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Actualités - interview

Interview - Le Liban à nouveau théâtre de tiraillements entre deux axes internationaux, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Farès Boueiz : Un pouvoir hybride ne peut relever le double défi régional (Photo)

Pour la première fois depuis la fin de la guerre, Farès Boueiz se retrouve hors de l’arène parlementaire. Mais cela n’altère en rien la capacité d’analyse de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Au contraire, hyperréaliste, l’ex-député, qui aura eu le flair politique de se retirer de la bataille électorale à la veille de la déferlante orange sur le Kesrouan, constate aujourd’hui qu’il n’a peut-être pas fait le mauvais choix, compte tenu de l’ambiguïté et de la complexité de la situation politique actuelle. Et peut-être même qu’il gagne quelque part au change, préservant, dans un contexte des plus difficiles, une indépendance totale et suffisamment de recul, en des temps où l’analyse de la situation tient presque de la sismologie, tellement le Liban semble prisonnier d’une éternelle « tectonique des plaques » sur le plan politique. « Traditionnellement, le Liban s’est toujours situé sur deux lignes sismiques, l’une géographique, l’autre politique. Les deux se chevauchent d’ailleurs parfois. Si la ligne géographique s’étend d’Alexandrie jusqu’à la Turquie en passant par Beyrouth et le Liban, la ligne politique traverse un croisement Nord-Sud et Est-Ouest. Elle est doublement plus délicate que la ligne sismique géographique. À chaque fois que les conflits ont existé entre le Nord, représenté par les peuples d’Asie mineure, et le Sud, représenté par l’Égypte pharaonique, ils se déroulaient au Liban, qui était une sorte de plaque tournante pour tout le monde. C’est d’ailleurs pour cela que l’on retrouve des vestiges égyptiens pharaoniques à Byblos, autrefois citadelle d’avant-garde des troupes égyptiennes pour la protection de leur royaume. Puis, à chaque fois qu’il y avait des dissensions entre l’Est et l’Ouest, notamment entre les croisés et les musulmans, le Liban était à la croisée des chemins. » Cette introduction historique de Farès Boueiz au contexte politique actuel du pays du Cèdre n’est pas fortuite. « Nous assistons à de nouveaux tiraillements dont le Liban est la victime », dit-il. Cette fois, les parties opposées sont « les États-Unis, Israël et une grande partie de l’Occident, notamment européenne, qui réclame la dissolution (de la milice) du Hezbollah et qui demande, sous pression israélienne, la présence d’une Syrie mise à nu, sans aucune carte, à de futures négociations de paix, et l’alliance syro-iranienne qui veut défendre la Résistance libanaise, abstraction faite de la considération des hameaux de Chebaa ». « À ceux qui réclament la dissolution du Hezbollah, certains répondent par une menace de déstabiliser le pays à tous les niveaux », note-t-il. À cette réalité vient s’ajouter une autre, assez amère, selon l’ancien député : « La “révolution” du 14 mars est restée inachevée en raison de petites considérations internes. Le grand changement, qui aurait pu faire qu’au Liban un nouvel État soit reconstruit du sommet à la base, n’a guère été réalisé. Cette “révolution” du 14 mars s’est terminée en laissant sur place un régime, un président de la République, un chef du Parlement, une armée et un système sécuritaire d’une certaine coloration, alors qu’en face, la majorité parlementaire fonctionne avec une coloration politique totalement différente. Nous avons ainsi affaire à un État hybride, incapable de pouvoir trancher les grandes questions. » Or le Liban est actuellement confronté à deux questions principales, selon M. Boueiz : la politique future du Liban entre la protection de la Résistance et l’exécution de la 1559, et la redéfinition des relations libano-syriennes. « Jusqu’à présent, l’État est incapable de répondre clairement à la première question. La déclaration ministérielle a occulté le sujet en utilisant la formule selon laquelle le Liban est respectueux de la légitimité internationale. Il est par ailleurs absurde de penser que nous pouvons régler des problèmes économiques et de transport avec la Syrie, abstraction faite des problèmes politico-sécuritaires », indique-t-il. « Le Liban doit être prêt à redéfinir la réalité de ses relations avec la Syrie sur base d’une combinaison de ses intérêts politiques, sécuritaires et économiques. Là, je vois très mal cette configuration hybride, qu’elle soit au gouvernement ou au Parlement, capable de trancher. C’est pour cela que les responsables perdent du temps, en attendant que la situation régionale ou internationale se décante », dit-il. Le dialogue avec l’Iran et la Syrie Le problème, souligne Farès Boueiz, c’est que cette configuration hybride du pouvoir « ouvre l’arène libanaise à toutes les éventualités ». Si la situation comportait « beaucoup d’aspects négatifs durant ces 15 dernières années, surtout par rapport aux concepts d’indépendance et de souveraineté, la scène libanaise était toutefois fermée aux ingérences extérieures. L’aspect profitable provenait d’une stabilité sécuritaire, politique », dit-il. « La réouverture de la scène libanaise relance les probabilités de luttes internes qui pourraient porter atteinte à l’unité nationale et ouvrir la voie aux immixtions sécuritaires, aux ingérences et aux pressions politiques de toutes sortes », explique-t-il, évoquant un climat similaire, sur bon nombre de points, à celui qui prévalait en 1975, les armes en moins. Soulignant qu’il y a assez de sagesse au niveau international pour privilégier la logique du dialogue sur celle de la force, Farès Boueiz n’écarte pas une éventuelle fin heureuse à toute cette étape. « Vouloir régler le problème de la Résistance uniquement par les voies coercitives et militaires est une aberration. Il n’y aura pas une unité nationale sur ce sujet et il y aura une incapacité militaire, sur ce plan, de la part de l’armée. Cela aboutira à une nouvelle guerre civile libanaise qui ravagera le pays. Si, par contre, les Américains et l’Occident engagent le dialogue avec l’Iran au sujet du nucléaire et parviennent à des solutions, puis en font de même avec la Syrie, quitte à lui donner des assurances au sujet d’une future paix lui permettant de recouvrer ses droits légitimes, ce problème pourrait être politiquement réglé. Mais séparer le problème de la Résistance de sa dimension régionale serait une grande erreur, et imposer au Liban une solution isolée du problème régional serait encore plus une absurdité », souligne-t-il. La relation avec Damas Sur le plan des relations libano-syriennes, Farès Boueiz estime que le blocus à la frontière comportait deux messages : les relations économiques normales dépendent des bons rapports politiques, et le discours libanais sur l’annulation totale des accords bilatéraux est irrecevable. Il estime ainsi que le Liban aurait tort d’annuler, sans les revoir, des accords qui sont bons en soi, mais dont l’application sur le terrain a été, durant les dernières années, fausse. Il pense également qu’il ne faut pas oublier que la Syrie est la seule frontière ouverte avec le Liban. La solution : « Il faut mettre en face de soi l’image d’une nouvelle relation avec la Syrie. En politique, rester esclave du passé et des contre-réactions est la pire des choses. Damas doit réaliser qu’il n’a pas besoin de garder une structure syrienne pour pouvoir maintenir des relations amicales avec le Liban, lesquelles peuvent exister dans un climat de souveraineté. Plus des personnalités souverainistes pourront donner des garanties à la Syrie dans ce domaine, plus nous éloignerons de nous cette fausse idée selon laquelle il faut imposer des hommes à soi pour pouvoir obtenir une politique favorable. » Et de conclure : « Le Liban doit prouver qu’abstraction faite des personnes, les intérêts entre les deux pays sont supérieurs et que toute personne, amie ou non de la Syrie, doit respecter ses intérêts névralgiques et nationaux qui dépassent les circonstances politiques momentanées. Ces relations pourront être enfin fondées sur la réalité politique et géographique, et ne dépendront plus de particuliers qui peuvent commercer avec le fondement de ces relations aux dépens de l’intérêt national. » Michel HAJJI GEORGIOU
Pour la première fois depuis la fin de la guerre, Farès Boueiz se retrouve hors de l’arène parlementaire. Mais cela n’altère en rien la capacité d’analyse de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Au contraire, hyperréaliste, l’ex-député, qui aura eu le flair politique de se retirer de la bataille électorale à la veille de la déferlante orange sur le Kesrouan, constate...