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Eclairage - Nouveau-né et déjà voûté par le poids des responsabilités

Ce n’était pas vraiment le sourire pur, un peu désagréable, du conquérant. C’était, pendant sa conférence de presse de Baabda, un sourire « ça y est ! », un sourire « je suis enfin au Sérail », un sourire éclatant comme lorsqu’on reçoit un cadeau d’anniversaire dont on rêve depuis des lustres sans jamais y croire. Et quel cadeau ! Fouad Siniora n’est plus Premier ministre désigné, il est Premier ministre en bonne et due forme. Le jour de ses 63 ans. Son sourire était donc d’une absolue franchise, jeté sciemment et sans retenue à la face de ceux qui voulaient faire de lui un autre Karamé. Et même s’il annonce très clairement qu’il n’est pas un homme pressé, l’ex-Grand argentier à vie de Rafic Hariri n’a pas hésité une seconde à annoncer, dès hier, la couleur. Et elle n’est pas pastel. Sa relation avec Émile Lahoud sera ainsi gérée, a-t-il assuré, par une volonté mutuelle et ferme de coopérer dans la sincérité pour faire avancer les choses, ainsi que par la Constitution. Quant à son équipe, elle n’est pas divisée, toujours selon lui, en clans ; c’est un brat pack solidaire, a-t-il insisté, face aux défis que doit relever le pays, un collectif « qui a foi dans le Liban et qui sera capable de réussir avec la coopération de tous les Libanais ». Fouad Siniora y croit. Sincèrement. Cet homme doit être convaincu d’avoir été un trait d’union dans une autre vie, de ces traits d’union capables de tout reconstruire sur un ground zero absolu, comme au Liban. Le seul problème est que son allié est aussi son principal ennemi : le temps. Avec tout ce qu’il cache comme coups fourrés locaux, régionaux ou internationaux ; avec tout ce qu’il peut apporter comme promesses d’aurore, si et seulement si tout le monde s’y met. Ceux qui sont au pouvoir et ceux qui sont dans l’opposition (ou qui n’y ont qu’un pied…). Fouad Siniora a le sympathique privilège, empoisonné ou pas, de présider le premier gouvernement libanais de l’après-tutelle syrienne. Un gouvernement d’union nationale ? Non, puisque le bloc Aoun n’y figure pas. Du moins pas directement, puisque le général-député semble avoir hérité, ex abrupto, d’un général-président désormais plus aounien que lui. Et qui a retrouvé depuis hier, par on ne sait quel miracle, de nouvelles et assez flashy couleurs politiques. Un gouvernement de transition ? L’heure n’est plus vraiment propice aux transitions… En réalité, et en présence d’une minorité de blocage virtuelle, uniquement et très ponctuellement tributaire d’un Tarek Mitri particulièrement proche de Mgr Audeh et dont la réputation semble assez flatteuse, le Siniora I est, pour la première fois depuis des décennies, un gouvernement normal. De 24 ministres. C’est-à-dire emmené par une équipe (CdF, PSP, KC, FL…) qui a remporté la majorité parlementaire lors des dernières élections, une équipe multichrome, au sein de laquelle domine le Courant du futur, un Koraytem qui pourrait trouver une occasion de réussir enfin ce qu’il n’a pas cessé de rater depuis 1992, à cause des autres ou par sa propre faute : convaincre. En fait, ce gouvernement ressemble à un œuf-surprise : une fois la coquille cassée, il y aurait soit une sorcière, soit une fée, soit de l’huile de ricin parfumée à l’arsenic, soit du miel pur. D’autant que la feuille de route qui est déjà la sienne est immense. Le cabinet Siniora doit juste offrir à la communauté internationale l’occasion d’aider le Liban. Les chèques en blanc n’existent plus. L’Exécutif libanais (Baabda et le Sérail) doit ainsi bannir à tout jamais de son lexique et de ses pratiques les bouderies, les guéguerres internes, le disloquement de la cohésion gouvernementale et autres lavages de cœurs crétins. Le cabinet Siniora doit engager une infinie série de réformes économiques et financières certes, mais aussi administratives. Et surtout morales, en luttant heure par heure contre la corruption, le clientélisme, la gabegie. Le choix du hezbollahi Mohammed Fneich à l’Énergie et à l’Eau choque peut-être, mais ressemble aussi à une très belle promesse. Connu pour son intégrité et son engagement dans un travail bien fait, il pourrait s’avérer parfait pour exiger, par exemple, que tout le monde paie ses factures d’électricité, faire en sorte que l’EDL cesse d’être un gouffre financier. Le cabinet Siniora doit également consacrer, dans les actes, l’État de droit, les libertés, la démocratie, et, surtout, une justice indépendante. Et plus qu’un autre, Charles Rizk, dont l’intégrité, là aussi, est irréprochable, doit faire ses preuves à ce niveau. L’équipe Siniora doit impérativement réhabiliter les services de sécurité, en les émancipant totalement, inconditionnellement, de la présidence de la République. Le nouveau gouvernement devra, naturellement, appliquer la 1559 dans toutes ses clauses, et il est nécessaire que cela se fasse grâce à un dialogue interne. Le choix de Faouzi Salloukh aux AE est une bonne chose : c’est aux Libanais musulmans, et uniquement à eux, de mettre en route cette nécessaire mutation du Hezbollah, d’encourager l’envoi de l’armée au Liban-Sud. Tous les Libanais savent, d’ailleurs, qu’on ne peut plus y échapper. Enfin, le nouveau gouvernement devra régler impérativement la crise avec la Syrie. Et aboutir à l’ouverture de deux ambassades. Fouad Siniora a eu la bonne idée de s’inspirer de l’Ukrainien Viktor Iouchtchenko, qui a effectué son premier voyage à l’étranger chez le voisin russe, auprès de Vladimir Poutine, qui l’avait combattu, avant son accession au pouvoir, par tous les moyens. « On ne refait pas la géographie », a compris hier Fouad Siniora. Ce qu’il lui reste à assimiler est simplement compliqué : l’histoire, elle, on peut (on doit) la faire, l’écrire. Chaque jour. Le gouvernement Siniora n’aura pas une deuxième chance. Ziyad MAKHOUL
Ce n’était pas vraiment le sourire pur, un peu désagréable, du conquérant. C’était, pendant sa conférence de presse de Baabda, un sourire « ça y est ! », un sourire « je suis enfin au Sérail », un sourire éclatant comme lorsqu’on reçoit un cadeau d’anniversaire dont on rêve depuis des lustres sans jamais y croire. Et quel cadeau ! Fouad Siniora n’est plus Premier ministre...