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Actualités - ANALYSE

ANALYSE - Justice ou Affaires étrangères, une même problématique

Après des concertations intensifiées qui ont duré dix jours, le nœud gordien qui a bloqué la formation du gouvernement s’est focalisé sur les seuls ministères de la Justice et des Affaires étrangères, deux portefeuilles-clés en cette période transitoire, placée sous le double signe de la « réforme » et de « l’application de la 1559 ». Deux chantiers majeurs qui devront déterminer l’avenir du Liban, tant il est vrai que la réforme promise et souhaitée préludera à la relance économique d’un pays exténué et à l’absorption du mécontentement populaire suscité par les dossiers de la corruption. Quant à l’application de la 1559, condition sine qua non pour restituer à l’État le monopole de la force de coercition sur son territoire, elle devrait également permettre au pays de bénéficier de la bénédiction et de l’aide de la communauté internationale qui guette de très près les moindres avancées (ou reculs) sur ce plan. Or, pour l’une ou l’autre échéance, force est de constater que les parties en présence, dont le poids a été déterminé par les élections parlementaires, n’ont toujours pas une vision claire sur ces deux dossiers majeurs. La crise qui guette le Premier ministre désigné ne risque pas d’être résorbée de sitôt si le gouvernement en gestation ne s’entend pas sur ces deux questions vitales. D’où certaines voix qui se font entendre récemment, exigeant que le chef de file de la majorité puisse au moins annoncer les grandes lignes de la politique générale sur les questions épineuses notamment, et de « recruter » ses ministres de manière à assurer un minimum de cohésion au sein de la future équipe. En effet, il est demandé à ce dernier de clarifier sa position future notamment sur la question des réformes et du désarmement, « avant (et non après), la formation du gouvernement », dont la naissance et la durée de vie dépendent étroitement du règlement de la question des armes du Hezbollah et des Palestiniens ainsi que des « conditions » du lancement de la réforme. Car, quelle que soit l’équipe qui sera désignée à l’Exécutif, celui-ci ne fera que reporter la tempête qui se profile à l’horizon si les forces en présence ne tombent pas d’accord ne serait-ce que sur les principes généraux qui doivent guider l’action du gouvernement sur ces dossiers. À quelle réforme aspirons-nous ? Bouté hors du gouvernement, le général Michel Aoun avait pronostiqué que les « vieux routiers de la politique » ne seraient pas à même de mener la réforme. D’autant que les protagonistes auront du mal à « s’entendre » sur une réforme qui placerait bon nombre d’entre eux sur le banc des accusés. D’où l’insistance du chef druze, Walid Joumblatt, de lutter contre la corruption « en aval, pas en amont ». En proposant un « audit international » pour repérer les « fuites » et chiffrer la dilapidation, Michel Aoun s’est mis à dos non seulement le chef du PSP, mais également tous ceux qui craignent l’ouverture des dossiers. Certes, ces derniers ont raison de craindre l’avènement d’un proche du général réformateur à la tête du ministère de la Justice, qui peut déférer au procureur général un dossier, ordonnant ainsi l’ouverture d’une enquête. Mais une fois l’enquête judiciaire entamée, le ministre de la Justice n’a plus aucun pouvoir sur les juges sur base du principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs politique et judiciaire. Encore faut-il que l’appareil judiciaire ait été auparavant réformé pour pouvoir mener à bien cette tâche. Ce qui suppose non seulement l’approbation du Conseil supérieur de la magistrature, qui, depuis 2001, a pratiquement autant de pouvoir sinon plus que le ministre au plan des nominations des juges aux postes-clés, mais aussi, le contreseing du Premier ministre et celui du président de la République. Ainsi, et quelles que soient les velléités réformatrices de Michel Aoun, « son ministre » ne pourra agir seul, encore moins mettre en branle la justice « pour régler d’anciens comptes », puisque ce dernier peut toujours être récusé en Conseil des ministres et poussé à démissionner pour avoir pratiqué une justice sélective. Ainsi, l’idée de la cohésion au sein du gouvernement revient en force, quelles que soient les prérogatives du ministre en charge. D’où l’importance, encore une fois, d’une « vision globale » de la politique générale qu’entend mettre en application tout gouvernement futur. Consensus aux Affaires étrangères C’est pratiquement la même théorie qui s’applique aux prérogatives du ministre des Affaires étrangères, dont le rôle est certes important pour ce qui est de la conduite de la politique étrangère. Toutefois, celle-ci est proposée, négociée et adoptée par le Conseil des ministres réuni et non par le ministre concerné C’est ce que confirme, d’une autre manière, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Farès Boueiz : « S’il est évident que le ministre des Affaires étrangères est censé refléter une position nationale, il n’en reste pas moins qu’il dispose d’une large marge de manœuvre dans la présentation des dossiers à l’opinion publique et à la communauté internationale. » Pour cet ancien ministre, l’application de la 1559 est toutefois « indissociable de l’idée d’unité nationale », qui doit guider la ligne de conduite du ministre sans toutefois annuler l’apport personnel de ce dernier. M. Boueiz cite au passage l’exemple du dossier de l’enquête internationale qui « suppose un protocole d’exécution qui doit être mis en place conjointement par les Nations unies et le ministre chargé ». D’où l’importance – toute relative – du rôle et de la personnalité du ministre, lequel donne l’impulsion à la politique tracée par l’Exécutif. « Il ne faut toutefois pas oublier que la marge de manœuvre dont il dispose est également fonction des circonstances externes et de la dynamique consensuelle locale », ajoute l’ancien ministre. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères ne saurait faire cavalier seul, et surtout pas dans les dossiers cruciaux tels que le désarmement du Hezbollah et des camps palestiniens. Des questions qui concernent également les ministres de la Défense et de l’Intérieur, impliqués dans les affaires sécuritaires du pays et soucieux de veiller un tant soit peu à la fragile unité nationale. Retour donc à la case départ et à la primauté de décider, à l’avance, comment le prochain gouvernement conçoit le « vouloir vivre en commun » au sein de l’Exécutif, et par extension au sein de la nation. Si cette entente préalable fait défaut, le Liban risque de faire face à une véritable bombe à retardement. Jeanine JALKH

Après des concertations intensifiées qui ont duré dix jours, le nœud gordien qui a bloqué la formation du gouvernement s’est focalisé sur les seuls ministères de la Justice et des Affaires étrangères, deux portefeuilles-clés en cette période transitoire, placée sous le double signe de la « réforme » et de « l’application de la 1559 ». Deux chantiers majeurs qui devront...