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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Nada Sehnaoui « installe » les souvenirs de guerre à la place des Martyrs Projet d’art, jeu de mémoire (photos)

Nada Sehnaoui a un exercice de prédilection: inviter les Libanais à faire travailler leurs cellules mnémoniques. Il y a un an, elle a monté, au centre-ville, une installation intitulée «Atazakar: fractions de mémoire», une collection de souvenirs du «balad». En 2005, trente ans après le début des évènements, elle sollicite de nouveau la matière grise de ses compatriotes et les appelle à partager un ou des souvenirs de guerre. «La mémoire individuelle, à portée de tous, devient collective», précise l’artiste qui espère ainsi amener les visiteurs de l’installation (place des Martyrs, à partir du 29 septembre *) à faire le deuil de toutes ces années de tourmente. Depuis 1993, ce travail sur la mémoire la taraude. Il revient comme un leitmotiv dans diverses œuvres, toiles ou installations. Combien de fois n’a-t-elle entendu des soupirs d’exaspération « khalas, la guerre ! » de la part de spectateurs. « Comme si j’étais une sadique, s’exclame-t-elle. Mais j’ai toujours prôné ce travail de catharsis. Il nous aide à regarder le problème en face pour ne pas recommencer. Et à faire passer le message suivant: il faut qu’on arrête de régler nos différences par la violence.» Nada Sehnaoui se souvient très bien du 13 avril 1975. C’est à partir de cette date fatidique que la jeune adolescente – qui adorait faire du cheval, de la mobylette, aller en randonnée, bref qui avait la bougeotte de sa génération – a été obligée de s’asseoir. Cette immobilité forcée, elle l’a vécue non seulement comme une entrave à sa liberté individuelle, mais aussi et surtout comme un crime commis envers un pays tout entier, envers une large majorité de la population qui s’est accroupie dans les abris, les coins sans fenêtre, les cages d’escalier, les salles de bains durant des heures, des jours, des semaines, et parfois des mois interminables, à attendre l’arrêt des bombardements aveugles, des batailles de rue ou des tirs des francs-tireurs. «Aujourd’hui, après avoir longtemps joué à la politique de l’autruche, les Libanais sont plus que jamais confrontés à leurs vieux démons de la guerre», indique-t-elle. D’où la pertinence d’un tel travail sur la mémoire. La source et le catalyseur Nada Sehnaoui aime faire participer les gens à ses œuvres. C’est en 2001, lors d’une installation à l’International College, qu’elle a eu l’idée d’un travail «collaboratif». Elle voulait d’abord impliquer les élèves dans son travail pour qu’ils soient des participants et non seulement des spectateurs. «Décrivez l’école de vos rêves »: tel était le thème qu’ils devaient développer en texte ou en dessin. Elle a reçu 1700 copies. «Pour moi, c’était un immense bonheur, une fois l’installation terminée, de me promener entre les rêves de ces enfants.» Aujourd’hui, ce sont donc les cauchemars des adultes qu’elle cherche à dévoiler au grand jour. En septembre, place des Martyrs, elle installera 420 tabourets. Sur chacun, un texte témoignage ou une feuille blanche «pour la mémoire perdue». «Le nombre des tabourets est une décision esthétique», explique l’artiste. Le tabouret devient là le symbole de l’immobilisme précaire. «La guerre nous a forcés à devenir immobiles. Cette installation pour la mémoire est là pour que nous ne soyons plus jamais forcés à nous asseoir.» Écris ta guerre La guerre a inspiré de nombreux écrits. «Les témoignages reçus sont aussi divers qu’émouvants.» Entre fascination et répulsion. Pour certains, elle ne fut qu’une parenthèse, pour d’autres une révélation. Dans tous les cas, cette guerre hors normes, aux confins de l’horrible, impressionne, traumatise. Les mots, les formes, les couleurs, les images, tout est «matière première». Au service des hommes sacrifiés, de leurs croyances, de leurs joies et douleurs, les écrits témoignent, brandissent, apaisent, dénoncent. Un jeune avocat se souvient de la terminologie de la guerre dans laquelle il a grandi. Une étudiante amoureuse raconte comment elle a renoncé à son soupirant parce qu’il est devenu membre d’une milice. Une jeune maman dit avoir survécu aux affres de la guerre et de la dépression grâce à ses cinq petits garçons. Par ailleurs, une fille se souvient des moments de soulagement et de joie lorsqu’elle loupait les cours de l’école. Chacun a son histoire, mais une chose unit ces âmes : le courage. Cette exposition, Nada Sehnaoui la dédie aussi aux enfants de son pays. «Il faut leur transmettre notre mémoire de la guerre pour que l’expérience ne se répète pas.» Sehnaoui insiste en conclusion qu’en sollicitant les souvenirs de la guerre, elle ne vise pas à remuer le couteau dans la plaie. «Si la plaie n’est pas ouverte et bien nettoyée, elle ne cicatrise pas, elle s’infecte, et il y un risque d’amputation ou de répétition.» Maya GHANDOUR HERT * L’artiste continue à recevoir des textes jusqu’au vernissage aux adresses suivantes: Atazakar, BP 113-5412, Hamra, Beyrouth. E-mail: atazakar@yahoo.com

Nada Sehnaoui a un exercice de prédilection: inviter les Libanais à faire travailler leurs cellules mnémoniques. Il y a un an, elle a monté, au centre-ville, une installation intitulée «Atazakar: fractions de mémoire», une collection de souvenirs du «balad». En 2005, trente ans après le début des évènements, elle sollicite de nouveau la matière grise de ses compatriotes et les...