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Actualités - REPORTAGE

Liban-Nord : le choix entre deux programmes électoraux

On le savait déjà. Les programmes électoraux ont été les parents pauvres d’une campagne pourtant acharnée entre des protagonistes qui se sont livrés à un échange d’accusations souvent futiles. Bien que l’électeur ait eu droit à des slogans et des formules inspirés des concepts de démocratie, de développement et de réforme, force est de constater que rares sont les candidats qui ont été jusqu’au bout de leurs assertions et traduit dans des projets politiques les aspirations au changement exprimées le 14 mars dernier par les Libanais. Toutefois il faut noter que les rares candidats à la députation qui se sont avancés sur ce terrain ont réussi à se démarquer – ne serait-ce que sur le plan de l’éthique politique – de leurs colistiers. C’est le cas notamment du CPL dont 3 des membres se présentent au Liban-Nord II et un quatrième au Liban-Nord I et de Mohammed Safadi, candidat de la liste adverse au Liban-Nord II, qui ont fourni à leurs électeurs une vision particulière de la chose publique et présenté les projets de développement qu’ils comptent mettre à exécution. Ci-dessous, en substance, les programmes électoraux du CPL et de M. Safadi. Je. J. Le projet du CPL : privatisation, vote des émigrés, carte de santé et modernisation Dans une étude de 60 pages mise en place par un groupe de jeunes experts, le courant aouniste a présenté les lignes directrices de son programme comprenant une vision globale du chantier des réformes qu’il entend amorcer. Connu pour ses relations solides avec la diaspora qu’il a réussi, au cours des 15 dernières années, à mobiliser politiquement, le CPL a misé sur le rôle des émigrés libanais. « Ces derniers sont devenus désormais incontournables pour la relance économique qui suppose notamment une modernisation de la place financière de Beyrouth », explique Sami Nader, un économiste qui a largement contribué à la définition du programme aouniste. À cette fin, une loi-cadre qui favorise les investissements et facilite les flux financiers permettra l’émergence d’un fonds d’investissement auquel devront contribuer en grande partie les capitaux libanais qui se trouvent à l’étranger. D’où l’importance de redynamiser le rôle de la diaspora « qui n’attend qu’une opportunité d’investissement », dit l’expert. « La privatisation devra reposer sur cette initiative qui propulsera Beyrouth au rang de marché financier international avec pour actif sous-jacent des actions et des obligations libanaises », explique l’économiste. Ainsi, dit-il, l’émigré libanais pourra participer activement à la reconstruction du Liban, et « bénéficier ainsi d’un double avantage financier et émotionnel ». Grâce à une stratégie de diversification de leurs portefeuilles – les capitaux libanais ou d’origine libanaise –, plusieurs centaines de milliards de dollars – pourront être en partie canalisés vers le Liban. Ce plan d’action prévoit parallèlement la création d’un ministère de la Diaspora, dont la mission sera en outre d’intégrer les émigrés dans le processus de reconstruction. « C’est une des raisons pour laquelle nous œuvrerons d’arrache-pied pour restituer le droit de vote et le droit à la candidature aux émigrés. Une fois citoyens à part entière, ils seront motivés à prendre part activement à la vie publique en apportant, outre leurs capitaux, notamment leur savoir-faire et leurs expertises », poursuit M. Nader. Le ministère de la Diaspora devra étroitement collaborer avec le ministère du Tourisme pour mettre en place le « mois de l’émigration libanaise » qui, à l’instar du « mois du shopping », attirera touristes et investisseurs qui seront conviés à des festivals, conférences et débats portant sur l’industrie du tourisme et sur la reconstruction. Attirer des investissements suppose en outre que la confiance soit rétablie, notamment au niveau des institutions et de l’appareil judiciaire, condition sine qua non pour rassurer les pourvoyeurs de fonds et jeter les bases d’un véritable État de droit, indique les experts aounistes. Sur ce point, le CPL propose une réforme radicale du système judiciaire et administratif appelé à faire preuve d’indépendance et d’une capacité de gestion adaptée. Pour le courant aouniste, il s’agit en premier de soustraire les juges à l’influence politique en mettant en place des magistrats compétents et indépendants auxquels il faudra assurer une protection « contre toute tentative de récupération politique ». La guerre contre la corruption annoncée par le général Aoun se fera par l’intermédiaire « d’un audit financier portant sur toutes les dépenses publiques effectuées jusque-là ». « Une fois les résultats de l’audit publiés, les juges ne feront qu’appliquer la loi », précise M. Nader. Dégraisser l’administration Un état des lieux de l’administration publique sera également établi, pour définir les besoins réels des différents départements en termes de fonctionnaires afin de parvenir, dans un second temps, à « dégraisser les institutions du surplus d’effectifs ». « Certains départements – comme le ministère de l’Information, la direction des chemins de fer, le bureau des fruits et légumes etc. – sont devenus complètement obsolètes. D’où la nécessité de réinjecter leurs budgets dans d’autres institutions, plus utiles et plus adaptées », indique l’économiste. Ainsi, la modernisation de l’Administration pourra paver la voie à la privatisation en renforçant certains secteurs – tels que l’électricité, l’eau ou le casino – avant de confier leur gestion au secteur privé, ajoute l’expert. Le social n’est pas absent du programme électoral du CPL qui a conçu toute une étude du secteur de la santé publique. « Il n’est plus permis que les services de santé soient un instrument du politique qui sert à acheter l’obédience des uns et la sympathie des autres », affirme Sami Nader en rappelant que « le droit à la santé est un droit fondamental ». À cette fin, les candidats aounistes préconisent la mise en place d’un Conseil national pour la santé qui regroupe les secteurs privés et publics ainsi que les ONG opérant dans ce domaine. Cette autorité supervisera un « compte national pour la santé » qui donnera au citoyen – grâce à une carte de santé individuelle – accès à un panier de services de base. L’éducation citoyenne occupe également une place privilégiée dans le programme de réforme. « Former les hommes à la citoyenneté, au dialogue et à la reconnaissance de l’autre », tel est l’objectif majeur du courant aouniste qui prône un État laïc et séculier, et œuvre à « combattre le communautarisme et le confessionnalisme ravageurs », en instituant ce qu’il appelle la « communauté citoyenne » au sein de laquelle la femme pourra récupérer son rôle d’acteur à part entier. Bref, conclut Sami Nader, « nous avons une chance historique d’en finir avec les clivages confessionnels et pour leur substituer le projet de la citoyenneté. Il est du devoir de chacun d’entre nous de saisir cette opportunité ». * Pour plus d’information sur ce programme, consulter le site du CPL : www.tayyar.org Safadi dénonce les lacunes constitutionnelles et prône des réformes économiques et sociales Candidat sunnite sur la liste de la Réforme et de la réconciliation, Mohammed Safadi, qui s’est distingué durant sa députation par son engagement en faveur de justice sociale, revient à la charge sous le signe de la réforme qu’il entend entreprendre cette fois-ci dans les secteurs politique, économique et financier tout en poursuivant son projet social. Doté d’un programme électoral consistant, le député présente sa vision réformatrice dans un fascicule de 15 pages dans lequel il décline son futur projet politique. Le député de Tripoli, qui s’est investi durant de longues années dans des projets sociaux et pédagogiques au Liban, estime que les Libanais « n’ont plus d’excuses pour se dérober devant le projet d’édification d’un État digne de ce nom et capable de s’adapter à la modernité », notamment après le retrait des troupes syriennes du pays. Dans un premier chapitre, le candidat dénonce certaines lacunes au niveau de la Constitution, notamment le déséquilibre entre les pouvoirs qu’il s’agit de rectifier en vue d’assainir la vie politique « sans pour autant remettre en question l’entente nationale et ses constantes », souligne-t-il. À ce sujet, il préconise notamment la constitution d’un comité ad hoc formé de constitutionnalistes chevronnés pour opérer les modifications nécessaires. Celles-ci consistent à confier au Conseil supérieur de la magistrature « les prérogatives de définir les fonctions au sein de l’appareil judiciaire, d’améliorer les émoluments des juges afin de lutter contre la corruption et de consolider l’indépendance du Conseil constitutionnel en élargissant ses prérogatives ». M. Safadi prône en outre « le respect du principe de la séparation des pouvoirs pour mettre fin à l’hérésie qui consiste à mettre en place un Conseil des ministres qui fait figure d’une pâle copie du Parlement, empêchant ce dernier d’exercer son contrôle sur l’Exécutif ». Le député réclame par ailleurs la réduction du mandat du président de l’Assemblée, de quatre à deux ans renouvelables, et préconise de modifier le règlement interne du Parlement de manière à ne plus permettre à son chef d’accaparer la décision d’appeler à une session parlementaire et de définir l’ordre du jour, « ce qui a contribué jusque-là à bloquer le travail législatif ». À la tête des réformes politiques et administratives préconisées, l’adoption d’une loi électorale fondée sur la proportionnelle avec le mohafazat pour circonscription. Le texte devrait en outre fixer un plafond pour les dépenses électorales et prévoir le vote à partir de 18 ans. Estimant que « la vie partisane est un prélude à toute réforme politique et démocratique », le député se prononce en outre en faveur d’une loi qui organise les partis politiques en les contraignant au pluralisme communautaire et à une allégeance exclusivement nationale. La lutte contre la corruption et les corrompus figure également sur l’agenda de M. Safadi, qui insiste sur l’application de la loi sur l’enrichissement illicite et souligne la nécessité de poursuivre toutes les personnes responsables de la dilapidation des deniers publics, notamment dans les secteurs de l’électricité, des télécommunications, des travaux publics, du casino et des ports. Abordant le volet des réformes économiques, M. Safadi rappelle que la dette publique au Liban est la plus élevée au monde, et met en garde contre le « cauchemar de l’effondrement financier et économique, si entre-temps des mesures sérieuses et radicales ne sont pas prises pour remédier à la situation ». À cette fin, il propose, entre autres, la formation d’un comité indépendant pour gérer le problème de la dette publique, la restitution des droits du Trésor et la redynamisation de la perception des impôts, des mesures qui devraient rapporter annuellement à l’État près d’un milliard de dollars, selon le député. Parallèlement, une réforme fiscale doit être entreprise par le biais de l’adoption de l’impôt progressif et la réduction des impôts indirects « en vue d’une plus grande justice sociale et pour attirer les investissements étrangers ». Le plan prévoit en outre l’édification de villes industrielles et de zones franches, l’appui à l’industrie agroalimentaire et la réhabilitation de l’économie libanaise de manière à pouvoir bénéficier pleinement du programme de partenariat euro-méditerranéen et permettre au Liban d’accéder à l’OMC. Dénonçant « la politique de l’improvisation » qui a prévalu depuis la fin de la guerre sur le plan social, M. Safadi précise qu’il est désormais urgent de mettre en place un plan directeur fondé sur des statistiques et des études scientifiques qui déterminent les besoins au plan national et les ressources disponibles. Évoquant le problème de l’éducation, le député préconise une remise à niveau de l’enseignement et de la formation technique en redéfinissant notamment l’organigramme du ministère compétent et en adoptant une nouvelle loi pour l’enseignement. Quant à la réforme de la politique de santé publique, elle consiste en une redistribution équitable des hôpitaux gouvernementaux, un soutien à la santé préventive et une unification des caisses d’assurances médicales qui serait accompagnée d’une uniformisation des tarifs des actes médicaux. Le député s’engage enfin à soutenir la loi sur la vieillesse, à revoir l’échelle des salaires minimum et à combattre le chômage en créant notamment une caisse pour appuyer les idées créatives de la jeunesse libanaise.

On le savait déjà. Les programmes électoraux ont été les parents pauvres d’une campagne pourtant acharnée entre des protagonistes qui se sont livrés à un échange d’accusations souvent futiles. Bien que l’électeur ait eu droit à des slogans et des formules inspirés des concepts de démocratie, de développement et de réforme, force est de constater que rares sont les candidats...