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Actualités

De Varsovie à Beyrouth

On dit que l’exil devient une habitude. Qu’à force de vivre à l’étranger,on s’attache au pays qui nous a accueillis, qu’on s’y intègre, qu’on s’y fond comme dans un moule et qu’on finit même par s’y enraciner. Qu’à force d’attente, qu’à force d’années qui n’en finissent pas de passer, qu’à force de regarder ces enfants (que dis-je, ces générations) qui n’en finissent pas de grandir loin de chez eux, loin de leurs familles et de leurs traditions, on finit par oublier. Par oublier quoi, répondrais-je ? Quinze années ont passé depuis qu’on est parti. Quinze longues années qui ont fini d’avoir raison de nos tentatives d’intégration, de nos aspirations à une vie meilleure, différente, « civilisée ». On s’adapte, cela est vrai, mais on ne s’intègre pas. On a la paix, cela aussi est vrai, mais on ne vit pas. On cherche à se créer des racines mais les racines ne se créent pas quand elles sont déjà ailleurs. Tellement bien enfoncées dans cette terre, qu’il est vain de tenter de les arracher et de les planter ailleurs. Les cèdres sont millénaires, et quelque part dans leurs cœurs, les Libanais le sont tout autant. Cet amour de notre terre, quand on le ressent si fortement, on le transmet sans même le savoir à ses enfants. Je l’ai seulement su le jour du terrible assassinat de Rafic Hariri. Ce jour-là, j’ai compris, en même temps qu’eux, leur attachement à ce pays qu’ils n’ont finalement connu que pendant leurs courtes vacances d’été, d’année en année. Ils ont aussi compris, en même temps que moi, la signification de ce crime abject dont le Premier ministre ainsi que ses compagnons avaient été les victimes. La réalité nous sautait brutalement au visage : on était en train de perdre notre pays. Et s’il y avait un jour où il fallait répondre présent à l’appel, c’était bien celui-là. Dans ces moments-là, le besoin de crier haut et fort ce qu’on pense l’emporte sur tout. J’ai pris le premier avion pour Beyrouth, j’ai été sur la place de la Liberté et j’ai crié haut et fort ce que je pensais, après des années de silence forcé et de frustrations. La paix ! On veut la paix. La juste, la vraie. Celle qui dure, celle qui ne se vend pas et ne s’achète pas. Qui ne se corrompt pas et ne corrompt pas. Celle qui permettra à nos enfants et aux générations à venir de connaître un futur meilleur que celui que nos parents et nous-mêmes avons subi. Et de pouvoir dire haut et fort ce qu’ils pensent. À l’heure où Beyrouth se relève, au loin, dans une autre partie du monde, les cœurs battent, les gorges se serrent, les cierges s’allument et les mains sont jointes, en un geste de prière. Au pays du pape Jean-Paul II, les espoirs renaissent et les arbres fleurissent. Le Liban est un message, avait-il dit. Et quel meilleur et plus beau message pouvons-nous adresser aux sceptiques que ce merveilleux et incroyable Liban qui n’en finit pas de renaître de ces cendres, alors que le Phénix même se serait découragé ! Nous avons perdu Rafic Hariri. Et nous avons perdu le pape Jean-Paul II. Deux grands hommes qui ont aimé le Liban et cru en lui, chacun à sa manière certes, mais aussi et surtout qui ont compris ce pays mieux que quiconque. Nous leur rendrons hommage en redonnant à notre terre son indépendance, et les Libanais assoiffés de liberté et surtout d’unité, si chèrement payées, se retrouveront enfin. Nous nous montrerons dignes de leur foi. La leçon a été durement apprise et le retour en arrière est inconcevable. Au nom de tous nos martyrs. Nayla ABI-ZEID RAMY

On dit que l’exil devient une habitude. Qu’à force de vivre à l’étranger,on s’attache au pays qui nous a accueillis, qu’on s’y intègre, qu’on s’y fond comme dans un moule et qu’on finit même par s’y enraciner. Qu’à force d’attente, qu’à force d’années qui n’en finissent pas de passer, qu’à force de regarder ces enfants (que dis-je, ces générations) qui...