question à controverse, les manchots survivent-ils grâce à la pression de l’évolution ou par la grâce divine ? « Difficile de ne pas voir les nuances théologiques dans le film... Beauté, bonté, amour et dévouement font tous partie de la nature, contenus au sein de l’ADN de l’univers », écrit Maggie Gallagher, éditorialiste sur yahoo.news Mais George Will, éditorialiste du Washington Post, s’interroge : « Si une force supérieure avait conçu la nature, pourquoi aurait-elle rendu la mission des manchots aussi fastidieuse ? » En attendant, La marche de l’empereur poursuit sa carrière fulgurante. Ce film est devenu le premier film français de l’histoire en terme de recettes au box-office nord-américain, détrônant même le triomphal Cinquième élément de Luc Besson, avec près de 70 millions de dollars accumulés en moins de trois mois d’exploitation.