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Actualités - OPINION

Majeurs et pas vaccinés

Une majorité parlementaire qui ne se résout pas, pour autant, à endosser crânement son statut de majorité : c’est-à-dire à gouverner, sans plus se soucier des mécontents. Et en face, une minorité qui aligne condition sur condition, se comportant en somme, elle, comme la véritable majorité. « Je n’y comprends plus rien », s’exclamait jeudi devant la presse un ambassadeur d’Espagne visiblement dépassé par ce fouillis de textes constitutionnels et de règles non écrites : douteux tabboulé tenant lieu, chez nous, de démocratie. Que l’ambassadeur se rassure, nombre de Libanais ne s’y retrouvent pas non plus. Et pourtant, rien ne serait plus compliqué – plus hasardeux même – que d’aller carrément, en droite ligne… à la simplicité ; et c’est particulièrement le cas dans un pays comme le nôtre, qui, pour reprendre un cliché usé jusqu’à la corde, est une fragile mosaïque de communautés. C’est un fait que le système libanais est handicapé de naissance. C’est un fait aussi que la chirurgie plastique de Taëf, qui mit fin à la guerre, fut loin de lui donner en réalité une santé nouvelle. Mais il est certains remèdes qui, tout en guérissant effectivement un mal, peuvent en provoquer un autre, éventuellement plus pernicieux encore. Toute démocratie classique, à l’occidentale, repose sur un axiome de base, à savoir le règne de la majorité d’opinion : les plus nombreux imposent leur volonté aux autres ; dès lors, tout est dit, du moins jusqu’au moment où le peuple est, de nouveau, appelé à se prononcer. Le Liban est une entorse vivante à ce principe : une salutaire entorse au demeurant, pour peu que soient prises en compte les viscérales frayeurs communautaires, alimentées jusqu’à un passé récent par de périodiques flots de sang. Car en dépit des évolutions démographiques, se trouve dissuadée de la sorte, sinon écartée, toute tentation hégémonique susceptible de gagner l’une ou l’autre des familles libanaises : lesquelles, il n’est pas inutile de le rappeler, sont toutes des minorités. De se rabattre, par la force des choses, sur une démocratie consensuelle n’aura certes pas mis les Libanais à l’abri des crises. Tout consensus, bien sûr, est par définition un renoncement, un compromis. Cultivé à outrance, le consensus ne peut produire que des demi-mesures, empreintes d’ambiguïté et qui sont autant d’obstacles vers le progrès. Passez outre à ce même consensus toutefois, et vous vous retrouvez avec un pays déséquilibré, boiteux, où sévissent méfiance et frustration, ce qui interdit plus sûrement encore tout espoir de progrès. C’est de ce même dilemme que reste invariablement prisonnier notre pays, comme l’illustre l’actuel débat sur le prochain gouvernement : un débat où les arguments de poids ne manquent ni d’un côté ni de l’autre. Car il est bien normal que la nouvelle – et vaste – majorité parlementaire soit décidée à exercer le pouvoir sans la moindre possibilité d’obstruction de la part du chef de l’État qui, en effet, avait systématiquement contrecarré les projets de l’ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri. Et on peut tout aussi bien s’alarmer (ne serait-ce que dans la perspective de l’après-Lahoud) d’un précédent augurant peut-être d’une marginalisation accrue du rôle du président de la République, déjà dessaisi à Taëf d’une partie de ses prérogatives. Minorité de blocage ou non : derrière la valse des formules proposées par Fouad Siniora et des fins de non-recevoir opposées par Émile Lahoud, telle est bien en effet la question. Le plus terrible c’est que la Loi fondamentale, suprême recours, n’y apporte pas de réponse : façonnée à l’usage d’un Liban à peine émergé de la guerre, d’un Liban jugé mineur, la Constitution n’était en réalité qu’une invitation permanente à l’arbitrage souverain, sans appel du tuteur de l’époque, la Syrie. La raison, le droit mais aussi la sécurité – celle de l’État comme des citoyens – commandent à l’unisson que soit révisée une Constitution abusivement brandie par d’aucuns comme une sainte écriture, comme un texte intouchable sauf, bien évidemment, quand il ne s’agissait que de proroger des mandats présidentiels sur ordre de Damas ; mais comment y parvenir quand on n’arrive même pas à s’entendre sur la composition d’un gouvernement ? À mesure que se prolonge la crise, nous risquons d’offrir au monde, celui-là même qui a applaudi à notre sursaut d’indépendance, la triste image d’un peuple répugnant à exorciser ses vieux démons. Obstinément allergique aux antidotes. Et bien en peine de se gouverner lui-même. Issa GORAIEB
Une majorité parlementaire qui ne se résout pas, pour autant, à endosser crânement son statut de majorité : c’est-à-dire à gouverner, sans plus se soucier des mécontents. Et en face, une minorité qui aligne condition sur condition, se comportant en somme, elle, comme la véritable majorité.
« Je n’y comprends plus rien », s’exclamait jeudi devant la presse un ambassadeur...