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Une foule indignée s’en prend au Premier ministre et aux officiels accourus sur les lieux du drame Samir Kassir tué dans un attentat à la voiture piégée devant son immeuble à Achrafieh (photos)

Dans le quartier paisible de Zahret el-Ihsan, à Achrafieh, l’indignation et surtout la colère l’emportaient sur tout autre sentiment. Samir Kassir, journaliste au « an-Nahar » et membre de la Gauche démocratique, venait d’être assassiné dans un lâche attentat à l’explosif. Victime de ses audacieuses prises de position contre le régime syrien ? Victime de ses nombreux démêlés avec les services libanais auxiliaires de Damas, dont il dénonçait inlassablement les pratiques ? Quelles que soient les causes pour lesquelles il a été liquidé, Samir Kassir aura surtout payé de sa vie le fait que l’opposition et le pouvoir se sont suffi de la mise à pied des chefs des services de sécurité, laissant pour après les élections législatives le démantèlement en bonne et due forme de la structure sécuritaire tissée par la Syrie au Liban. Et c’est ce que la foule en colère n’a pas manqué de lancer à la figure du chef du gouvernement, Nagib Mikati, des ministres accourus sur les lieux du drame et des agents de l’ordre qui avaient bouclé le secteur, empêchant les badauds et les journalistes de s’approcher du lieu du drame. « Qu’est-ce que vous faites ici ? Allez vous faire pendre bande d’inutiles, incapables d’empêcher qu’on assassine les honnêtes gens. » Une phrase lancée par une dame très BCBG et reprise comme un leitmotiv, en arabe et en français, par d’autres personnes, que l’incapacité des autorités à mettre fin au cycle infernal des actes terroristes rendait folles de rage. Lorsqu’une détonation sourde retentit peu avant 11h, les habitants d’Achrafieh sont loin d’imaginer qu’un attentat à l’explosif venait de se produire dans leur quartier. La déflagration est plutôt faible et ce n’est que lorsque les sirènes des ambulances et des camions-citernes des pompiers commencent à retentir qu’ils réalisent que l’explosion est plus proche qu’ils ne pensaient. Dans le quartier jouxtant l’école Zahret el-Ihsan, c’est le branle-bas de combat. Des parents paniqués accourent pour retirer leurs enfants du collège, sans même prendre la peine de s’arrêter pour savoir ce qui se passe. Bouclé par les soldats de l’armée et les agents des services de sécurité, le secteur est presque inaccessible à cause du nombre impressionnant d’ambulances, de véhicules militaires et de camions-citernes. Une odeur âcre de chair brûlée et de sang, odeur de la mort, flotte dans l’air. La voiture de Samir Kassir, une Alpha Roméo blanche, est garée juste devant l’entrée du supermarché Achrafieh, dont une partie des baies vitrées a volé en éclats. Samir Kassir résidait dans le même immeuble. Son assassin avait bien monté son coup. De toute évidence, son objectif était de tuer le journaliste en occasionnant le moins de dégâts possible. Les dommages matériels ne sont pas en effet importants. Garé juste devant la voiture de Samir Kassir, un 4x4 est presque intact. Seul le pare-brise arrière est en mille morceaux. Le véhicule parqué derrière la Alpha Roméo n’est même pas égratigné. Il est juste recouvert d’une poussière blanche, la même qui enveloppe la partie supérieure du corps de Kassir, étalé sur le siège avant du passager, la tête reposant sur le bras gauche. On aurait dit qu’il dormait. Quelques témoins, encore sous le choc, reprennent le même récit : une lumière éblouissante a jailli et une poussière blanche a recouvert l’air avant que le bruit de vitres cassées ne soit entendu. Aucun d’eux n’a entendu l’explosion. Au supermarché Achrafieh, la caissière, dont le siège est à près de trois mètres de la voiture piégée, n’a rien eu. Elle était cependant en état de choc. Livide, le regard hagard, elle n’arrivait pas à articuler le moindre mot. Dans les immeubles du quartier, quelques vitres seulement sont brisées. Les agents de l’ordre interdisent aux photographes de presse de trop s’approcher du véhicule pour permettre aux agents du service d’anthropométrie des FSI de relever d’éventuels indices. Sur le trottoir jouxtant le véhicule, des secouristes de la Croix-Rouge libanaise ramassent quelques débris de chair qu’ils déposent soigneusement dans un sac en plastique. Selon les enquêteurs, la charge télécommandée était placée directement sous le siège du conducteur, ce qui explique le fait que la partie inférieure du corps était déchiquetée et que Samir Kassir ait été éjecté vers le siège du passager. « Vous êtes une honte » Les rumeurs selon lesquelles une autre personne se trouvait à ses côtés sont vite démenties. Les témoins assurent qu’il était seul. La dépouille ne sera évacuée que deux heures plus tard, le temps que les agents du service d’anthropométrie achèvent leur mission. Entre-temps, les officiels défilent l’un après l’autre. Premiers arrivés sur les lieux, le vice-président de la Chambre, Michel Murr, et le ministre de l’Intérieur, Hassan Sabeh, observent, immobiles, la voiture sérieusement endommagée. Le Premier ministre Nagib Mikati les suit. Au moment où il entame une déclaration dénonçant l’innommable acte, une voix féminine fuse : « C’est tout ce que vous savez faire. Mais à quoi servent vos condamnations ? Elles n’ont jamais empêché les gens honnêtes de mourir. Vous êtes une honte. Qu’est-ce que vous faites ici ? Allez vous faire pendre bande d’inutiles, incapables d’empêcher qu’on assassine les honnêtes gens. » La dame qui profère ses mots est excessivement élégante. Les bras croisés sur la poitrine, elle ne bouge pas d’un pouce, en dépit des injonctions répétées des soldats de l’armée. À quelques mètres d’elle, le PDG d’an-Nahar, Gebrane Tuéni, qui a du mal à cacher son émotion, accuse sans ambages le régime syrien et les résidus du système sécuritaire syrien au Liban d’avoir tué Samir Kassir. « La criminalité se poursuit. Ils commencent à Damas, en passant par Baabda, pour arriver à Beyrouth. Ce crime a un seul prix : que Émile Lahoud soit délogé de Baabda et que les immixtions syriennes continues au Liban finissent », rugit de son côté Marwan Hamadé. À quelques mètres de lui, Élias Atallah, secrétaire général de la Gauche démocratique à laquelle appartenait Samir Kassir, n’arrive pas à cacher son émotion et éclate en sanglots. Michel Pharaon dénonce une volonté d’hypothéquer la souveraineté et les libertés libanaises, et Ghazi Aridi s’en prend violemment au chef de l’État. Les personnalités politiques et diplomatiques qui arrivent sur le lieu du drame sont nombreuses. Incident Pour le ministre de la Justice, Khaled Kabbani, le spectacle est insoutenable. Il fait un effort pour s’approcher de la carcasse où gît encore Samir Kassir, mais s’arrête net à mi-chemin, se cache les yeux avec les mains et semble être pris de malaise. Ses gardes du corps le soutiennent et l’éloignent du site. Deux anciens collaborateurs de Samir Kassir à L’Orient Express suivent du regard le défilé d’officiels, la mine défaite, les larmes aux yeux et laissent éclater toute la colère qui gronde en eux, lorsque la même voix féminine s’élève de nouveau, pour vilipender un Nagib Mikati qui s’éclipse discrètement. La dame, ainsi qu’un jeune homme à côté d’elle semblent incapables d’arrêter leurs vociférations, huant les officiels et les agents de l’ordre. Lorsque les soldats s’approchent d’eux et les somment de partir, un des anciens collaborateurs bondit pour les rejoindre, hurlant de toutes ses forces : « Vendus, assassins, agents syriens. Honte à vous. Allez vous faire pendre », tonne-t-il, les yeux injectés de sang, avant de se tenir aux côtés de la dame. La colère de la foule Leurs cris s’emmêlent. Un des agents de l’ordre, en civil, bondit sur eux et assène au jeune homme une gifle retentissante. Les hurlements s’amplifient. La foule en colère explose. Des injures fusent contre le pouvoir accusé d’être inféodé à la Syrie. Gebrane Tuéni s’interpose entre les agents et les civils, pour éviter que la situation ne dégénère. « Non ! Pas de bagarre ! C’est ce que les assassins veulent, diviser nos rangs », lance M. Tuéni. « Il faut rester unis, montrer aux meurtriers que leur scénario ne marchera pas », dit-il, sans parvenir à calmer la foule, qui n’étouffe ses cris que lorsque les secouristes de la CRL évacuent le corps. Un peu plus tard, la foule se disperse. L’armée recouvre la voiture piégée d’une bâche. Carlos Eddé, qui s’éloigne du lieu de l’attentat, établit un lien entre l’assassinat de Samir Kassir et ses récents articles antisyriens. « Ces gens ont la dent dure, déclare-t-il à L’Orient-Le Jour. Un homme comme Samir Kassir qui avait le courage de ses opinions et qui allait jusqu’au bout de ses convictions avait fait beaucoup de mécontents, surtout avec ses derniers articles dans lesquels il attaquait la situation interne en Syrie et le régime syrien. » « Nous ne devons pas oublier, ajoute Carlos Eddé, à qui nous avons affaire et combien les moyens utilisés peuvent être violents. Est-ce un règlement de comptes de la part des résidus de l’ancien système, un message adressé au Nahar pour ses prises de position, ou les deux ensemble ? Toujours est-il qu’il est urgent de procéder à un nettoyage au sein du système sécuritaire libanais et dans le leadership politique, à commencer par le président de la République. » Tilda ABOU RIZK L’épouse de Kassir réclame une enquête internationale avec la participation de la France L’épouse du journaliste assassiné, Samir Kassir, Mme Gisèle Khoury, qui se trouvait aux États-Unis au moment de l’attentat, a réclamé une enquête « internationale » avec la participation de la France sur l’assassinat de son mari, a rapporté hier la chaîne de télévision al-Arabiya. Samir Kassir « est également citoyen français » et « les autorités françaises doivent participer à l’enquête sur son assassinat », a ajouté al-Arabiya, citant Mme Khoury, qui est l’une de ses journalistes. Une heure de silence, aujourd’hui place des Martyrs, en guise de protestation L’équipe de notre confrère an-Nahar appelle les journalistes et les photographes « libres » de la presse écrite, de l’audiovisuel et de la radio à se joindre à elle pour une heure de silence, aujourd’hui, de 10h à 11h, place des Martyrs, en guise de « deuil » et de « protestation » contre l’attentat qui a coûté la vie au journaliste Samir Kassir.
Dans le quartier paisible de Zahret el-Ihsan, à Achrafieh, l’indignation et surtout la colère l’emportaient sur tout autre sentiment. Samir Kassir, journaliste au « an-Nahar » et membre de la Gauche démocratique, venait d’être assassiné dans un lâche attentat à l’explosif. Victime de ses audacieuses prises de position contre le régime syrien ? Victime de ses nombreux démêlés...