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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Rétrospective du peintre Marwan à Solidere L’entêtement du dessinateur de têtes (photos)

C’est du port de Beyrouth, à bord du Michelangelo, que Marwan Kassab Bachi a quitté son Damas natal pour aller vers le port de Marseille puis, en train, vers Berlin, la ville qui allait l’accueillir pendant près d’un demi-siècle. Après les couleurs, la chaleur et la nonchalance de l’Orient, il a été saisi par la froideur, la grisaille et la mélancolie de l’Occident cérébral. Dans la capitale allemande, au prix de nombreux sacrifices, il s’est fait un prénom. Et a récolté des récompenses à la hauteur de son talent, dont le Fred Thieler en 2002 et, il y a un mois seulement, le grand Ordre du mérite remis par le président allemand Horst Kohler. Ce peintre de haut vol et professeur émérite bénéficie aujourd’hui, à Beyrouth, d’une grande rétrospective de ses œuvres, à l’initiative de Solidere. Vernissage aujourd’hui, mardi 12 juillet, à la Planète de la découverte, dans le centre-ville.* Rencontre avec un alchimiste de la matière et un grand humaniste de la parole, célèbre pour ses séries de visages, de têtes et de marionnettes aux traits vigoureux, aux couches successives et aux couleurs de terre. Il est à la peinture ce qu’Adonis est à la poésie. Mais la comparaison avec son compatriote, son ami, s’arrête là. Car si Adonis s’intéresse aux réalités sociopolitiques du monde actuel, Marwan, lui, a des considérations plus universelles, plus en relation avec l’homme, sa vie, ses peurs, ses angoisses, ses joies… Cette portée humaniste se traduit tout naturellement donc dans ses œuvres. Cela ne signifie pas, loin de là, qu’il vit sur une autre planète. L’Allemand d’origine syrienne reste attaché à ses racines moyen-orientales. Par exemple, et en témoignage de sa sympathie au peuple palestinien et comme soutien à l’approfondissement de leur recherche artistique, il a fait un don de près de 100 toiles à l’Université de Bir Zeit et à l’association culturelle Khalil Sakakini de Ramallah. Devant ses toiles monumentales, il se tient avec beaucoup d’humilité. Comme si les huiles avaient une âme et qu’il fallait les ménager. La poignée de main est sobre, le sourire presque amusé, la parole libre et bien structurée. « Qui se conçoit bien s’exprime clairement », pense-t-on en l’écoutant parler de son art avec un grand naturel. Sous le crâne dégarni, derrière des lunettes cerclées d’or, les yeux d’un bleu profond se plissent à chaque émotion évoquée. L’artiste inspire le respect et force l’admiration. À la Planète de la découverte, quelque 200 œuvres retracent le parcours du peintre depuis ses débuts. Elles ne sont pas disposées chronologiquement. « L’accrochage est rythmique, il suit une certaine musicalité », indique Marwan. Il y a également un élément de suspense qui relie les toiles entre elles. C’est là le fil conducteur de l’exposition. « Chaque toile apporte une réponse à la précédente et introduit la suivante. » Le visiteur plonge dans le cru d’un demi-siècle de peinture. Il est témoin d’une maturité qui se développe, mais dont les racines sont déjà implantées et bien visibles dans ses premières œuvres. La première toile de Marwan, un paysage croqué à coups de larges pinceaux d’aquarelle, il l’a signée lorsqu’il avait 13 ans. C’était en 1947. Il savait déjà qu’il était destiné à une carrière dans les arts. Mais pour réaliser ce rêve, il lui a fallu faire preuve de beaucoup de volonté. Et d’entêtement. Il savait qu’il lui faudrait poursuivre son enseignement sous d’autres cieux. Et faire ses preuves dans une ville froide, portant encore les séquelles cuisantes d’une guerre atroce. Avant son départ pour l’Europe, il se souvient de sa première exposition. C’était à Beyrouth, au palais de l’Unesco. Il avait fait, à cette occasion, deux rencontres qui l’ont marqué : celles avec Salah Stétié et Paul Guiragossian, qui s’étaient intéressés au travail du jeune Syrien. L’étreinte des civilisations De la mélancolie, de la joie, du défi, de l’érotisme transparaissent dans son œuvre. L’Est et l’Ouest se mélangent. Assoiffé de matière, Marwan empile une couche de peinture sur une autre, sur un mode multiplicateur et répétitif, « un trait typiquement oriental », analyse-t-il. Avec cette rétrospective aujourd’hui, Solidere a voulu lui rendre un hommage. Et faire connaître Marwan et son œuvre auprès du grand public libanais. Force est de constater que les toiles de l’artiste sont difficiles à appréhender. « Grâce à Dieu », rigole-t-il, avant de donner quelques clés de compréhension utiles à l’observateur lambda. « Vous savez, ce n’est pas une question de culture. N’importe qui peut être sensible à une œuvre d’art pour peu que cette personne ait une certaine sensibilité, et une réceptivité à l’art. » Travailleur acharné, Marwan s’est imposé au cours de ce demi-siècle de création comme l’une des principales figures artistiques du monde pictural. Rares sont les artistes qui bénéficient, de leur vivant, d’une rétrospective. Cette remarque l’émeut. Il paraît bouleversé. Marwan fait le rapprochement entre la vie comme éternel recommencement, obéissant à de grands cycles du lambda avec Sisyphe, le héros mythologique grec, dont la trop grande compréhension irritait les dieux qui l’ont condamné à porter un bandeau et pousser un rocher en boule vers le sommet d’une montagne, mais qui roule invariablement avant dans la vallée. Sisyphe, n’est-il pas également le symbole du courage et de l’entêtement ? Maya GHANDOUR HERT * Jusqu’à fin août, de 10h à 19h.

C’est du port de Beyrouth, à bord du Michelangelo, que Marwan Kassab Bachi a quitté son Damas natal pour aller vers le port de Marseille puis, en train, vers Berlin, la ville qui allait l’accueillir pendant près d’un demi-siècle. Après les couleurs, la chaleur et la nonchalance de l’Orient, il a été saisi par la froideur, la grisaille et la mélancolie de l’Occident cérébral....