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Actualités - CHRONOLOGIE

Libanais, Palestiniens et Syriens commémorent la disparition du journaliste assassiné Ultime hommage à Samir Kassir, « un penseur qui appartient à l’avenir »

Impossible était la tâche de tous ceux qui ont voulu rendre hommage, hier à l’AUB, à Samir Kassir, assassiné il y a plus de quarante jours dans une rue de Beyrouth. Impossible parce qu’il fallait d’abord définir, cerner et comprendre un intellectuel – l’un des plus brillants de sa génération – qui a de son vivant, mais encore plus après sa disparition, déjoué toutes les configurations mentales préfabriquées qui nous aident d’habitude à évoquer une personne qui n’est plus là. « Homme-idée qui a conquis les esprits, de Jérusalem à Damas », « homme-multiple » dans son génie de journaliste, d’écrivain, d’historien, de professeur, pour ne citer que ceux-là, « héros », « guerrier », « architecte » d’un passé glorieux, celui du 14 mars, mais aussi fécondateur d’un futur « beau », où l’homme et la femme arabes retrouvent leur dignité perdue, Samir Kassir est désormais « un penseur qui appartient à l’avenir ». Et l’avenir, n’en déplaise aux esprits sombres qui rêvaient de voir Kassir muselé par la mort, ne perd pas ses batailles. Il semblait le réaliser, lui qui, du haut de son portrait rouge et géant surplombant une salle archipleine, armé de son sourire le plus pénétrant, le plus ironique, regardait venir penseurs, étudiants et décideurs de Palestine, de Syrie et du Liban lui rendre hommage. Il a vu ses propres paroles, transmises par un montage réalisé spécialement pour l’occasion, imposer le silence à une assistance trop impatiente, exactement comme il le faisait, ces soirs de février à la place des Martyrs, lorsqu’il jugulait avec des mots d’acier les dérives xénophobes d’une foule déchaînée. Il a vu son ami et collègue Élias Khoury qualifier sa pensée d’« essence de parfum de Jaffa, mélangée à celui des roses de Damas », et versée dans des mots qui ont fait de Beyrouth le cœur du printemps arabe. Il l’a vu dénonçant cette « vengeance contre la vie » qu’a été son assassinat. Il a entendu Ghassan Tuéni, s’exprimant au nom du Nahar, faire de son profil à lui, Samir Kassir, l’idéal de toute une génération de jeunes penseurs, et raconter non seulement l’histoire amoureuse qui a toujours lié la famille Kassir à la Palestine et au Liban, mais aussi se demander, avec l’amertume de celui qui se pose trop de questions, s’il a bien fait lorsqu’il l’a convaincu de quitter Paris pour venir se jeter dans la fournaise des despotes orientaux. Ce fut ensuite le tour du poète Mahmoud Darwich qui, dans une intervention enregistrée à partir de Ramallah, se consolait et consolait « les amants de Beyrouth » pour la perte de « l’enfant génial », de celui qui « dansait, svelte, dans les champs de mines », de celui que « la liberté a sauvagement assassiné, elle qui assassine ses amants la nuit de noces venue ». Quant au journaliste américain Jonathan Randall, et son collègue français de France Inter, ils se sont arrêtés à chacun des journalistes libanais qui, comme Samir Kassir, ont péri pour avoir trop bien et trop justement écrit, et pour avoir invité les lecteurs à « mesurer les évènements à l’échelle de l’histoire ». Ils ont particulièrement évoqué le souvenir de l’ancien rédacteur en chef du Jour et puis de L’Orient-Le Jour, Édouard Saab, qui a été selon eux l’un des rares Libanais à voir, en 1975, que le Liban s’engouffrait dans un long passage obscur de son histoire, avant de mourir assassiné par la balle d’un franc-tireur au croisement du Musée. La Palestine, patrie d’origine de Samir Kassir, devait bien s’exprimer. Et c’est Yasser Abed Rabbo, le célèbre ex-ministre palestinien de l’Information, qui s’est intéressé, non sans émotion, au « symbole » Samir Kassir, « dont les articles étaient des oracles », puisqu’il a « appelé depuis 2003 les peuples arabes à se soulever contre leurs tyrans avant qu’on ne vienne, de l’étranger, les destituer et en prendre prétexte pour occuper leurs pays ». « Samir Kassir, ce pont vers le rêve pour les peuples de la région, qui les appelait à secouer le despotisme et l’archaïsme, et qui nous appelait à nous redéfinir », a-t-il ajouté. Quant à la Syrie, c’est Riad Terk et un représentant des intellectuels syriens, Akram Banna, qui ont parlé en son nom. M. Terk, à qui le régime syrien interdit depuis 40 ans l’accès au Liban, et qui n’a connu Kassir qu’à travers ses écrits ou le téléphone, a remercié ce dernier, ainsi que le supplément culturel du Nahar, al-Molhak, d’avoir permis aux penseurs syriens d’écrire lorsque les portes de la presse syrienne leur étaient fermées, et elles le sont toujours, on sait bien pourquoi. Soulignant « la responsabilité politique » de Damas dans les attentats qui ont tué Kassir et Georges Haoui, il a déclaré, à partir de la Syrie puisqu’il s’exprimait via caméra : « La démocratie libanaise ne sera pas tranquille tant que le régime totalitaire syrien est en place. » C’est alors qu’une étudiante de Kassir, Yara Yassine, dans une intervention extrêmement bouleversante, la meilleure peut-être, a rendu hommage à un professeur hors du commun. « Ils ont tué beaucoup de personnes ce matin-là », a-t-elle dit, avant de conclure : « Les militaires (al- Askar) ne vaincront pas. » Même Walid Joumblatt, dans une allocution enregistrée, semblait serein lorsqu’il saluait « la mémoire de Samir Kassir », le père de l’intifada, sans qu’il ne puisse cependant s’empêcher de lancer une boutade contre Michel Aoun. Enfin, et après le réquisitoire d’Élias Atallah contre « le régime sécuritaire syro-libanais », ce fut le oud de Marcel Khalifé qui raconta le rêve de Kassir, avant que Gisèle Khoury ne s’engage, majestueuse, à poursuivre l’œuvre de son « héros », partout et toujours, au service de la liberté et de la justice. Enfin, Élias Khoury a annoncé la création de l’association culturelle Samir Kassir, qui militera pour la liberté de la presse dans le monde arabe. Il a également indiqué que le jardin public de la place des Martyrs portera désormais le nom de l’écrivain. Mais c’est sans doute autrement, et bien plus fondamentalement, que Samir Kassir marquera à jamais la conscience libanaise et arabe. Samer GHAMROUN
Impossible était la tâche de tous ceux qui ont voulu rendre hommage, hier à l’AUB, à Samir Kassir, assassiné il y a plus de quarante jours dans une rue de Beyrouth. Impossible parce qu’il fallait d’abord définir, cerner et comprendre un intellectuel – l’un des plus brillants de sa génération – qui a de son vivant, mais encore plus après sa disparition, déjoué toutes les...