Rechercher
Rechercher

Actualités - interview

Interview - L’ancien Premier ministre pour une nouvelle approche des relations avec Damas Michel Aoun : Des erreurs personnelles ont été commises, mais il ne faut pas saboter les services en tant qu’institutions (Photo)

Durant dix-sept ans, son discours d’opposant, au moment où beaucoup préféraient se taire et laisser faire, s’est caractérisé par la constance. De Paris, Michel Aoun avait une quasi-obsession farouche : bouter la Syrie dehors pour que le Liban puisse recouvrer son indépendance et sa souveraineté. C’est désormais chose faite. Aujourd’hui, exactement trois mois après son retour au bercail, Michel Aoun se retrouve chef de file de l’opposition parlementaire et politique. Le moins qu’on puisse dire, c’est que son nouveau statut lui va comme un gant : sa première prestation à la Chambre, et le lot de polémiques – de bonne ou de mauvaise foi – qu’elle a déclenché durant et après le débat de confiance, en témoignent. Recevant L’Orient-Le Jour, le chef du Courant patriotique libre a été jusqu’au bout de son discours postsyrien, levant toute la confusion qu’ont pu générer, pour certains, ses récentes prises de position. Interrogé sur sa vision des relations libano-syriennes, Michel Aoun affirme, d’entrée, que « la situation ne pourra vraiment faire l’objet d’une étude efficace et définitive qu’après la publication du rapport de la commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri ». Le général considère que le blocus qui a été imposé au pays est une mesure qui peut paraître en décalage avec la modernité, mais il en recherche toujours les motifs profonds. « Nous avons vu les frontières fermées, puis réouvertes, sans comprendre pourquoi tout cela se produisait. C’est pourquoi il se peut que nous adressions bientôt une question écrite au gouvernement pour avoir le fin mot de l’histoire », dit-il. Cela a-t-il un rapport avec des angoisses sécuritaires ou certaines campagnes médiatiques contre Damas ? « Peut-être. Après le retrait syrien, j’ai moi-même lancé un appel en faveur de la cessation des attaques contre Damas, estimant que la Syrie ne devait pas servir de toile de fond dans la bataille électorale. J’ai critiqué ces surenchères, estimant qu’elles pouvaient envenimer les relations. Et c’est ce qui s’est effectivement produit », répond-il. L’homme qui a depuis toujours été le plus dur vis-à-vis des ambitions syriennes au pays du Cèdre ne voit cependant pas l’opportunité d’une poursuite du bras de fer avec Damas après le retrait du Liban. « Il faut penser à un nouveau style, un style innovateur, dans les relations. J’ai ma propre conception des choses, mais il est encore trop tôt pour en parler », affirme-t-il. Michel Aoun souligne qu’il ne sera « jamais un partisan » de l’influence syrienne. « Je n’ai jamais accepté qu’on me classe dans le camp des personnalités ennemies de Damas. Nous avons résisté à l’hégémonie syrienne au Liban sans être les ennemis de Damas. Le problème était l’occupation, et c’est fini. Je n’ai pas d’inconvénient, dans l’absolu, à être l’ami de la Syrie, à condition que les circonstances pour l’établissement de cette amitié soient réalisées. Or ce n’est pas le cas actuellement, en raison de questions qui restent en suspens, que ce soit celle des détenus en Syrie ou l’enquête internationale sur le 14 février », souligne-t-il. Les détenus en Syrie La question des détenus en Syrie est d’ailleurs l’une des cinq évoquées par le général au Parlement. « La déclaration ministérielle évoque la dynamisation de la commission de suivi pour le règlement du dossier. Cela suppose qu’il y ait déjà eu, à la base, une action quelconque de la part du gouvernement, ce qui n’est pas le cas», dit-il. Et de poursuivre : « J’ai aussi évoqué un aspect bien particulier de ce dossier, celui des personnes disparues le 13 octobre 1990. Aucune enquête n’est nécessaire pour savoir où elles sont passées :elles ont ou bien été tuées et enterrées quelque part, et nous savons très bien que ce sont les forces syriennes qui ont investi Deir el-Qalaa et Beit-Méry ce jour-là, ou bien transférées dans les prisons syriennes, et, partant, il est possible de les localiser. Cette affaire doit être réglée au plus vite. Elle traîne depuis quinze ans, et c’est inadmissible. » L’appareil sécuritaire L’armée syrienne est sortie du Liban. Mais les ennemis politiques du général lui reprochent de ne pas suffisamment dénoncer le fait que le réseau sécuritaire prosyrien et la mafia économico-financière soient toujours en place… « C’est vrai, la mafia économique est toujours en place, et elle est encore au gouvernement. C’est la même mafia qui a gouverné durant quinze ans qui est au pouvoir. Et ceux qui étaient dans l’opposition durant quinze ans, le CPL et ses compagnons, y sont toujours», dit-il. Michel Aoun explique ensuite sa position au sujet des services de sécurité, qui relève d’une vision institutionnelle. « L’État est fondé sur des institutions. Dans tous les pays du monde, lorsqu’une erreur grave est commise, on ne dynamite pas toute l’institution. Ce sont les avant-postes de cette institution qui sautent. Et le processus s’arrête là, sauf s’il y a des erreurs individuelles précises : il faut alors demander des comptes et sanctionner les personnes. Mais ici, cela ne s’est pas passé comme ça. Le ministre responsable n’est plus là, les directeurs ont été démis, et cela n’a pas suffi. Les accusations ont continué à viser tous les éléments des services et les institutions en tant que telles. Ce contexte a créé une confusion au sein même de ces organismes. Si des erreurs ont été commises et qu’il y a eu un changement de régime, cela ne veut pas dire pour autant que les institutions doivent sauter. En plus, en menant une campagne systématique de diffamation, ils sont en train d’assurer une couverture aux véritables coupables. Les crimes ont été commis par le biais de voitures volées au Liban, qui ont ensuite disparu. Elles n’étaient ni chez les SR ni en la possession d’individus. Je crois qu’elles étaient dans des régions inaccessibles aux agents de sécurité », affirme-t-il. Le CPL a payé le prix cher Et d’ajouter : « Je ne vois pas comment on peut nous reprocher de défendre la notion de l’État sécuritaire. C’est le CPL qui a payé le plus cher le prix de l’État sécuritaire, avec 16 000 arrestations en 15 ans, et les abus d’août 2001. Mais il existe aussi une responsabilité politique dans ce domaine, et lorsqu’à mon retour j’ai affirmé que je n’irai pas chez le président de la République pour le remercier, il fallait le comprendre dans ce sens. Je ne pouvais pas le remercier pour les abus commis », explique le général Aoun. Mais qu’en est-il du contact établi plus tard avec Émile Lahoud ? « Il y a un président de la République, qui a une fonction déterminée et qui assume des responsabilités. Il faut traiter avec la réalité. Mais cela n’a rien à voir avec ma position concernant le mandat révolu et les personnes qui ont assumé des responsabilités durant cette période. » De l’avis du général Aoun, qui sait de quoi il parle au vu des importantes mesures de sécurité qui ont été prises dans le périmètre de sa maison à Rabieh, on « n’a pas le droit d’accuser tout le monde, même si on est soi-même menacé ». « Il faut savoir où sont les points faibles dans le système sécuritaire au niveau du pays, où résident les dangers dans ce domaine à l’échelle nationale, et œuvrer en conséquence. Nous avons demandé au ministre de l’Intérieur de nous fournir une carte sécuritaire du pays, parce qu’il y a beaucoup de régions auxquelles l’accès est interdit, où il est impossible d’aller chercher un criminel. Il y a beaucoup d’îlots sécuritaires qui abritent des criminels qu’il est impossible d’interpeller », indique-t-il. On l’aura compris, le problème entre Michel Aoun et la quasi-totalité de la classe politique est un problème de perception : « Les SR sont une nécessité. Pour les restructurer, il faut effectuer des nominations sur base des compétences et de l’intégrité. Cependant, il ne faut pas remplacer un appareil politique par un autre. Or ce qu’ils recherchent actuellement, c’est comment placer leur clientèle. Et il se peut bien que ce soit un autre régime sécuritaire qui soit mis en place, mais moins compétent encore que le précédent. Ils sont peut-être plus à la recherche d’une allégeance politique que de la compétence. Ils ont un regard vindicatif à l’égard des citoyens. Cela ne permettra pas à la démocratie et la stabilité de s’installer. » Les rapports avec le Hezbollah Certains ont compris du discours sur les îlots sécuritaires à la Chambre qu’il était question du Hezbollah… « Ces personnes ont l’imagination fertile. Plus d’une partie veut profiter de cette question pour susciter un conflit, qui n’a d’ailleurs pas lieu d’être entre le Hezbollah et nous. Notre problème est avec l’État corrompu, et je ne pense pas que le Hezbollah y soit lié », estime Michel Aoun. L’ancien Premier ministre rappelle avoir évoqué, à la Chambre, « les trois questions humanitaires qui se posent sur la scène libanaise » : les détenus libanais en Syrie, les déplacés qui ne sont pas encore retournés dans leurs villages et les réfugiés libanais en Israël. Le général précise que, sur ce dernier point, il n’a pas parlé d’amnistie des réfugiés en Israël, contrairement à ce qui a été colporté plus tard. « J’ai juste réclamé, d’une manière qui ne prête pas à équivoque, une enquête parlementaire judiciaire sur l’histoire de la bande frontalière, l’objectif étant de déterminer les responsabilités des gouvernements successifs jusqu’à maintenant. » Pour le chef du CPL, la réponse du député Mohammed Raad a été trop hâtive. « Dans son inconscient, il a répondu à quelqu’un d’autre que moi, à une autre ligne politique qui réclamait l’amnistie des réfugiés, et à laquelle j’ai été assimilé », ajoute-t-il. Mais l’évocation des dossiers des réfugiés et des déplacés a mené à une polémique entre le CPL, le Hezbollah et le PSP… « Ils ont répondu trop rapidement. Pourquoi ont-ils interprété mes propos ? Concernant les déplacés, j’ai le droit de poser des questions, non ? Les plaintes s’accumulent chez moi à la maison au sujet de la Caisse », souligne-t-il. « Il existe une mauvaise foi dans toute la manière avec laquelle on m’a répondu. Pourquoi les joumblattistes se sont-ils retrouvés, pure coïncidence, en train de défendre la Résistance, esquivant les problèmes que j’avais posés, notamment la Caisse des déplacés ? Le PSP a essayé d’envenimer la situation entre le Hezbollah et nous pour créer un fossé. Mais les députés Ibrahim Kanaan et Ali Ammar ont ensuite discuté pour clarifier les choses », poursuit- il. Le général Aoun reconnaît et soutient le droit légitime du Hezbollah à libérer les fermes de Chebaa. « Cependant, il faut résoudre l’aspect formel de cette affaire (avec l’ONU). Mais c’est la question de la crise des armes qui a le plus besoin de clarté. Quelles sont les conditions objectives, après la libération de la terre, pour la préservation des armes ? Quelles sont les conditions requises pour que le Hezbollah estime qu’il n’a plus besoin de ses armes ? Quelle est la situation qui doit prévaloir pour qu’il le fasse ? Qu’il en discute au sein du cabinet, puisqu’il en fait partie, ou bien qu’il entame un dialogue national, dit-il. Je ne pense pas qu’en posant ces questions, je sois en train de défier quiconque. » Sur sa capacité à influer sur le cours des choses, maintenant qu’il est hors du cabinet, et sur ses potentialités d’initier un changement quelconque, Michel Aoun affirme : « C’est maintenant que je commence à provoquer le changement comme lorsque je réclame une enquête sur la Caisse des déplacés. Ce n’est pas vrai, comme le prétendent certaines analyses simplotes, que les déplacés préfèrent l’ambiance de la mer à celle de la montagne ! Mieux encore : selon un autre député, un ancien juge, il vaut peut-être mieux laisser tomber de telles enquêtes, parce qu’elles pourraient déboucher sur des pistes en rapport avec le gouvernement ! Tout cela est digne des perles de la “Foire aux cancres” ». Michel HAJJI GEORGIOU
Durant dix-sept ans, son discours d’opposant, au moment où beaucoup préféraient se taire et laisser faire, s’est caractérisé par la constance. De Paris, Michel Aoun avait une quasi-obsession farouche : bouter la Syrie dehors pour que le Liban puisse recouvrer son indépendance et sa souveraineté. C’est désormais chose faite. Aujourd’hui, exactement trois mois après son retour au...