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Les têtes se mettent enfin à tomber, et non des moindres : têtes d’affiche au musée de l’horreur populaire, sinistres figures de proue de ce gouvernement de l’ombre qui régentait depuis longtemps le pays, et que l’on continue de désigner sous le pudique vocable de « système sécuritaire ». De la sécurité de qui parle-t-on exactement, toute la question est là ; on reconnaîtra volontiers en revanche que le système, lui, était là et bien là, redoutable machine politique aux rouages copieusement huilés. Dans tous les pays du monde, ce n’est pas à des enfants de chœur que l’on confie la direction des services de renseignements et autres officines parallèles. Même dans les plus grandes démocraties, et les exemples abondent, ces services peuvent commettre des abus, outrepasser outrageusement leurs prérogatives. Mais ils ne le font, le plus souvent, que dans le dos de la justice. Et parce que dans ces démocraties tout, ou presque, finit par se savoir ; parce qu’une fois dévoilés, les scandales ne peuvent résister à la souveraine puissance de l’opinion publique, ces abus sont sanctionnés et leurs auteurs châtiés. Cela dit, qu’y a-t-il de pire qu’une justice permissive, laxiste, qui ferme les yeux sur ce genre de dérives, qui enfouit sa tête d’autruche dans les sables de la lâcheté et de l’indignité ? C’est une justice délibérément, activement complice, et qui couvre diligemment de son aile les agissements des services. Et la dérive devient plus odieuse et condamnable encore quand cette couverture judiciaire s’étend, en priorité, à de toutes-puissantes agences étrangères régnant en maîtres sur le pays et pratiquant notoirement – ouvertement parfois – pressions, intimidations, chantages et menaces, et qui n’auraient pas reculé même devant les solutions finales. Pour toutes ces raisons, le limogeage du procureur général de la République Adnane Addoum, décidé hier en Conseil des ministres, est considérablement plus important que les mises à l’écart ou les démissions péniblement, laborieusement « volontaires » des patrons des services : lesquels patrons, en effet, n’auraient sans doute jamais osé aller aussi loin dans l’illégalité, s’ils avaient eu à se soucier un tant soit peu du glaive de la justice. Ce n’est certes pas sous Addoum que la monstrueuse aberration est apparue : tout au long des quinze dernières années, des centaines d’arrestations ont été opérées dans la plus grande illégalité, des citoyens ont été soumis à la torture, et les tortionnaires n’étaient pas toujours libanais. De révoltantes machinations ont été montées, telle cette meurtrière explosion dans une église qui a permis de soustraire le seul chef des Forces libanaises Samir Geagea à l’amnistie de guerre, de fouiller son passé et de le jeter en prison où il croupit encore. Mais on a fait bien des progrès depuis : c’est bien sous Addoum que la justice a géré avec une incroyable désinvolture ce terrible avertissement qu’était l’attentat à la bombe dont a réchappé par miracle Marwan Hamadé, faisant l’impasse sur l’enquête, allant même jusqu’à confisquer – c’est-à-dire escamoter – des indices. Des négligences ou manipulations plus flagrantes encore ont été opérées dans l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, que n’a pas manqué de relever d’ailleurs, dans son accablant rapport au secrétaire de l’Onu, l’investigateur international Fitzgerald... Pour importante et salutaire qu’elle soit, la nomination d’un nouveau procureur général de la République ne peut être, ne doit être qu’un premier pas sur la voie de la rédemption de l’appareil judiciaire. Indépendance, liberté, démocratie, Liban nouveau : ces grisants concepts qui ont mobilisé les foules seraient finalement vides de sens si toutes les fractions politiques, toutes les communautés du pays n’œuvraient pas sans délai à ce qui reste la garantie la plus solide de leur existence, quels que soient leur fortune ou leurs revers politiques : l’instauration d’un État de droit. La tutelle syrienne partie, c’est par celle du Troisième pouvoir que commence la réelle indépendance. Justice doit enfin être rendue au Liban. Et c’est fort bien de commencer du côté des juges. Issa GORAIEB
Les têtes se mettent enfin à tomber, et non des moindres : têtes d’affiche au musée de l’horreur populaire, sinistres figures de proue de ce gouvernement de l’ombre qui régentait depuis longtemps le pays, et que l’on continue de désigner sous le pudique vocable de « système sécuritaire ». De la sécurité de qui parle-t-on exactement, toute la question est là ; on reconnaîtra...