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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Liste d’attente

Elle est patiente mais résolue. Et il faut bien constater que cette tête malade a de la suite dans les idées. Elle prend même un malin, un diabolique plaisir à narguer, attentat après attentat, les dizaines de limiers internationaux lâchés à ses trousses. Moins de trois semaines après l’assassinat de notre confrère Samir Kassir et dans des circonstances analogues, la terreur a encore frappé en plein cœur de Beyrouth. L’ancien secrétaire général du PC libanais, Georges Haoui, tué hier par l’explosion d’une charge placée sous le siège de sa voiture, était un de ces lutteurs absolument infatigables n’esquivant aucun combat. Allié de l’OLP lors de la guerre du Liban, il fut aussi l’un des initiateurs de la résistance à l’occupation israélienne du Sud libanais, qu’il eut voulue nationale dans sa laïcité. Et pour ce qui devait être son dernier baroud, l’intifada pour l’indépendance, c’est en première ligne que montait Georges Haoui pour tonner contre la mainmise syrienne et le règne des services secrets. Qui a liquidé Georges Haoui et pourquoi ? L’incroyable folie de la situation voudrait presque que ce ne soient plus là les bonnes, les véritables questions. Qui ? Comme pour l’attentat miraculeusement raté contre Marwan Hamadé, comme pour le séisme du 14 février et les agressions meurtrières qui ont suivi, l’opinion publique et le gros du personnel politique ont résolument montré du doigt les services de renseignements syro-libanais, et rien ne les en fera démordre. Ces mêmes suspicions ont été aussitôt partagées d’ailleurs, bien qu’avec les nuances auxquelles sont tenus les gouvernements, par les puissances occidentales et l’Onu, qui ne cessent de mettre en garde contre les tentatives de déstabilisation visant avec persistance le Liban. La suspicion internationale est montée de plusieurs crans avec les informations faisant état d’une véritable liste noire d’hommes à abattre, portant dernièrement Kofi Annan à dépêcher auprès du président Bachar el-Assad son représentant Terjé Roed-Larsen. Et c’est avec le supplice du communiste Georges Haoui que Washington a usé d’une précision de termes inégalée à ce jour pour dénoncer les implications syriennes. Comme on pouvait s’y attendre, Damas se cantonne dans les démentis indignés. De même, les plus hautes autorités locales répondent avec une véhémence sans précédent à leurs accusateurs. Et comme dans l’infernal déroulement d’un incontrôlable processus – incontrôlable pour les Libanais, incontrôlable apparemment aussi pour le reste de la planète – l’œuvre de mort va imperturbablement son chemin : si bien que la seule question désormais de mise pour un pays qui ne sait plus à quel saint se vouer, la seule qui hante tous les esprits, est celle de savoir qui sera fatalement le suivant sur la sinistre liste ! C’est dans cet univers de l’absurde que se meut le Liban à peine renaissant ; il reste que la triste journée d’hier aura été marquée par d’autres développements majeurs, relatifs ceux-là à l’affaire Hariri. Unique rescapé parmi les responsables sécuritaires dont le limogeage était réclamé avec force, le chef de la garde républicaine a été longuement interrogé par les enquêteurs de l’Onu ; outre son domicile, ses bureaux ont été perquisitionnés, ce qui revient à dire que l’investigation internationale vient de faire son entrée dans le domaine réservé de Baabda. Par quel prodige la garde républicaine, vouée par définition à la protection rapprochée du chef de l’État, aux enjambées aussi spectaculaires que guêtrées des sentinelles de faction et aux fanfares de parade, serait-elle devenue, à en croire la rumeur publique, l’une des principales officines de renseignement ? En se défendant de toute autorité sur la garde comme il l’a fait hier, en invoquant sur ce point précis la responsabilité du commandement de l’armée, le président assiégé a-t-il rompu les amarres avec ce qui passe pour être son dernier carré de fidèles ? La suite de l’enquête le dira bien. En attendant, tout doit être mis en œuvre pour enrayer la série noire, pour stopper la criminelle hémorragie. C’est bien vrai qu’aucun État ne peut vivre, ou même survivre, s’il n’a pas des yeux et des oreilles pour se prémunir contre la subversion. Mais pour avoir laissé les services dénaturer leur mission en se conformant à d’inacceptables modèles, l’État libanais a trahi cette même société libérale qu’il était censé protéger. Les limogeages sommaires des dernières semaines, lesquels n’ont pas été accompagnés le plus souvent d’une restructuration en profondeur des organismes de sécurité, ont fait de cet État un infirme non fiable, suspect, voire dangereux. La sécurité avant le pain, nous serinait-on, non sans arrière-pensées, au sortir de la guerre. Avant même la nouvelle loi électorale, ajouterons-nous : avant les réformes économiques, avant le désarmement du Hezbollah. Pour la république nouvelle autant que pour les humains, c’est littéralement affaire de vie ou de mort.

Elle est patiente mais résolue. Et il faut bien constater que cette tête malade a de la suite dans les idées. Elle prend même un malin, un diabolique plaisir à narguer, attentat après attentat, les dizaines de limiers internationaux lâchés à ses trousses.
Moins de trois semaines après l’assassinat de notre confrère Samir Kassir et dans des circonstances analogues, la terreur a...