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Actualités - OPINION

La 1595, un instrument utile pour le processus de paix régional Au Liban, le rapport Mehlis, c’est peut-être le changement de système tant attendu

Une lettre se lit tout entière à partir du libellé de l’adresse, dit l’adage local. On sait donc déjà que les conclusions de l’enquête internationale sur l’assassinat du président Hariri vont entraîner au Liban bien des rebondissements politiques. Avec, à la clé, la possibilité de voir prendre corps ce changement de système qui se fait attendre depuis le 14 mars. En ce sens que si l’on a pour ainsi dire rogné les ailes, et même fortement, à l’ancien ordre établi sous la tutelle, on ne l’a pas encore complètement remplacé. Le changement pourrait être le fruit du rapport Mehlis et il affecterait, sans doute, de hauts personnages. Pour déboucher sur un nouvel État, une approche différente, un peu plus démocratique, de la chose publique. Cela étant, même en séance dite privée, c’est-à-dire sans débat ni résolution, le Conseil de sécurité de l’ONU ne se réunit pas pour des prunes, comme on dit familièrement. En se retrouvant mercredi, pour un retentissant satisfecit suite aux interpellations effectuées au Liban, le gouvernement du monde montre l’intérêt qu’il manifeste à l’enquête sur l’assassinat du président Rafic Hariri. Nouveau tableau Ou, plus exactement, il souligne l’importance de la résolution 1595, capitale à ses yeux dans la mesure où elle s’inscrit dans le prolongement de la lutte planétaire contre le terrorisme. Mais aussi, il faut bien le reconnaître, précieuse comme instrument politique de changement. Changement dans le tableau traditionnel des données ou des rapports de force impliquant, au Moyen-Orient, des parties soupçonnées (accusées même) de freiner le processus de paix. Autrement dit, d’ailleurs dans un ordre des choses bizarrement décroissant, si la 1559 était un ordre sec donné à la Syrie, la 1595 constitue un avertissement à son adresse. Pour qu’elle se range à ce que l’on pourrait appeler le politiquement correct américano-international. Bien entendu, la sommation vaut également pour le Liban. Pour lui signifier, en quelque sorte, qu’il doit cesser d’aligner ses positions régionales sur la Syrie. Sous cet angle, la 1595 s’inscrit, autant que la 1614 du reste, comme un support de la 1559. Tout étant manifestement lié, le balisage relatif aux tenants et aboutissants de l’effroyable crime du 14 février implique que le désarmement du Hezbollah et des camps palestiniens reste une échéance inéluctable. Pour la raison fondamentale que sans cela (et sans un arrangement sur le nucléaire iranien, mais n’allons pas trop loin), le processus de Madrid, la « feuille de route » ne peuvent pas marcher. Bien sûr, on ne veut pas mettre le couteau sur la gorge des Libanais, encore chancelants. On leur permet donc de s’arranger entre eux. Mais on leur laisse entendre que lorsque Mehlis rendra sa copie, ils devront dégager une solution parachevant l’application de la 1559. Toujours est-il que le Conseil de sécurité n’aurait peut-être pas trouvé indispensable de se réunir s’il n’avait eu vent de l’attitude négative, réfractaire, de la Syrie par rapport à l’enquête internationale. Il s’est laissé confirmer ces présomptions, pour pouvoir rappeler Damas à l’ordre. Sans faire semblant de prendre les assurances du président Assad pour argent comptant, concernant la volonté de coopérer avec Mehlis et son équipe. Destination La Haye ? Le dossier libanais, plus particulièrement l’affaire gravissime de l’assassinat du président Hariri, est donc internationalisé. Selon un juriste-politologue (les deux disciplines fraternisent fréquemment), la logique veut maintenant qu’après les conclusions de la commission Mehlis, le Conseil de sécurité désigne un tribunal international pour le procès. Cette instance siégerait à La Haye, haut lieu traditionnel de la justice internationale. Elle aurait, sur le plan pratique, les coudées plus franches que la justice libanaise pour entendre des témoins ou confronter des prévenus. D’ailleurs, nombre des 240 témoins dont les enquêteurs de Mehlis ont jusqu’à présent recueilli les dépositions ont avoué ne pas faire confiance à l’appareil judiciaire libanais. Invoquant trois raisons principales : ses présumées accointances avec les services, sa politisation qui altère son impartialité et son manque de moyens ou de personnel qualifié. Sans compter le facteur de la sécurité personnelle, surtout, comme l’ont dit ces témoins, si des cadres syriens devaient être impliqués. Autre élément à signaler : sur le plan politique, une procédure organisée au Liban pourrait provoquer des complications et des secousses dont le pays se passerait bien. On sait en effet que certains éventuels inculpés ont si longtemps contrôlé la scène politique locale qu’ils gardent – par les informations, les réseaux d’agents ou les dossiers dont ils disposent – le moyen de la perturber. Comme semble du reste le montrer déjà la fameuse liste noire menaçant d’assassinat tant de pôles politiques ou religieux. Selon des sources informées, Mehlis lui-même aurait signalé aux services libanais compétents la possibilité d’attentats visant des personnalités locales déterminées. Le magistrat allemand en saurait long sur cette affaire. Toujours selon les mêmes sources, il connaîtrait même les présumés commanditaires ou, à tout le moins, les parties qui pourraient ordonner les assassinats. Il dispose également, ajoutent ces sources, d’une mine de renseignements fournis sur divers éléments par des citoyens qui ont relancé la commission, pour l’aider dans son enquête. C’est sur des données vérifiées qu’il a décidé de mander les cadres interceptés mardi en tant que suspects et non plus en tant que témoins. En recourant à la prise de corps comme aux perquisitions, moyen spectaculaire retenu à dessein. Pour montrer sa détermination. Bruits persistants D’après les mêmes sources, des réunions se seraient tenues en préparation au crime dans certaines des demeures qui ont été fouillées mardi. Parallèlement, deux véhicules auraient été retirés de garages situés non loin de la scène de l’attentat. Ces voitures auraient été utilisées, selon les mêmes sources, pour repérer et inspecter les lieux, puis pour transmettre des indications aux exécutants. Les mêmes sources relèvent que la rafle de mardi prouve que Mehlis est arrivé à d’importantes conclusions, à des informations décisives sur les planificateurs comme sur les exécutants. Quant aux cadres interpellés, on ne cesse de se demander pour le compte de qui ils opéraient, d’où leur venaient les ordres. Étaient-ils au service des gens du pouvoir local ou des Syriens ? Personne, en tout cas, ne semble penser qu’un groupe ait pu prendre des initiatives pour son propre compte. Il reste que leur qualification de suspects par Mehlis signifie qu’il a du solide à leur propos. Mais, évidemment, on ne sait pas encore au juste de quoi ils sont soupçonnés : de complicité active ou passive, de recel d’informations, de manipulation de la scène du crime ou de négligence grave. Ils sont en tout cas maintenant à la merci d’Élias Eid, juge d’instruction près la Cour de justice, instance suprême sans voie de recours connaissant des atteintes à la sûreté de l’État. Sur le plan de l’enquête internationale, la balle est maintenant dans le camp de la Syrie. On va voir si, après avoir été rappelée à l’ordre par le Conseil de sécurité, elle va coopérer. En envoyant à Mehlis les officiers syriens qu’il souhaite interroger ou confronter avec des suspects libanais. Le juge allemand refuse en tout cas, indiquent des sources informées, de se rendre à Damas. Il pourrait toutefois accepter de voir les cadres syriens dans un pays tiers, peut-être dans les bureaux de l’ONU à Genève. La commission internationale est en tout cas résolue à aller jusqu’au bout. Soutenue par la communauté internationale, prête à exercer de fortes pressions sur la Syrie, voire à l’isoler si elle continue à se dérober. Philippe ABI-AKL
Une lettre se lit tout entière à partir du libellé de l’adresse, dit l’adage local. On sait donc déjà que les conclusions de l’enquête internationale sur l’assassinat du président Hariri vont entraîner au Liban bien des rebondissements politiques. Avec, à la clé, la possibilité de voir prendre corps ce changement de système qui se fait attendre depuis le 14 mars. En ce sens...