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Actualités - CHRONOLOGIE

Marche silencieuse nocturne de la place des Martyrs jusqu’aux lieux du drame Douleur, dégoût et confusion : les jeunes du 14 mars déboussolés (photo)

Choc, dégoût et confusion. Ce sont les termes qui revenaient sur toutes les lèvres hier soir, place des Martyrs. Tout d’un coup, la jeunesse du 14 mars n’avait plus les mots pour le dire. Ceux-là mêmes, qui s’égosillaient en clamant l’indépendance et la liberté, sont devenus brusquement muets, paralysés par une douleur qu’ils disent inexprimable. Rassemblés autour de la lumière tamisée des bougies, devenues le symbole d’une double tristesse collective, des centaines de jeunes ont tenu hier à entamer en silence le deuil de celui qui fut leur maître à penser et leur référence en matière de courage. Ils ont beaucoup de mal à croire que Samir Kassir les a lâchés en cours de route. En première ligne, ses étudiants en sciences politiques, atterrés de voir se concrétiser l’un des enseignements prodigués par leur professeur : « Il nous parlait souvent de l’assassinat de journalistes libres dans les pays totalitaires et dictatoriaux. Nous avons toujours pensé que cela n’arrivait qu’aux autres », murmure Rana. Le visage livide, les élèves, amis, collègues et disciples du journaliste n’ont pas le cœur à la conversation. « C’est cynique, je n’ai rien d’autre à dire », lance laconiquement un de ses anciens amis. Les langues se délient au sein de la Gauche démocratique, ses compagnons de route. « Samir n’était pas uniquement un symbole libanais. Sa plume apportait une bouffée d’oxygène à l’ensemble du peuple syrien et à tous les peuples opprimés du monde arabe, qui luttent contre le système du pouvoir mafieux », précise Nafeh. Ammar, également de la Gauche démocratique, pointe un doigt accusateur vers « toutes les forces qui se sentent lésées par ces élections ». « Il faut désormais isoler toutes les formations récalcitrantes », ajoute-t-il. À quelques mètres de lui, derrière une barrière en fer – symbolisme oblige –, Maher, un militant du CPL, s’est senti visé par les propos de Ammar : « Nous aussi sommes très affligés par cet assassinat odieux », dit-il. Nous faisons partie de sa famille, insiste-t-il en soulignant que cette tragédie a visé « toutes les voix aspirant au changement ». Une discussion qui poussera une ancienne amie du journaliste assassiné à dénoncer « la folie qui s’empare de l’opposition qui, aujourd’hui, s’entretue par martyrs interposés ». « Il n’est plus permis d’exploiter nos héros de cette manière », s’indigne la jeune dame en dénonçant « la récupération » faite notamment par le chef du PSP, Walid Joumblatt, qui, a-t-elle dit, « s’est dépêché de profiter de l’assassinat de Samir Kassir pour revenir à ses anciennes revendications de démission du chef de l’État ». « Qu’ils laissent nos morts tranquilles », s’écrie à ce propos l’amie du journaliste. À côté, Naya, une ancienne étudiante de l’USJ, se félicite que les membres de l’opposition « se sont abstenus d’envahir la place des Martyrs ». « S’ils étaient venus ce soir, j’aurais détalé », a-t-elle indiqué en signe de répugnance. Sur la butte en terre qui porte la statue des martyrs, Ziad Majed, un ami très proche de Samir, essaye de consoler les deux filles, éplorées, du journaliste assassiné, Mayssa et Lyana. D’une voix accablée, notre collègue du an-Nahar Élias Khoury lance aux jeunes une phrase réconfortante : « Les rendez-vous de la démocratie ne cesseront de se renouveler sur cette place même. » « Ils ont assassiné Samir Kassir, mais ils ne pourront jamais assassiner la pensée et la parole », dit-il avant d’ajouter : « Nous avons le devoir de poursuivre la bataille de la démocratie. » Silencieuse, la foule acquiesce tristement par un hochement de tête avant d’entamer sa marche vers le lieu de l’assassinat. « Ce n’est pas la dernière veillée de tristesse dont témoignera la place de l’Indépendance, murmure Albert. La série noire ne s’arrêtera pas de sitôt. C’est le prix qu’il faudra payer en contrepartie de notre loyauté à la démocratie. » Un peu plus loin, un groupe de fidèles discute et tente de ressusciter « le bon vieux temps en compagnie de Samir Kassir ». « Je l’ai connu pendant plus de 20 ans, à travers sa lutte de libération qu’il a menée sur plusieurs fronts, au Liban comme à Paris », témoigne Kamal Hamdane, un économiste et ancien ami du journaliste assassiné. « Il était celui parmi nous qui a eu le plus de courage et d’audace. Il était animé d’un élan perpétuel qui le poussait à remettre constamment en cause tous les faits établis. L’assassinat de Samir est le drame de cette transition compliquée vers le monde de la modernité que connaissent notre pays et le monde arabe. » Un périple que les Libanais et les autres peuples arabes aimeraient voir terminé au plus tôt. Jeanine JALKH

Choc, dégoût et confusion. Ce sont les termes qui revenaient sur toutes les lèvres hier soir, place des Martyrs. Tout d’un coup, la jeunesse du 14 mars n’avait plus les mots pour le dire. Ceux-là mêmes, qui s’égosillaient en clamant l’indépendance et la liberté, sont devenus brusquement muets, paralysés par une douleur qu’ils disent inexprimable. Rassemblés autour de la...