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Actualités - CHRONOLOGIE

Dette - Démentant les rumeurs sur un « cadeau » inconditionnel de plusieurs milliards de dollars La communauté internationale avertit le Liban : pas de réforme, pas d’argent

Un chiffre circule dans les salons libanais, des articles de presse, voire dans les déclarations de certains responsables politiques : cinq à six milliards de dollars. Il s’agirait de l’aide internationale « promise » à Beyrouth pour l’aider à surmonter le problème de sa dette. L’énormité du montant est à la hauteur de la méconnaissance par la plupart des Libanais de la gravité des déséquilibres économiques et financiers dont souffre le pays. Des déséquilibres qu’un chèque, quel que soit le nombre de ses zéros, ne suffira pas à résoudre. L’expérience de Paris II est là pour le prouver. Déjà, en novembre 2002, le Liban avait bénéficié d’une aide financière de plus de deux milliards de dollars, grâce à l’implication personnelle de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et à une conjoncture géopolitique régionale favorable. Cette intervention de la communauté internationale était exceptionnelle à plus d’un titre. D’abord par son ampleur plus importante, en termes relatifs, que l’aide obtenue par d’autres pays en difficulté ; ensuite par ses modalités, puisqu’elle n’avait été assortie d’aucune conditionnalité : de quoi rendre jaloux tous les gouvernements qui sont passés par les fourches caudines du Fonds monétaire international. Trois ans plus tard, force est de constater que cette faveur dont a été gratifié le Liban a surtout ressemblé à un coup d’épée dans l’eau. Selon les spécialistes, rééditer l’expérience serait un bien mauvais service à rendre aux Libanais dans leur ensemble, au seul profit de ceux qui prospèrent grâce à la perpétuation du système actuel. En effet, dès lors que l’on ouvre entièrement le robinet d’oxygène insufflé à un système malade – plutôt que de doser le flux –, au lieu de se réformer, celui-ci profite pleinement du sursis obtenu, sans réfléchir au lendemain, comme s’il avait encore toute la vie devant lui. Rumeurs extravagantes L’extravagance de la rumeur concernant le « cadeau » imminent qui attendrait le Liban tient surtout au fait qu’elle ignore superbement les déclarations répétées de la communauté internationale à ce sujet. Pourtant, ces dernières ont le mérite de la clarté. Elles tiennent en une formule : pas de réforme, pas d’argent. C’est en effet la principale conclusion à laquelle sont parvenus les « hauts fonctionnaires » réunis le 13 juin dernier à Paris pour « échanger des vues sur l’aide que la communauté internationale pourrait apporter le moment venu au Liban », selon les termes du porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. La capitale française avait accueilli ce jour-là les ambassadeurs de France, des États-Unis et de Grande-Bretagne à Beyrouth, ainsi que le chef de la Délégation de la Commission européenne à Beyrouth, le représentant de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient, un émissaire de l’Onu et de hauts fonctionnaires des différentes administrations concernées, dont la fille du vice-président américain, Liz Cheney, directeur adjoint pour le Moyen-Orient au département d’État. L’objectif de la réunion, organisée à l’initiative des États-Unis et de la France, était de « capitaliser » sur la relative bonne tenue des élections législatives, en préparant les étapes suivantes. « Il fallait que nous accordions nos violons, car nous n’avions pas forcément la même façon d’envisager les choses », explique un diplomate. Deux approches prévalaient avant la rencontre, a appris L’Orient-Le Jour de sources autorisées. La première, émanant surtout de Paris et de Washington, consistait à parachever les « succès » politiques engrangés au Liban en lui donnant une nouvelle impulsion économique. La seconde, plutôt défendue par des « techniciens », visait à éviter de donner un « mauvais signal » en privilégiant l’organisation d’un « show » médiatico-politique, au détriment de l’efficacité économique. « Le principe même de la tenue d’une conférence internationale des bailleurs de fonds a été contesté, au motif qu’elle ne serait pas le meilleur instrument pour venir en aide au Liban », explique-t-on de mêmes sources. Pas de chèque en blanc Au terme de cinq heures de discussions, les participants à la réunion de Paris se sont mis d’accord sur plusieurs points. D’abord, le constat de la nécessité des réformes était général. Mais le scepticisme quant à la volonté des Libanais d’entreprendre ce chantier était tout aussi unanime, à partir d’une prise de conscience commune, du fait que « nous ne partageons pas forcément la même conception du mot réforme qui, dans notre esprit, inclut un certain nombre de sacrifices et d’efforts », précise-t-on de source proche des discussions. C’est la raison pour laquelle toutes les parties présentes ont convenu qu’il n’était pas question de signer un chèque en blanc. La deuxième conclusion découle donc de la première : si la communauté internationale est bien disposée à l’égard du Liban, il appartiendra à Beyrouth de présenter un programme détaillé dans lequel le gouvernement établira ses priorités, fixera ses objectifs et la façon de les articuler, selon un calendrier précis, avec la coopération internationale. Troisièmement, les participants ont convenu que la réforme n’était pas possible sans réformateurs. D’où la froideur avec laquelle la communauté internationale a pris acte de la reconduction de Nabih Berry à la tête du Parlement et les grincements de dents des milieux diplomatiques à propos de l’éventualité de l’attribution du portefeuille des Affaires étrangères à un proche de Amal ou du Hezbollah. Enfin, quatrième et dernier point, « les questions de sécurité n’ont pas été évoquées lors de la réunion de Paris », précisent les milieux diplomatiques, en référence à la résolution 1559. La présence à Paris de Kofi Annan, le 13 juin, a créé une certaine confusion à ce sujet qui a été exploitée politiquement, mais, de source autorisée, on insiste sur le fait que l’aide éventuelle ne sera pas liée au désarmement du Hezbollah, le problème devant être traité de façon parallèle. Unanimité internationale S’il n’y a pas eu de communiqué commun à l’issue de la réunion de Paris, chacun des participants en a relayé le contenu à ses interlocuteurs officiels libanais. Depuis, les déclarations diplomatiques sont venues conforter publiquement cette position unanime des « amis du Liban ». La dernière en date émane du plus haut niveau, puisqu’elle a été énoncée par le président français à l’occasion du sommet du G8 en Écosse. « Nous n’aiderons les nouvelles autorités (libanaises) que si elles s’aident elles-mêmes », a déclaré Jacques Chirac, appelant le prochain gouvernement à « engager un programme urgent de réformes ». Auparavant, dans une déclaration de son président, le Conseil de sécurité avait demandé le 22 juin à la communauté internationale « de se tenir prête à examiner les éventuelles demandes des autorités libanaises nouvellement élues concernant une assistance et une coopération renforcées », tout en précisant que ceci se ferait « à l’appui d’un programme crédible de réformes politique et économique ». La veille, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, avait déclaré devant l’Assemblée nationale que le Liban était « seul compétent pour définir ses besoins et tracer le programme de réformes indispensable à la résorption de la dette tout en prévoyant un filet de sécurité social pour protéger les plus démunis ». S’agissant de l’aide internationale, il a ajouté qu’elle devrait s’ajouter aux efforts des Libanais « et non s’y substituer (…), une tutelle étrangère ne devant en aucun cas faire suite à une autre tutelle étrangère ». Au nom du principe de la conditionnalité, « la communauté internationale n’octroiera pas son aide sans avoir la certitude que les réformes nécessaires seront mises en œuvre », car l’objectif est d’accompagner les réformes voulues par Beyrouth « et non de régler des factures », a ajouté le ministre. Pas de Paris II bis Ces positions ont été répétées sur tous les tons par les ambassadeurs en poste à Beyrouth. « Nous ne voulons pas réitérer l’expérience de Paris II, cette fois, il n’y aura pas d’argent sans réformes », a déclaré lundi dernier le chef de la Délégation européenne, Patrick Renauld, lors du programme Euromed, sur la NBN. Le 22 juin, interrogé par la presse sur l’éventualité de la tenue d’une conférence de type Paris III, l’ambassadeur de France a répondu que « pour l’instant rien n’est décidé ». « Je vous fais part de la bonne volonté de la communauté internationale à aider le Liban sur la base d’un programme qui sera articulé par les nouvelles autorités libanaises (…). Laissons le nouveau gouvernement définir ce que sera son programme économique, nous souhaitons simplement qu’il soit audacieux et réformiste », a poursuivi Bernard Émié, à l’issue d’une visite au général Michel Aoun. Enfin, le 18 juin, à l’occasion d’un déjeuner offert par la Chambre de commerce libano-américaine, l’ambassadeur des États-Unis, Jeffrey Feltman, a adressé un message clair aux Libanais : « Nous voulons vous aider, mais nous attendons que vous nous montriez le chemin. » Jeu pervers En dépit de ce concert diplomatique particulièrement harmonieux, la classe politique libanaise ne semble pas encore avoir pris conscience de la nécessité de se retrousser les manches. Le seul fait que le président américain George W. Bush ait mentionné le Liban lors d’un discours suffit à entretenir les espoirs. Beaucoup sont en effet convaincus que « personne n’acceptera de laisser tomber le Liban ». Il s’agit là d’un « jeu pervers », estime un observateur. « L’imminence d’une crise financière est brandie comme un prétexte larmoyant. Que la classe politique prenne ses responsabilités ! La politique du bord du gouffre ne marchera pas cette fois-ci. Il ne faudra plus compter sur l’intervention de pompiers pour éteindre l’incendie, commente-t-il. D’autant que Rafic Hariri n’est plus là. » Sibylle RIZK
Un chiffre circule dans les salons libanais, des articles de presse, voire dans les déclarations de certains responsables politiques : cinq à six milliards de dollars. Il s’agirait de l’aide internationale « promise » à Beyrouth pour l’aider à surmonter le problème de sa dette.
L’énormité du montant est à la hauteur de la méconnaissance par la plupart des Libanais de la...