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Actualités - ANALYSE

Perspectives - En donnant le coup d’envoi à la restructuration de son courant, Geagea fait face à une responsabilité historique Le positionnement politique nécessaire des FL pour assurer un équilibre national interne

Moins d’un mois après la libération de Samir Geagea, le bureau des Forces libanaises à Paris annonçait à la fin de la semaine dernière, dans des informations filtrées à la presse, que le chef des FL avait entamé dans la capitale française une série de réunions donnant pratiquement le coup d’envoi à un long processus de restructuration de l’ancienne milice, dont l’aboutissement devrait être la création d’un mouvement politique, qui aurait pour appellation le Courant des Forces libanaises et qui permettrait de concilier la structure d’un parti traditionnel avec la souplesse inhérente à un courant populaire. L’annonce même de cet ambitieux (et nécessaire) chantier de restructuration fournit l’occasion de susciter une ébauche de réflexion sur la nature du rôle que pourraient, ou devraient, jouer désormais les FL sur l’échiquier local. Ce type de débat, qui doit impérativement s’accompagner d’une autocritique globale sur toute la période passée, n’a malheureusement pas été initié après Taëf. Il serait particulièrement grave qu’il ne le soit pas aujourd’hui – avec en filigrane, il convient de le répéter, une autocritique poussée – après les profonds bouleversements survenus dans le monde, dans la région et, dernièrement, au Liban depuis le 11 septembre 2001. Les FL sont confrontées présentement non seulement aux diverses donnes géopolitiques nées dans le sillage du 11 septembre, mais aussi à une situation totalement nouvelle au plan local : pour la première fois de leur existence, elles sont appelées à se mouvoir politiquement dans un environnement radicalement différent de celui de la guerre, marqué par la fin de l’occupation syrienne et l’arrêt des combats intercommunautaires. À la lumière de ces réalités, une série d’interrogations s’imposent. Des interrogations qui sont autant de sujets à débattre et auxquelles il n’est sans doute pas possible d’apporter des réponses rapides, car elles nécessitent sans doute une étude socio-politique approfondie. Mais poser convenablement le problème ne constitue-t-il pas déjà la moitié de la solution ? Dans le discours qu’il a prononcé à l’aéroport le jour de sa libération, Samir Geagea a souligné, fort à propos, que « la guerre avait sa propre logique qui n’est plus valable aujourd’hui », ajoutant : « Si nous voulons édifier un avenir meilleur pour les générations montantes, nous devons coopérer tous ensemble dans un esprit totalement différent de celui des années de guerre . » Comme conséquence logique et évidente de cette petite phrase, quel devrait être le discours politique des FL en 2005 et en quoi devrait-il se distinguer de celui des années 70 et 80 ? Une question qui en entraîne une autre : le directoire du nouveau courant en gestation devrait-il s’adresser à la clientèle FL exclusivement, à celle du Nord et de Samir Geagea, ou devrait-il, au contraire, élargir son éventail, et dans quelle direction ? Un problème d’ordre sociologique se pose à cet égard. À l’époque de Béchir Gemayel, les FL avaient réussi à drainer et à mobiliser une bonne partie de la petite et moyenne bourgeoisie des régions chrétiennes, plus particulièrement celles du « centre ». Avec Samir Geagea, une certaine désaffection s’est manifestée dans ces milieux (pour des raisons diverses, qui ne sont pas nécessairement liées à la personne du nouveau leader) et le gros des troupes regroupait plutôt les laissés-pour-compte et les classes défavorisées, celles notamment des régions périphériques, en sus d’un nombre non négligeable de cadres supérieurs et universitaires. Le choix qui se pose aujourd’hui à la direction FL est soit de s’en tenir au schéma passé soit de redéfinir la cible sociologique du courant et de rectifier le tir du discours politique en conséquence. Comme corollaire, toute la symbolique FL, peut-être valable en période de guerre, ne devrait-elle pas être repensée, sinon totalement modifiée, à la lumière des nouvelles réalités ? D’autres questions fondamentales se posent en outre dans ce contexte : à l’exception du cas de Bécharré, pour quelles raisons les candidats FL, notamment dans les régions du Mont-Liban (censées être le réservoir humain du mouvement), ont-ils enregistré des scores largement insuffisants au niveau de l’électorat chrétien, alors que l’emprisonnement de Samir Geagea pour des raisons politiques aurait dû susciter un élan de sympathie au sein de la population ? La nature des alliances électorales constitue-t-elle la seule explication sur ce plan ? Pourquoi le général Michel Aoun a-t-il réussi à faire élire, seul contre tous, une quinzaine de députés et à rafler non moins de 70 % des voix chrétiennes dans l’ensemble des circonscriptions, quelques semaines seulement après son retour d’exil ? Était-ce uniquement un vote sanction, une simple réaction à la marginalisation orchestrée au cours des quinze années de tutelle syrienne ? Dans ce dernier cas, pourquoi les candidats FL n’ont-ils pas bénéficié de ce juste retour du balancier ? Autant d’interrogations qui méritent réflexion, non seulement pour servir de cadre à une autocritique et redéfinir les options des FL, mais aussi, d’une manière plus globale (et nationale), pour initier un débat sur la nature des réflexes et des mécanismes socioculturels qui dictent le comportement politique de l’électorat. Car cerner et déterminer de tels mécanismes pourrait être utile pour repenser les fondements du système politique libanais et, d’une manière plus ponctuelle, les bases d’une nouvelle loi électorale. Autre problème, tout aussi essentiel, auquel le directoire FL sera confronté dans ses efforts de restructuration : le positionnement politique sur l’échiquier local. Là aussi, les leçons des dernières élections législatives ne sauraient être occultées. À l’instar d’ailleurs d’une réalité incontournable : que certains le veuillent ou pas, le Courant patriotique libre et les FL sont implantés, en ayant une vue d’ensemble, dans le même milieu socio-communautaire du pays. Pour la sauvegarde de l’équilibre national interne, pour la préservation des spécificités et de la raison d’être de l’entité libanaise, et en vue de faciliter le nécessaire dialogue avec les autres composantes du tissu social libanais, il est impératif, dans le contexte présent, non pas d’aboutir à une coexistence pacifique entre le CPL et les FL, mais de dégager une entente solide et sérieuse entre ces deux formations au sujet des grands dossiers politiques qui demeurent au cœur du débat interne. Se laisser entraîner dans la même erreur historique que celle qui a été commise en 1989 – et qui a pavé la voie à quinze années de marginalisation et de tutelle implacable – refléterait un manque total de responsabilité et de vision d’avenir. Un pays pluraliste tel que le Liban ne saurait être édifié que sur le concept de l’équilibre national. Si l’une des composantes de cet équilibre fléchit ou se trouve fragilisée, c’est tout l’édifice qui est ébranlé et menacé d’effondrement. Dans cette perspective, les directoires aussi bien des FL que du CPL ont aujourd’hui le devoir (dans toute l’acception du terme) d’entretenir, voire d’imposer, un climat de concorde et de cohésion au niveau de leur base respective. Une telle démarche est cruciale à l’heure actuelle, surtout à la veille de la rentrée scolaire et universitaire. Il y va du devenir des générations montantes auxquelles Samir Geagea a fait référence dans son discours de l’aéroport. Ce serait une grave erreur de percevoir un tel appel à l’unité des rangs comme un simple réflexe de défense communautaire. Car pour entamer un dialogue sérieux avec les autres partenaires de la nation, en vue de construire l’avenir sur des bases solides, stables et durables, il faut jouer cartes sur table. Et surtout sortir du cercle vicieux du « mensonge mutuel » entre les composantes de cette nation. C’est en quelque sorte dans cette optique que devrait s’inscrire l’entreprise de restructuration entamée par Samir Geagea. Car dans le cas contraire, le nouveau courant FL risque fort bien de rater gravement le coche. Michel TOUMA

Moins d’un mois après la libération de Samir Geagea, le bureau des Forces libanaises à Paris annonçait à la fin de la semaine dernière, dans des informations filtrées à la presse, que le chef des FL avait entamé dans la capitale française une série de réunions donnant pratiquement le coup d’envoi à un long processus de restructuration de l’ancienne milice, dont...