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Actualités - OPINION

perspectives La règle de la majorité ne saurait jouer pour les questions fondamentales engageant le devenir des Libanais La crise ministérielle, conséquence d’un nécessaire retour aux impératifs du jeu politique interne

Retour à la case départ. Les difficultés qui entravent la mise en place du cabinet Siniora ne sont pas sans rappeler les tiraillements traditionnels qui marquaient généralement la formation des gouvernements avant le déclenchement de la guerre libanaise. Le contexte global est à l’évidence fondamentalement différent aujourd’hui. Mais au terme de quinze années de paralysie politique suscitée par la tutelle syrienne, les Libanais se retrouvent schématiquement dans la même situation d’avant-guerre pour tout ce qui a trait à la cuisine politique interne. Durant la période qui a précédé le déclenchement du conflit libanais, l’élaboration des formules ministérielles était souvent une opération laborieuse, tributaire d’impératifs liés à la nécessaire représentation équilibrée des communautés, des régions, des blocs parlementaires et des forces politiques en présence. Soit le même schéma qu’aujourd’hui. À titre d’exemple, la formation du cabinet Salam, à la suite des élections législatives de 1972, n’avait pas été une entreprise aisée, et le cabinet avait été boycotté dans un premier temps par les Kataëb et le Tachnag qui contestaient alors la répartition des portefeuilles. C’est dire que les tiraillements actuels sont dans une certaine mesure un retour aux traditions politiques purement locales. Des traditions que nombre de Libanais ont oubliées et qui sont méconnues de la génération montante et, surtout, des diplomates occidentaux en poste à Beyrouth. Car le jeu politique qui reprend aujourd’hui son cours normal – celui du délicat dosage entre communautés, régions et fractions politiques – n’était plus de mise depuis 1975 et ne saurait, par conséquent, être comparé à la situation qui a prévalu dans le pays entre 1975 et 1990, ou entre 1990 et avril 2005, périodes durant lesquelles il n’y avait pratiquement plus de vie politique, soit sous l’effet des combats, soit du fait des ingérences syriennes. Il reste que si la situation présente prend les allures d’une impasse politique, voire constitutionnelle, c’est sans doute parce que ce retour aux normes traditionnelles dans l’exercice du pouvoir s’accompagne au stade actuel d’une nouvelle donne au niveau du rapport de force entre les diverses fractions politico-communautaires. C’est d’abord la première fois dans l’histoire contemporaine du Liban qu’une nette majorité parlementaire émerge à la Chambre dans le sillage d’élections législatives libres. C’est aussi la première fois qu’un bloc parlementaire minoritaire – en l’occurrence celui du général Michel Aoun – représente en réalité l’écrasante majorité (près de 75 pour cent) d’une des deux ailes du tissu social libanais. Si l’on se placait dans le repère d’une démocratie occidentale, il serait évidemment absurde que la majorité parlementaire ne puisse pas former un cabinet, même si elle est en désaccord avec le chef de l’État. Mais ce serait commettre une grave erreur de jugement que de tenter d’appliquer au Liban – et en Orient, d’une manière générale – les mêmes critères de démocratie qu’en Occident. Comme en mathématiques ou en physique, lorsqu’on change de repère, les lois et les équations sont modifiées en conséquence. Respecter, dans le repère libanais, les prérogatives du président de la République dans le processus de formation du gouvernement, c’est sauvegarder le fragile équilibre communautaire qui a constamment été au fil des siècles le principal fondement, la raison d’être de l’entité libanaise. C’est dans cette optique de préservation des équilibres libanais que doit être perçu le rôle du chef de l’Etat, quelle que soit la personne du président et indépendamment de l’existence ou non d’une majorité parlementaire (surtout lorsque celle-ci est le fruit d’une loi électorale unanimement contestée). Conformément à cette même logique, il serait tout aussi absurde – en se plaçant toujours dans le repère libanais – de postuler que l’actuelle majorité parlementaire est en droit de former et de contrôler le gouvernement sans tenir compte de la légitimité, de la représentativité et du poids populaire du bloc du général Aoun. Si l’émir Talal Arslane et l’un de ses partisans avaient été élus in extremis lors des dernières élections grâce à l’apport des voix chrétiennes, Walid Joumblatt aurait-il accepté que les druzes soient représentés au gouvernement par le camp de Talal Arslane alors que les candidats du PSP ont obtenu au Chouf et à Aley plus de 70 pour cent des voix druzes ? Le Hezbollah et le mouvement Amal, forts de leur écrasante victoire électorale, n’ont-ils pas, en outre, opposé un veto à la nomination d’un ministre chiite qui ne soit pas agréé par eux ? Si la présence du bloc du général Aoun au gouvernement se pose avec autant d’acuité c’est parce que le Liban s’est engagé, après le retrait syrien, dans une phase fondatrice au cours de laquelle des questions fondamentales, engageant le devenir des Libanais, devront être tranchées. Or, comme le soulignent eux-mêmes les responsables du Hezbollah, le Liban ne peut être gouverné, pour tout ce qui touche aux questions fondamentales, que sur une base consensuelle. Le prochain gouvernement devrait plancher sur des dossiers aussi vitaux que la loi électorale ou la redéfinition des équilibres au niveau du pouvoir, de manière à combler les nombreuses lacunes de la Constitution de Taëf apparues ces dernières semaines. Sans compter la révision des relations avec la Syrie et la renégociation des accords bilatéraux. Une tâche qui s’avère urgente à la lumière de la politique coercitive, vindicative et vexatoire pratiquée à l’égard du Liban par un pouvoir syrien qui prouve, jour après jour, qu’il ne conçoit ses rapports avec les Libanais que sous l’angle de l’équation « collabo ou alors ennemi ». S’en tenir à la logique de la majorité pour trancher, au niveau du gouvernement, de tels dossiers aussi fondamentaux, en faisant fi du principe de la démocratie consensuelle et des réalités apparues à la faveur des dernières élections, reviendrait à remettre en question le fragile équilibre communautaire du pays. Et à torpiller l’un principaux paramètres fondateurs de l’entité libanaise. Michel TOUMA
Retour à la case départ. Les difficultés qui entravent la mise en place du cabinet Siniora ne sont pas sans rappeler les tiraillements traditionnels qui marquaient généralement la formation des gouvernements avant le déclenchement de la guerre libanaise. Le contexte global est à l’évidence fondamentalement différent aujourd’hui. Mais au terme de quinze années de paralysie politique...