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Actualités - OPINION

OPINION Scénario pour le Liban de demain

Quarante ans de guerre et d’occupations, quarante longues années d’absence d’un État de droit, quarante ans de corruption qui méritent une place dans le livre des records galactiques… Car il ne faut pas dater la déliquescence de 1975 (ou 76 comme si « les autres », comme toujours, en étaient responsables), mais bien de 1967. Une génération entière n’aura connu que cela. Elle n’aura trouvé que l’exil en exutoire, que l’émigration comme solution. Ce que les politiciens libanais osent encore proposer à cette génération déjà perdue, mais surtout à la suivante, c’est la même misère politique aggravée, les mêmes corruptions, les mêmes contorsions dont la classe héréditaire des députés s’est toujours vantée en la masquant dans les formules éculées des « peuples frères », de « l’unité du destin » du « puzzle libanais » et autres considérations plus ou moins rationnelles. La moindre visite d’un leader sunnite à un maronite, d’un politicien chiite à un grec-catholique ou de n’importe laquelle de chacune des innombrables confessions qui se partagent un Liban exigu, est montrée comme la preuve irréfutable d’une « unité nationale » vite qualifiée de « retrouvée » comme si elle avait jamais existé et avait été momentanément perdue. S’il fallait absolument administrer une preuve, il suffirait de regarder de l’extérieur ce qui se passe depuis la fin du « printemps de Beyrouth » jusqu’à ces élections où chaque leader est revenu à son clocher ou à son minaret pour sauvegarder des privilèges tribaux auxquels il ne veut pas renoncer même si l’émergence d’une véritable nation libanaise aurait dû en sortir. Jusqu’à présent, les fameux «dénominateurs communs» n’ont été que des cataplasmes qui se sont révélés, une fois leurs effets anesthésiques immédiats évaporés, de nouveaux diviseurs communs. Pourtant, une solution à long terme existe pour qu’enfin le Liban se transforme en une nation moderne, pour que la question déjà posée maintes fois reçoive des réponses objectives, des bases solides sur lesquelles il sera finalement possible de bâtir une identité nationale. Nous avons déjà fait plusieurs fois le tour des propositions sentimentales sur les liens de notre pays avec son environnement continental ou avec son environnement méditerranéen. Le temps est venu d’examiner des « dénominateurs communs » autrement plus convaincants, autrement plus fédérateurs que ces liens aux contours aussi indéfinis que circonstanciels. Cela nécessitera un effort mental, une probité intellectuelle, un renoncement aux privilèges familiaux et tribaux dont je ne suis pas sûr que la classe politique actuelle et surtout résidente soit capable. Il s’agira de décider, au-delà de la «mosaïque communautaire exemplaire», pourquoi le Liban est un pays dont l’existence est indispensable au reste du monde. Devra-t-il être un havre financier pareil aux Bahamas ou bien un véritable centre où se traiteront des montages financiers rigoureux, des obligations, où les firmes d’audit ne pourront pas faire autrement que d’y avoir leurs bureaux non seulement parce qu’il y fait bon vivre, mais aussi parce que c’est là que des décisions d’investissement seront prises ? Le Liban sera-t-il un centre touristique ou bien exploitera-t-il un circuit de sites historiques laissés par des milliers d’années d’histoire et délaissés par des gouvernements incultes ? Réservera-t-il ses trois cents kilomètres de côtes et ses montagnes à des exploitants privés et à une classe de citoyens nantis ou bien reprendra-t-il possession de ses biens publics pour attirer une partie des touristes qui se pressent sur les plages grecques ou turques ou chypriotes ou israéliennes et que tous les Libanais pourront utiliser ? Continuera-t-il à favoriser, malgré ses faibles ressources naturelles, une industrie primaire et polluante à faible valeur ajoutée ou encouragera-t-il les investissements dans la R&D en allant puiser, dans un riche bassin de surdiplômés, les cerveaux qui n’ont aujourd’hui d’autre alternative que de s’expatrier ? Restera-t-il à la traîne de l’« économie du savoir » qu’il se contente d’importer ou bien choisira-t-il de plonger enfin dans un domaine qui a principalement recours à l’intelligence et à la technologie dont ses universités constituent une large réserve? Quels seront ses choix dans les domaines de la biotechnologie, de la médecine, de l’ingénierie ? Continuera-t-il à faire appel à des spécialistes formés au Canada, en France ou en Allemagne ou bien formera-t-il des scientifiques capables à leur tour de former d’autres scientifiques venus de l’étranger pour la qualité de son enseignement ? Dans quel genre de société les Libanais vivront-ils ? La société du « chacun pour soi » ou celle de la redistribution de la richesse ? Du sous-développement sauvage ou de l’urbanisme planifié ? Se poser ces questions n’est pas nouveau, bien sûr. Certains de nos politiciens s’y étaient déjà attelés. Ils avaient réuni les « think tanks » indispensables pour trouver les réponses les plus plausibles, les projets les plus réalistes. Ils ont été contrés par la force d’inertie des privilégiés, parfois par leur propre entourage, qui ont eu le pouvoir peu reluisant de faire avorter ces tentatives. Fouad Chéhab, pour ne citer que lui, avait même réussi à réaliser une partie de son ambition. Nous nous souviendrons toujours des « fromagistes » qui, depuis, ont proliféré. Mais il y a aujourd’hui au moins deux éléments nouveaux qui militent en faveur d’une nouvelle tentative : un contexte économique international qui recherche constamment de nouveaux débouchés, de nouvelles ressources intellectuelles. Bref de nouvelles ouvertures, et une jeune communauté ayant été formée dans les pays d’émigration appartenant au G7, familière avec l’exercice démocratique et les solutions apportées par ces pays à leurs communautés multiculturelles. Ils sont bien placés pour aider leurs collègues résidents à trouver des réponses plausibles à toutes ces questions qui ne relèvent ni de la religion, ni d’un quelconque nationalisme, ni de réactions émotionnelles ataviques, mais seulement d’un contenu scientifique et de prospectives modélisables. Et enfin, un sujet parmi d’autres qui fâche, un sujet que nous avons éludé en espérant qu’il se résorbera tout seul comme il l’a fait par le passé : les Libanais de l’extérieur. Faut-il les oublier, les garder en dehors de la vie politique, économique et sociale libanaise de la même manière que les vagues d’émigration précédentes ? Allons-nous sauvegarder ce bassin intellectuel, technologique et financier presque inépuisable pour qu’il puisse échanger avec nos concitoyens résidents leurs expériences et mettre le Liban au niveau des nations modernes et respectées ? Le Liban devra momentanément se contenter des hommes politiques en place pour gérer cahin-caha l’immédiat, mais il est vital qu’il puisse compter sur une relève sans sensibilité politique familiale ou tribale afin de dessiner une vision claire du Liban futur. Vision idéaliste, romantisme désuet que tout cela ? C’est par rapport à l’idéal que nous mesurons le gouffre qui nous sépare du bien ; c’est à partir d’une vision qu’il est possible de planifier à long terme. Une fois ce programme mis au point, il sera possible de définir le cadre légal, sécuritaire et éducationnel qui encouragera des partenaires financiers, industriels, sociaux à soutenir le Liban pour mener à bien ses projets. C’est à partir de là qu’une nouvelle génération de politiciens pourra arrêter une stratégie qui mettra le Liban dans des frontières reconnues et intangibles sur la carte du monde, à l’abri des tuteurs de passage et de leurs sbires. Jo ATALLAH

Quarante ans de guerre et d’occupations, quarante longues années d’absence d’un État de droit, quarante ans de corruption qui méritent une place dans le livre des records galactiques… Car il ne faut pas dater la déliquescence de 1975 (ou 76 comme si « les autres », comme toujours, en étaient responsables), mais bien de 1967. Une génération entière n’aura connu que cela. Elle...