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Le choix impossible

En demandant aux Libanais de choisir entre sa personne et l’opposition plurielle, le général Michel Aoun les place devant un choix impossible. Sur le plan des sentiments, ce choix ressemble à celui d’un enfant obligé de choisir entre ses parents séparés, mais tous deux chéris. Plus objectivement, nous sommes placés devant deux lectures différentes de l’histoire de ces dernières années. Deux lectures qui se présentent comme exclusives l’une de l’autre, mais que nous savons être concordantes. Ce qui explique notre confusion. Au retour du général Aoun, le pays tout entier réclamait la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri. Son discours a introduit une rupture brutale dans le fil de ces idées. Désormais, il fallait demander des comptes à Rafic Hariri, désigné à mots couverts d’abord, ensuite nommément, comme complice dans le pillage des fonds publics, au cours de la période 1990-2005. Accusé de mener, à l’encontre de l’opposition plurielle, « une guerre d’élimination », le général Aoun se défend de vouloir exclure ou éliminer quiconque. Loin des procès d’intention, force est pourtant de constater que son discours est marqué au sceau de l’exclusion. Certes, il parle de Rafic Hariri en martyr, mais dans le même mouvement, voilà qu’il demande des comptes à ce martyr. Ainsi, il salue la mémoire d’un martyr, avant de lui porter atteinte, faisant l’impasse sur l’enquête ouverte pour identifier les auteurs de son assassinat. Il y a là une incohérence à laquelle la population est extrêmement sensible. Bien sûr, l’histoire reste l’histoire, et l’on devra écrire l’histoire de la séquence historique 1990-2005. Mais l’histoire étant évolution, c’est à la lumière de l’assassinat du 14 février qu’il faudra nécessairement l’écrire. Si Rafic Hariri a accumulé les dettes, au propre comme au figuré, en économie et en politique, sa mort de supplicié les a effacées. Car s’il y a eu amnistie pour la période antérieure à 1990, a fortiori devrait-il y en avoir pour la période 1990-2005 où la guerre s’est poursuivie, par d’autres moyens, et nous sommes nombreux à l’avoir dit et répété, jusqu’à cet extraordinaire épilogue qu’a été le retrait de l’armée syrienne du Liban, auquel certains ne parviennent pas encore à croire. Oui, sous l’apparence de la paix, la guerre s’est effectivement poursuivie de 1990 à 2005, avec ce grande tournant de l’an 2000 qui a suivi le retrait israélien du Liban-Sud et le décès du président Hafez el-Assad, et à partir duquel les langues se sont déliées et la poigne de fer a commencé à se desserrer. Il faut donc désormais regarder vers l’avenir. Cela s’impose d’autant plus que cet avenir nous dira de plus en plus clairement dans quelles conditions le combat de Rafic Hariri pour l’indépendance, qui lui a coûté la vie, s’est déroulé et sous quels masques il a dû avancer. Au demeurant, son élimination brutale n’illustre-t-elle pas suffisamment la terreur qu’il a dû affronter ? Sans parler des humiliations qui l’ont précédée ! Et n’est-ce pas réduire un peu trop les choses que de présenter cette mort comme si elle était le résultat d’une guerre de clans, déniant ainsi à Rafic Hariri tout amour pour son pays, et réduisant l’histoire du Liban au choc de deux projets politiques plus aliénants l’un que l’autre ? Une fois pour toutes, il faut se dire que les conditions de son combat différaient du tout au tout de celles que le général Aoun a mené à partir de Paris et Washington, dans le même but, et au service du même Liban. Quelque chose de précieux s’est passé, le 14 mars, au cours de nos grandes retrouvailles. Et cette chose précieuse, il faut la chérir et la préserver. Il faut y tenir et s’en souvenir. Il faut la défendre contre les discours tapageurs et même contre ses propres désillusions, un peu impulsives. Cette chose qui s’est passée, c’était le Liban. Le Liban que nous aimons s’est dressé, ce jour-là, comme une muraille et comme une hauteur inaccessible, comme une réalité, comme une vérité et comme une promesse à laquelle nous n’osions plus croire. Et notre attente doit survivre à la trahison et aux petitesses. D’un électeur, cette phrase magnifique : « Dimanche, nous mettrons dans nos listes l’esprit du 14 mars. » Dans nos pensées et dans nos cœurs, Michel Aoun et Rafic Hariri doivent rester inséparables comme acteurs de la nouvelle indépendance, loin de tout aveuglement aux limites de l’un et de l’autre. À l’abri aussi des paroles irresponsables lancées à travers les médias, au mépris souvent de la plus élémentaire des politesses. Certes, c’est là une autre histoire, mais il ne faut pas minimiser le rôle joué par la psychologie dans les divisions que nous constatons. Et il faut être aveugle pour ne pas constater que, pour vivre ensemble, il faut aussi un minimum de savoir-vivre. Fady NOUN

En demandant aux Libanais de choisir entre sa personne et l’opposition plurielle, le général Michel Aoun les place devant un choix impossible. Sur le plan des sentiments, ce choix ressemble à celui d’un enfant obligé de choisir entre ses parents séparés, mais tous deux chéris.
Plus objectivement, nous sommes placés devant deux lectures différentes de l’histoire de ces...